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Rencontre avec Claire Simon : « Je trouvais ça vital pour nous toutes, les femmes »

Claire Simon
© Nicolas Guerin

À l’occasion de la sortie de Vous ne désirez que moi, nous avons échangé librement avec la documentariste et réalisatrice Claire Simon. Ici, elle fait d’un entretien entre la journaliste Michèle Manceaux et l’amant de Marguerite Duras, Yann Andréa, un film d’écoute et de parole sur la passion amoureuse dans toute sa complexité. Rencontre.

Vous n’aviez pas réalisé de fiction depuis Gare du Nord et son documentaire dyptique Géographie Humaine en 2013, quelle a été la genèse de Vous ne désirez que moi  ? 

J’ai trouvé cet entretien exceptionnel. Je l’avais lu à sa sortie en 2016. Une amie, metteuse en scène de théâtre travaillait sur Duras. Je lui ai proposé de le lire. Je l’ai relu une deuxième fois et comme elle trouvait ça très bien, mais qu’elle ne voulait pas s’en servir, je me suis posée la question : comment pourrais-je en faire un film ? 

Vous filmez l’écoute et la parole comme dans vos documentaires, c’était ce qui vous animait dans cet entretien ? 

Il y avait évidemment quelque chose de documentaire dans le texte. Puisque c’est la parole à un moment donné de Yann Andréa et de Michèle Manceaux. Ça m’intéressait de faire entendre cet entretien parce que ça raconte l’inverse de ce qu’on a l’habitude d’entendre. C’est un couple qui vit une passion, mais c’est un homme qui est dans une position de faiblesse et qui analyse cette position avec une logique, une lucidité, une intelligence très rare.

C’est un film à la suite d’une passion liée à une oppression, c’est quelque chose que l’on voit tous les jours depuis des millénaires entre un homme plus âgé et une femme plus jeune. Entre un homme et une femme tout simplement et parce que lui, il a la culture du patriarcat, il ne va pas se sentir aussi victime qu’une femme. Il a la capacité de nommer ce qui lui arrive. 

Je trouve ça exceptionnel. J’ai vraiment été fascinée par cette inversion et par la nature de cet amour qui était considéré comme tabou surtout à l’époque pour des raisons de patriarcat. C’est une femme plus âgée. J’en avais entendu parler. Elle a un amant jeune qui lui avait écrit longtemps et ce que je trouve extrêmement beau, c’est que Yann Andréa et Marguerite Duras, je m’en fous.

J’aime la littérature comme tout le monde, mais ce qui m’intéresse, c’est la dimension universelle de cet entretien, j’ai entendu des phrases, j’ai lu des phrases que je me suis déjà dites à moi-même ou que j’ai dit à d’autres. On avait enfin quelque chose qui disait de manière très précise à la fois la passion et le rapport de force, la question de l’acceptation, de l’emprise et parce que c’est un homme, quelque chose d’extrêmement précis, pas du tout plaintif, pas victimaire. Je trouvais ça vital pour nous toutes, les femmes, avant même les hommes.

Ça permettait de mieux entendre le discours que l’on a en tant que victime, personne oppressée ?  Ça met une forme de distance ? 

Oui et aussi du côté des hommes. Un homme en situation de faiblesse est méprisé et c’est un tort. Car là, on voit une telle intelligence. Ce n’est pas parce qu’on est dans une situation de faiblesse qu’on est faible mentalement ou intellectuellement, et même humainement. Je trouvais que ce texte disait tout ça. J’avais envie de le rendre cinématographique, de montrer ce que c’était vraiment qu’une conversation, un moment avec les parties qu’on imagine à l’écoute de ce qu’on entend, la façon dont celle qui entend à besoin d’incarner ce qui est dit.

Quand quelqu’un me raconte une histoire, je vois des scènes, etc. J’avais envie de ça et de me servir de cette structure avec quelques archives documentaires comme d’une forme narrative pour raconter une histoire d’amour, pour raconter cette histoire.

