CINÉMA

« Red Rocket » – Amérique, années Trump

Red Rocket
© Le Pacte

Cinq ans après The Florida Project, Seann Baker continue de filmer l’Amérique à hauteur de vue des laissés-pour-compte de la mondialisation avec Red Rocket, un long-métrage délicieux de candeur.

Mikey Saber est ce que l’on pourrait appeler un loser. Après avoir quitté sa petite ville du Texas pour devenir acteur porno comme on quitterait son village pour devenir un grand acteur à Hollywood, sa carrière tombe à plat. À presque quarante ans, la carrière de ce « Red Rocket  » tourne court et le voilà obligé de plier bagage pour retourner chez son ex – avec qui il est toujours marié – comme on retournerait chez sa mère. Avec ses pectoraux gonflés, son bronzage de star de téléréalité et un enthousiasme un peu naïf, il entend bien remonter la pente et faire son come-back dans son milieu de prédilection, la pornographie, dès qu’il aura rassemblé quelques deniers pour se faire la malle.

Filmer à hauteur de désespoir

Comme les enfants du Florida Project, Seann Baker filme ses personnages à hauteur de vue et révèle les enthousiasmes en clair-obscur d’une certaine partie de la population américaine. Aux premières loges, l’ex-femme de Mikey. Celle-ci veut d’abord le chasser de son pavillon fait de bric et de broc et ravagé par les années, avant de céder et de l’accueillir.

Lexi, sa femme, était partie avec lui pour faire carrière dans le porno. Avant, finalement, de tomber à plat et de rentrer chez sa mère avec des addictions à l’héroïne et à la clope et plus d’autre moyen de subsistance que la prostitution. La belle-mère, ensuite. Vieille femme maigre, elle articule difficilement parce qu’elle n’a plus de dents. Elle passe ses journées la tête dans le cendrier à regarder des talk-shows à la télé. Tout ce petit monde accueille Mikey, d’abord à reculons. Avant d’adopter un demi-enthousiasme lorsque celui-ci propose de payer le loyer du foyer. Une opportunité, non négligeable, de n’être plus obligé de se prostituer pour survivre. Elles acceptent.

S’enchaînent ensuite les combines de Mikey pour trouver de l’argent. Il a beau faire et vanter sa grande carrière d’acteur – «  Cherchez mon nom sur Google, j’ai même reçu plusieurs fois le prix de la meilleure fellation  » dit-il crânement aux gérants de fast-food du coin, personne ne veut l’embaucher. Marginalisé jusque dans ses moyens de transports – Mikey roule à vélo le long des grands axes industriels, quand même les ados de 16 ans disposent de leurs propres trucks – il se retrouve à dealer du shit pour gagner un peu d’argent.

Des couleurs et de la joie

Si le sujet du film est misérable, son traitement ne l’est pas. Mikey, déborde d’enthousiasme. Les complexes industriels qui jonchent le paysage pavillonnaire et les restaurants constituent la toile de fond d’un objet coloré et joyeux. Il y a quelque chose de touchant dans ces horizons de faible espérance proposés au spectateur. Les personnages croient en l’avenir. Mikey est convaincu de son grand talent, de son succès à venir et rêve d’une gloire à sa hauteur. Il ne voit pas de problème. Et quand on lui oppose, par exemple, qu’il n’a pas de mérite à avoir reçu trois prix de la meilleure fellation puisqu’il se contentait de la recevoir – et non de la prodiguer – celui-ci se convainc de son grand talent. «  C’est comme baiser la bouche d’une femme  !  » assène-t-il, sourire aux lèvres, convaincu d’être indispensable.

© Le Pacte

Strawberry

Rayon de soleil supplémentaire dans ce petit monde ultra-précarisé, l’apparition de Strawberry. Nom d’emprunt de cette jeune lycéenne rousse aux yeux clairs qui travaille dans une enseigne de Donuts. Référence à peine voilée à la Lolita de Nabokov, Mikey tombe amoureux. Le monde s’illumine de nouveau, ils vont aller ensemble faire carrière dans le porno, c’est certain. «  En plus j’ai déjà un nom d’actrice de cul  » s’amuse la jeune fille.

Le sexisme, omniprésent et toujours en arrière-plan de ce mâle pseudo-alpha à l’enthousiasme candide, le fait évoluer dans son petit monde sans jamais n’avoir les moyens de se remettre en question. Même la misogynie semble touchante dans la caméra de Seann Baker tant on comprend qu’elle n’est pas choisie. Qu’elle est juste une donnée avec laquelle on compose.

À force d’user à outrance du «  système D  » et de ne respecter rien d’autre que lui-même – histoire de boucler la boucle de sa vie d’avant, qui l’a probablement foutu dehors à coups de pied au cul pour les mêmes raisons – Mikey finira par être puni. La morale opère, même dans Red Rocket, qui aura multiplié les combines de personnages sans repères. En attendant, on aura respiré le même air que Mikey pendant les deux heures que dure Red Rocket. Ressenti ce même enthousiasme un peu doux-amer. On aura aussi appris que, contrairement aux discours rodés sur le mérite et l’ascension sociale chère aux Américains, la vie, là-bas comme ailleurs, est surtout une question de hasard. Et, que le ciel n’est pas à la même hauteur pour tout le monde.

Journaliste

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