LITTÉRATURE

« Daddy » – Mélancolie américaine

Daddy
© éditions de la Table Ronde

Après le très solaire The Girls (2016), Emma Cline revient avec Daddy, un recueil de nouvelles d’une douce mélancolie. Un livre à lire pour se rappeler la chaleur de l’été.

Dans son premier roman, The Girls, Emma Cline effectuait un retour en arrière nostalgique et envoutant dans la Californie des années 60. La jeune Evie tombait amoureuse de Suzanne et entrait dans une secte hippie dirigée par Russell, un gourou aux faux airs de Charles Manson. On reconnaissait en effet sans qu’elle soit nommée La Manson Family dans cette secte criminelle. Dans Daddy, la jeune autrice américaine reste essentiellement dans sa Californie natale et nous montre l’envers du décor de l’état que l’on surnomme le «  Golden State  ». L’obsession pour la beauté, le corps, le regard des autres et la perfection étouffe en effet les vies de ce recueil.

Seul·e avec sa solitude

Dans ses œuvres, Emma Cline s’attache toujours au même mythe, celui de la Californie et de ses « stars » de cinéma. Dans Harvey publié en mai 2021 (Editions de la Table Ronde), elle adoptait le point de vue du célèbre ancien producteur Harvey Weinstein. Mis en scène quelques heures avant son procès, il n’était jamais nommé explicitement. Pathétique et violent, le personnage ruminait sa haine sans remise en question, seul dans l’enfer de sa grande maison. Il sentait peu à peu qu’il avait perdu le contrôle de sa vie et son pouvoir sur les autres. Dans les nouvelles du recueil Daddy on retrouve la même solitude chez les personnages. Daddy est une galerie de figures diverses : nounou, jeune trentenaire, rédacteur en chef, père de famille ou adolescente. Chacun·e est montré·e avec ses faiblesses et sa cruauté, tou·tes sont desespéré·es.

Ma mère traversait un période difficile à l’époque, avec des sueurs nocturnes et des trous de mémoire. Elle payait des gens pour la toucher : son naturopathe, qui plaçait ses doigts chauds sur son cou, sur sa poitrine ; son acupuncteur Chinois, qui grattait son corps nu avec un outil en bois poli.

Emma Cline, Daddy, « Marion »

Il faudrait l’univers de la chanteuse Lana Del Rey pour accompagner une mise en film de ces nouvelles. Doucement mélancolique et toujours un peu cruellement dérangeant, le recueil peint l’envers du décors de l’Amérique et ses vies déçues. Personne ne se comprend et la relation à l’autre passe par son regard sur le corps. L’avidité est partout, le désir sexuel nul part. Emma Cline s’inscrit pleinement dans la lignée des novellistes américain·es.

Daddy, Emma Cline, traduction Jean Esch, 272 pages, Les Editions de la Table Ronde, 22 €.

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