Ce qui m’intéresse, c’est d’arriver à trouver d’autres formes dans la fiction. Dans le documentaire, on fait ça tout le temps, car à quoi bon refaire un film qui existe, ça ne sert à rien. Avec cette structure, on peut raconter toute l’histoire dans une forme qui prend deux jours et une nuit. Elle est très formelle mon idée, mais c’est très humain et politique dans ce qui est dit. 

Comment avez-vous pensé justement ces plans d’illustrations ? C’est ce que Michèle Manceaux imagine ? 

J’ai pensé que c’était important pour elle de voir. Comme pour moi, car je me suis plutôt identifiée à Michèle Manceaux. Savoir qu’à Caen il y a quand même un petit port dans la ville, qu’il y a Les Petits Chevaux de Tarquinia, que même s’il pleut, il peut se promener, lui, l’étudiant en philo et en même temps se raconter. Quand il va la voir à Trouville, il prend le car. Comment est Trouville en été quand il n’y a plus de places dans les hôtels ? Toutes ces choses que j’ai faites moi-même, que j‘ai filmé. C’était très important parce que ça évite des images stéréotypées, précuites. 

©  Les films de l’après midi

Ce sont les images que vous aviez en tête à la lecture ? 

Oui et je me disais : finalement Trouville, c’est Saint-Tropez. Nous, on en a une vision durassienne, or je vais y aller le 14 juillet et voir comment c’est. Et je l’ai vu. C’est ce qui est marrant, cette plage reste très belle. Ce n’est pas la plage qui est durassienne, c’est Duras qui est Trouvillaise. J’avais envie que les choses s’incarnent parce que je voulais que cet entretien devienne un film. 

Il y a la sexualité que vous illustrez par des dessins aussi…

Si vous voyez le film de Josée Dayan, c’est une grand-mère avec son petit-fils. Il y a un plan de nuit où elle lui dit sur les bateaux : « Il va falloir qu’on dorme ensemble »

Oui, le film repose surtout sur l’incarnation de Duras par Jeanne Moreau…

Oui, elle est formidable. Mais lui par rapport à ce qu’il dit… «  J’ai jamais fait l’amour avant de la rencontrer. Qu’est-ce que c’est de faire jouir un corps ? ». Je voulais enfoncer le clou et qu’on comprenne qu’il s’agissait de cul, pour dire les choses simplement. C’était une passion charnelle et il y avait un mépris tabou qui était lié au patriarcat.

On imagine très bien que Vincent Cassel couche avec sa femme, que Mitterrand à 75 ans couchait avec ses petites amies qui avaient moins de vingt ans, mais Duras non. Ce sont des inventions du patriarcat. Et j’avais envie qu’on croit à cet amour, il a l’air de le dire et d’y croire. Donc j’ai choisi les dessins, car j’avais Swann Arlaud d’un côté, Emmanuelle Devos de l’autre Je ne vois pas comment j’aurais pu faire autrement.

D’ailleurs c’est peut-être plus cru encore de représenter ces scènes de sexe de cette manière…

À la différence du porno où ce ne sont que des bouts de corps, là, on a des visages et des corps en entier dans un élan sexuel. C’est ça que je voulais arriver à avoir et je trouve que Judith Fraggi a réalisé de très beaux dessins. On a beaucoup travaillé pour arriver à ça, à la fois la ressemblance, l’élan, le mouvement.

Est-ce qu’il y a une différence technique dans la manière de filmer des dialogues spontanés dans le documentaire et des dialogues retranscrits ici ? Vous arrivez à donner beaucoup de place à Emmanuelle Devos qui a pourtant peu de texte…

J’ai répété en amont, c’est peut-être ce que l’on a le plus répété, la caméra. Mais on a lu à la table beaucoup et j’ai travaillé avec Swann et après, je savais ce que je voulais donc j’avais un plan des plans. En réalité, je ne le suis pas toujours. J’improvise aussi avec le machiniste qui était exceptionnel. Et donc il y a une assistante qui dit : lui, elle, etc. Je ne fais jamais ce que j’ai prévu parce que je sais que je me retrouve.

