SOCIÉTÉ

Face au bouleversement climatique, « on est en train de bousiller la santé mentale d’une partie de la population »

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À un âge où envisager l’avenir est indispensable pour le construire, une crainte se fait sentir chez une partie des jeunes. Souvent plus concerné.e.s que leurs aîné.e.s par les questions environnementales et connecté.e.s à un flux d’informations alarmantes, iels s’engagent mais, souvent, ne croient pas à un dénouement heureux.

Margot s’est souciée très tôt de l’écologie. Elle se souvient d’une visite à la fête de la science quand elle était enfant  : «  Il y avait un stand avec une animation sur le recul de la banquise. C’était déjà effarant à l’époque et j’avais 9 ans  ». Elle en a aujourd’hui vingt-quatre et pour elle, la crise écologique est devenue une source d’angoisse  : «  Jusqu’à il y a un ou deux ans, je ne m’étais pas rendu compte que j’y pensais de plus en plus  ».

Dorénavant, il ne lui est plus possible de regarder ailleurs  : «  Quand j’essaye de relativiser, je tombe toujours sur un chiffre qui me démoralise  ». Cette inquiétude, beaucoup de jeunes la partagent. «  Par moments, je lis des trucs ou je regarde des vidéos et j’ai un peu une boule dans la gorge  » nous raconte Léo, étudiant en journalisme. «  Pour l’instant, ça va parce que c’est passager . » Mais chez d’autres, l’écoanxiété est omniprésente.

Clarisse étudie le droit de l’environnement à Strasbourg. Avant les confinements, elle vivait à Berlin où elle partageait son engagement pour l’écologie avec des ami.e.s  : « On a fait des manifs. J’allais bien. J’avais conscience de tous les enjeux mais ce groupe faisait un soutien psy super important.  »

Sans elleux, ce poids est devenu trop lourd à porter : «  Avec le Covid, je n’avais plus ce groupe de personnes qui pensait comme moi et qui agissait comme moi. J’ai commencé à penser aux problèmes plus structurels et j’ai pas mal déprimé.  » La jeune femme a alors été suivie par un psychologue. Elle arrive désormais à vivre avec cette angoisse, mais l’écologie reste pour elle un sujet très sensible.

«  Je veux trouver un job où je suis utile  »

Le souci de l’environnement amène à questionner ses choix de vie. «  Je veux trouver un job où je suis utile, où je me dis tous les jours que je fais quelque chose de bien  » confie Louise. Encore étudiante, elle anime des ateliers «  la Fresque du climat  » pour sensibiliser les salarié.e.s d’une société automobile aux enjeux climatiques. Elle en rencontre des sceptiques  : «  Certains veulent garder leurs œillères, témoigne-t-elle. Il y a des jeunes qui ne veulent pas savoir. Ils cassent tous tes arguments alors que ce sont des trucs scientifiquement prouvés. Face à ces gens-là, comment on va faire  ?  »

Elle reste malgré tout convaincue de l’intérêt de la discussion et elle n’est pas la seule. «  J’essaye d’avoir des conversations avec ma famille, même si ça fait mal, explique Clarisse. C’est quelque chose que je veux continuer à faire, parce que ça permet de planter des graines.  » Sensibiliser leurs proches et partager les bonnes initiatives semble être la ligne de front de ces jeunes.

Pour cause, la dynamique de groupe est encourageante. « Mes amies aussi deviennent plus écolo. Je vois qu’elles prennent le même chemin  » se réjouit-elle. Mais selon les milieux, les changements prennent plus de temps. Léo a le sentiment de «  rabâcher pour que les gens fassent des efforts  ». Cela demande beaucoup de patience. «  Je n’arrive pas à les éveiller  » regrette-t-il.

«  On ne peut pas être les seuls à changer  »

Si tou.te.s ces jeunes ne sont pas militant.e.s, iels agissent à leur échelle. Leurs modes de consommation et de déplacement ont changé : moins de viande, moins de fast-food, moins de vêtements neufs, plus de vélo et de train. Mais ces actions s’accompagnent souvent de la culpabilité de ne pas en faire assez. «  Je m’en veux de faire les courses en grande surface  » nous confie Léo. «  Tous les jours, tu apprends que ce que tu fais, ça ne va pas  » se désole Louise. «  On change ce qu’on peut changer, mais on ne change pas tout. On ne peut pas être les seuls à changer.  »

Clarisse, elle, a bouleversé son mode de vie pour l’écologie. « Je suis végan. Je n’achète quasiment rien neuf […] J’ai repensé toute ma vie comme ça. Je suis passé à une banque éthique.  » Pourtant, elle ne pense pas que cela puisse vraiment faire une différence. « Je suis très pessimiste » reconnaît-elle. Pour la jeune femme, faire son maximum est devenu le seul moyen de « survivre intellectuellement  ».

«  On ne prend aucune décision. Il ne se passe rien »

L’engagement individuel tient, mais l’absence d’action politique concrète se fait frustrante. «  Le plus dur, c’est de voir que toi, tu essayes de faire des choses à ton échelle mais que ça n’aura aucun impact  » reconnaît Léo. Il regrette qu’aucun projet de vraie rupture ne soit proposé en cette période électorale. «  On ne prend aucune décision. Il ne se passe rien  » constate Louise.

«  On ne sait pas ce qu’il y aura en 2050  » ajoute-t-elle. Après la pandémie, on sait l’effet dévastateur que l’incertitude peut avoir sur la santé mentale. La seule certitude qui se présente aux jeunes générations est que la crise climatique est bien réelle et que l’on commence seulement à en voir les dégâts.

Dans ce contexte, certain.e.s font une croix sur le fait d’avoir des enfants. Clarisse se questionne  : «  Je ne veux pas leur faire subir le monde.  » «  Il y a tellement de paramètres alarmants  » constate Margot. Pour de nombreuses personnes, avoir un enfant serait lui offrir de moins bonnes conditions de vie que ses parents. «  Il ou elle n’aura pas évolué dans un monde où il pourra profiter des choses dont j’ai profité.  » anticipe Léo.

«  Non seulement on est en train de bousiller la planète, mais on est aussi en train de bousiller la santé mentale de toute une partie de la population.  » s’alarme Clarisse. Parce qu’elle en a souffert, la jeune femme insiste sur l’importance de ne pas banaliser l’anxiété écologique. Le sujet gagne en importance, y compris dans le champs de la psychologie.

Les membres du mouvement «  Psychologists for Future » soulignent l’importance de ne pas individualiser la responsabilité de la crise climatique. Dans leurs déclarations, iels prônent l’action collective : « Ce n’est que lorsque nous faisons l’expérience d’un succès réel avec des changements tangibles, et lorsque la menace est réduite de manière crédible, que l’anxiété peut s’apaiser. »

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