Vous réécrivez l’histoire que vous voulez raconter sur le plateau ?

Ça dépend de ce que je ressens, de ce que je vois, des mouvements et des comédiens. 

Et le choix des comédiens s’est imposé directement à vous ? 

Dès le départ, quand il a fallu penser à un acteur, j’ai pensé à Swann Arlaud et je suis arrivée à la conclusion qu’il n’y avait absolument que lui qui pouvait le faire. Ce que je cherchais, c’était comment il était lui. 

Comment est-il pour vous ?

Il est très fort. C’est un super acteur, mais c’est aussi quelqu’un qui a une faille, qui est fragile et poétique. Il a quelque chose d’enfantin. Et on s’est quand même très bien entendus. 

Emmanuelle Devos, je rêvais de tourner avec elle, dès le premier film où je l’ai vu, je m’étais dit : cette fille est vraiment géniale ! Puis ça s’est avéré que la bonne idée, c’était elle. Elle, elle a dit qu’elle attendait ce film pour travailler sur l’écoute. C’est vrai qu’elle est beaucoup plus filmée qu’elle ne parle.

C’était vrai qu’elle écoutait à chaque fois et qu’ils ne savaient pas quand je les filmais l’un ou l’autre. Ils le voyaient bien, mais on faisait des plans des entretiens en entier donc ça équivalait à 35-40 mn. C’est vraiment un système à l’opposé du système habituel. 

©  Les films de l’après midi

C’était important de montrer Michèle Manceaux chez elle ? 

Oui, c’est elle la metteuse en scène du film. C’est l’écoute qui décide de tout : le fait qu’elle veuille retourner qui fait tiers et puis il pourrait y avoir une histoire entre Michèle Manceaux et Yann Andréa. Ça affleure comme ça un tout petit peu. On voit aussi le rapport d’une femme à son travail. Elle rentre, elle bosse tout de suite, elle vérifie tout. On se dit la pauvre, elle est toute seule dans sa maison, dans les bois et là arrive un super beau mec, c’est son mec, tout va très bien.

On voit que malgré cette belle vie conjugale avec un homme charmant qui l’embrasse, elle est quand même tenue d’aller faire un deuxième entretien. Elle ne pense qu’à ça. C’est aussi un endroit où quelque chose d’elle comme pour chacun de nous est pris comme ça. Cette espèce de relation presque amoureuse ou passionnelle qui n’est pas dite et qu’on peut voir comme ça, le temps de ce travail-là. 

Il paraîtrait d’ailleurs que Marguerite se serait fâchée avec elle par jalousie vis-à-vis de Yann. Et Michèle Manceaux a écrit un livre, L’ Amie, sur le sujet. 

Pour revenir sur la domination amoureuse et dans le travail, vous mettez en avant  une archive où on voit Duras diriger Yann Andréa qui témoigne de ça, c’est troublant… 

Ça correspond à ce que dit Yann. Plusieurs fois, on a soit dans les archives reconstituées soit dans les archives réelles, la même phrase dans l’entretien et dans l’archive, comme quand il est à Caen et qu’il repose la question, il téléphone. Là, on pourrait croire que ce sont des procédés. Mais quand elle dit « Non tu ne fais que ce que je te dis sinon on te met dans un fauteuil et on te photographie ». Lui, il dit exactement la même chose : « Elle me dit : sinon je vous filme sur un fauteuil ». Et la différence, c’est qu’il dit « pourtant, j’étais son amant ».

Mais moi, j’ai un rapport plus ambigu que tout le monde à cette archive. Je suis sûre que si c’était un homme, on ne la trouverait pas du tout autoritaire. Si c’était Kubrick ou Godard… Je comprends ce qu’elle fait, elle a vu quelque chose et elle veut le retrouver et elle a peur de ne pas y arriver, de ne pas avoir le temps et elle dit NON « tu fais ça » parce qu’elle veut retrouver une image qu’elle a de lui, qu’elle a vu et c’est aussi de l’amour, du désir. 

Dans la création ? Et vous, vous pensez que vous avez déjà exercé ça en tant que réalisatrice, de vouloir absolument quelque chose et de vous laissez dépasser par cette autorité ? 

Oui j’ai fait pleurer des gens. C’est bien d’ailleurs, les gens, quand ils pleurent, ils sont meilleurs. (Rires)

Vous pensez qu’il y a toujours une emprise du réalisateur.rice ?

Bien sûr, mais c’est surtout que l’on veut attraper quelque chose qui est très fugace. 

Ce qui n’est pas possible dans le documentaire si ? La démarche est différente…

Ce qui arrive dans le documentaire comme dans la fiction, c’est que les gens peuvent être mauvais. Les gens vrais peuvent mal jouer leur rôle, comme les acteurs peuvent mal jouer leur rôle parce qu’ils peuvent sur-jouer, ils peuvent être narcissiques. 

A cause de la présence de la caméra ?

Du jour… Ce jour-là, ils ne sont pas bons. C’est comme quand vous invitez des copains, parfois, c’est sympa, parfois ça se passe moins bien. Nous, comme metteur en scène de documentaires ou de fictions, on est exactement logés à la même enseigne. Il faut qu’on arrive à ce que l’engagement de la personne qu’on filme soit sincère sans trop de narcissisme. Il faut que ce qui occupe l’acteur soit beaucoup plus important que le fait que l’on le filme. C’est comme les enfants dans la cour de récréation. C ’est là que l’on voit ce qu’il se passe. Si on a peur de se faire piquer ses bâtons, là, on ne rigole pas du tout, on s’en fout qu’on soit filmé ou pas. Et les très longs plans en fiction ça permet aussi quelque chose comme ça. Pour plonger dans le personnage, dans le texte.

Comment vous viennent les sujets que vous voulez filmer, par des hasards de la vie ou des réflexions, des envies en amont  ? 

J’y réfléchis toute la journée. C’est quand j’ai l’impression qu’il y a un film, quand je le vois, quand je vois que c’est possible, quand je vois sa forme…

©  Les films de l’après midi

Pour revenir sur Duras et Vous ne désirez que moi, pourquoi ce choix de ne pas la mettre en scène ? En même temps il y a sa présence angoissante dans l’absence, comme une surveillance…. 

Jeanne Moreau était morte. Je pensais que c’était indépassable. J’ai pris modèle sur Stephen Frears avec The Queen sur Lady Di. Le fait que ce soit le réel, qu’elle s’appelle Duras, qu’elle est très connue. C’est différent de tous les autres personnages. Elle a un statut qui a à voir avec le réel.

Comme l’histoire de son nom, quand il découvre que ce n’est pas son nom. C’est cette espèce de truc plus réel quand tout le reste est fictionnel. Elle est du côté du réel, parce qu’elle est morte. Eux aussi ils sont morts, mais il y a quelque chose dans l’histoire au moment où on est où elle est plus du côté de la mort. 

Ça rejoint ce que vous disiez sur l’importance du texte à vos yeux plus que des personnages Duras/ Andréa ? 

Oui, pour moi, c’est vraiment le texte et je continue de le penser… Je vois que les gens voient beaucoup Duras, etc. Ce qui est un peu une déception, même si j’aime beaucoup. Je pense que ça réduit la portée de cette histoire, mais il faut bien qu’elle soit incarnée d’une manière ou d’une autre. 

Pour mieux aborder l’universalité de la passion amoureuse ? 

Oui, c’est ça. Je trouvais ça très intéressant par un cas vraiment bizarre, on arrive à l’universel. C’est ça qui est rigolo en même temps. Et puis après il y avait quelque chose qui était pour moi comme pour Swann, de confort. Moi, je ne connaissais pas Duras, mais je connaissais son fils. Je connaissais le meilleur ami de son fils qui avait écrit La Vie matérielle avec Duras. Et il y avait comme une familiarité. C’est vrai que je me souviens très bien, des chroniques dans Libération dans les années 1980, des livres qui sortaient.

J’ai toujours détesté l’idée de faire des reconstitutions, mais là, ça faisait partie de moi, ce qui fait que même moi, je ne vois pas ce que d’autres voient. Pour moi, tout est de la même époque plus ou moins. Mais cet entretien qui a été fait en 1989, il est aujourd’hui d’une actualité dingue, et même à l’époque il ne devait pas l’être. Ça ne se voyait pas, c’est très étonnant. Ça a été décisif pour moi.

Et ça s’inscrit dans un mouvement féminisme contemporain et dans tout votre travail de réalisatrice, dans vos engagements…

Pour moi, c’est un film féministe, même si ça montre une femme qui exagère. J’ai beaucoup d’amitié pour elle, je me dis qu’elle voulait l’amour parfait. Après, il y a une exégète de Duras. Il y a plein de gens qui pensaient que Yann était comme le petit frère, qui revenait de la mort, etc. En tout cas par rapport à Agatha le film sur l’inceste dont j’ai mis un extrait au début. Je ne suis pas du tout dans le fan-club, mais je l’admire.

Ma mère lisait Duras quand j’étais petite. Et puis ça raconte à la fois la pauvreté, l’histoire du colonialisme… Il y avait quelque chose de très beau de cette époque-là, où on avait l’impression que ses livres parlaient de nous. Elle a ce talent-là.

Mon amie Élisabeth Lafont a travaillé sur son travail d’interview dans les années 60/70 et il y a une rencontre entre elle et des lycéennes qui est absolument sublime. Elle est avec la prof de français et trois lycéennes de première. Et elles sont hyper gênées et elles disent : « Ce qu’il y a, c’est que vous parlez de nous. » Et c’est vrai, c’est le talent des grands écrivains. Je l’aime comme ça.

Dans toute sa complexité ? 

Après oui elle exagérait beaucoup… Mais il faut imaginer que ce sont les premières femmes qui attaquent. On voit que c’était dur. Quand on regarde les archives avec elle, on voit qu’il fallait y aller. Depuis le début, quand elle fait l’entretien avec Dumayet sur Lol V. Stein. Peut-être que c’était une époque où elle arrivait à être vraiment écoutée. Mais elle a mis très longtemps. P.O.-L. que j’avais rencontré, trois semaines avant qu’il ne meure d’ailleurs, et qui était vraiment un mec génial, racontait quand il avait présenté son film avec Marie Darrieusecq sur ce que c’était que d’être un éditeur, qu’il essayait de faire des coups avec Duras. C’était très difficile, ça a commencé à marcher à peu près à cette époque des années 80. Il allait voir des journaux pour faire des choses avec Duras et c’était comme une lettre à la poste. 

C’est fascinant de voir la différence du propos entre cet entretien et le livre Cet amour- là…

Yann Andréa l’a écrit quand elle était morte. C’est-à-dire seize ans plus tard. Je trouvais que cet entretien, qui est devenu un texte simplement parce qu’il a été imprimé, avait une fraîcheur, un naturel. J’avais l’impression d‘entendre la voix de Yann Andréa. Et M.D., elle est repassée dessus, pas Cet amour-là

Oui mais il édulcore… je le voyais comme une belle histoire d’amour.. alors que là il y a la  fraicheur de seulement deux ans de relation...

Oui et il a sa langue à lui. D’ailleurs, quand on voit le film, Duras filme tourné par Jean Mascolo et Jérome Beaujour dont sont tirés les deux extraits, celui où elle le dirige et celui où elle dit « ce jeune errant moderne qui vient s’installer chez moi », il y a des conversations où on voit qu’il y a déjà du conflit entre eux… Et Joëlle Pagès-Pindon a fait un livre à partir des rushs de ce film-là où elle a décrypté. C’est très intéressant, on voit qu’elle ne voulait pas qu’il soit homosexuel, parce qu’elle était jalouse : « Vous ne désirez que moi. »

Les propos homophobes sont très dérangeants d’ailleurs…

Et c’est très beau de voir comment ça a joué chez lui dans l’impression qu’il était dans le ratage et sur la famille. C’est comme s’il disait, je suis homosexuel, car je ne croyais pas à la famille… 

… Et cette peur des femmes…

Oui au début, mais je crois que beaucoup d’hommes ont peur des femmes. C’est ce qu’il dit. Comme nous, on a peur des hommes. Ça m’intéressait beaucoup de voir comment Michèle Manceaux dans le deuxième entretien est dans cette gêne, dans la volonté d’y aller sur l’homosexualité. C’est elle qui apporte l’idée de la maladie de la mort… Et elle préférait qu’il lui dise « mais non, je ne suis pas homosexuel ». Je trouvais ça très intéressant avec le décalage, avec ce qu’il lui dit, on pouvait montrer ça. Alors que moi, je suis plutôt d’accord avec lui qu’avec Michèle Manceaux. 

Mimi de Claire Simon © Pirates Distribution

C’était une manière d’apporter son point de vue de femme hétérosexuelle à cette époque ? 

Je pense qu’elle est séduite par lui aussi. Elle aimerait mieux qu’il dise : je préfère les femmes. C’est une espèce de conditionnement. C’est se dire pourquoi je ferai partie de la partie interdite du désir. J’ai déjà fait un film sur une femme homosexuelle qui s’appelle Mimi, un documentaire. Et Mimi qui n’aimait que les femmes disait toujours : « peut-être que si je rencontre un mec qui me plaît, j’y vais ». Elle, elle laissait toujours la porte ouverte. J’avais trouvé ce biais parce que d’abord, c’est une personne qui me paraissait très cinématographique. Elle était envahie d’histoires qu’elle racontait et qu’on voyait.

Mais c’était aussi pour moi très intéressant en tant qu’hétéro de filmer quelqu’un qui était gay, mais qui était une femme. Il y avait un autre truc qui se passait. Je trouve que ce dialogue straight/gay est intéressant s’il est fait avec liberté. On le voit quand Michèle Manceaux dit  : « Mais peut-être, il ne faut pas enregistrer ça ». Elle a peur tout d’un coup qu’il dise qu’il a des désirs pour des hommes. Il dit aimer un homme : non, mais j’ai des désirs pour le corps des hommes. On peut penser qu’il est complètement manipulé et qu’il est complètement gay ou qu’il est entre les deux. Ce que moi, j’ai plutôt tendance à penser. 

Mais il est amoureux de Duras et elle joue sur lui ce rôle de domination masculine aussi non ?

C’est une des choses qui m’a décidé à vraiment faire le film, ce qu’il dit à la fin. « Peut-être que je l’aime moins qu’elle, elle aimerait tellement que je sois extraordinaire et elle voit que je n’y arrive pas et ça, ça l’a fait beaucoup souffrir » et je trouve ça très beau et ça a à voir avec Bartleby, le personnage de Melville. C’est-à-dire qu’au fond, il se venge d’une certaine manière de ne pas être à la hauteur. Et je trouve ça génial, c’est quelque chose qui est quand même le fond d’une relation amoureuse, dans un sens comme dans l’autre. J’avais l’impression que ça racontait ma vie, la vie des gens que je connais. Et des deux cotés. 

Entretien avec Swann Arlaud à lire ici.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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