CINÉMA

« Spencer » – Soixante-douze heures dans la vie d’une femme

Spencer ©Pablo Larraín, DCM
Spencer ©Pablo Larraín, DCM

Présenté à la dernière Mostra de Venise, le film Spencer est un biopic de Pablo Larraín, retraçant librement quelques jours de la vie de la princesse Diana Spencer. Une fable introspective et dépouillée qui suit les errances d’une femme étouffée par sa belle-famille.

Spencer est « une fable tirée d’une vraie tragédie  » peut-on lire en guise d’introduction. Pour le réalisateur chilien Pablo Larraín, biopic ne rime pas nécessairement avec historique. Déjà dans ses précédents films biographiques, il flirtait entre réalité et fiction, qu’il s’agisse de figures littéraires (Neruda, 2016) ou politiques (Jackie, 2017). Avec Spencer, il a décidé de réaliser un nouveau biopic, centré cette fois-ci sur l’une des personnalités britanniques les plus connues du royaume  : la princesse Diana Spencer.

C’est Kristen Stewart qui a été choisie pour incarner cette dernière, elle qui avait déjà prêté ses traits à Jean Seberg dans le film de Benedict Andrews en 2019. Elle succède donc à Naomi Watts, qui jouait dans le plus classique film biographique Diana (2013). En titrant son film Spencer, c’est comme si Pablo Larraín souhaitait compléter le nom de cette femme trop (mé)connue.

Joyeux Noël

De mémoire de tabloïds ou de presse people, il ne s’est rien passé de particulier durant l’hiver 1991. C’est pourtant pendant ces trois jours de Noël cette année-là que le réalisateur a choisi de situer son propos. Le chapitrage du film se fait en trois tableaux qui sonnent comme trois jours heureux. Christmas Eve (le 24 décembre), Christmas Day (le 25) et Boxing Day (le 26, jour des présents). Mais à Sandringham House, villégiature royale, Noël est un jour de représentation plus que de joie. Les codes y sont stricts et inflexibles. Les murs ont des oreilles, et chacun·e doit tenir sa place et son rang.

© Pablo Larraín,DCM

En 1991, Diana Spencer est mariée depuis dix années avec le prince Charles. Le sourire radieux du mariage a laissé place à des grimaces crispées chez lui et à une mine contrite et triste pour elle. Elle envisage déjà de quitter son mari, ce qu’elle fera un an plus tard et qui déclenchera la fureur médiatique et royale. Après un divorce en 1996, c’est en 1997 que celle que les anglais surnomment affectueusement «  Lady Di  » disparait, victime d’un accident de voiture à Paris avec son chauffeur.

Mais de tout ceci il n’en est pas question dans Spencer. Parce que les spectateur·ices le savent déjà. Ce que Pablo Larraín veut filmer, lui, c’est le calme apparent avant la tempête. La crise intime qui révèle la singularité du personnage que tout le monde croit connaître. « Ils ne veulent pas que nous soyons des personnes » rappelle le prince Charles à Diana en parlant du reste du monde. Le réalisateur s’applique au contraire à imaginer la personne derrière le symbole. Et ce qu’il entrevoit n’est que solitude.

Solitude

Chaque plan martèle que le sujet central du film, c’est Diana Spencer et sa solitude. Exacerbé par l’immensité du lieu, son isolement est visible. Seul un bruit continu de musique ne la lâche pas, comme un mal de crâne persistant. Pablo Larraín joue constamment avec la symétrie et la froideur du décor pour perdre la princesse et la rendre fragile. Le personnel de maison, les militaires qui portent la nourriture, forment un ballet dont rien ne dépasse. Excepté Diana. Elle arrive en retard, ne tient pas en place, déroge au protocole. C’est une crise contenue et intérieure que suit le film, avec un personnage toujours sur le fil.

© Pablo Larraín,DCM

Outre l’infidélité de son mari et les désillusions du mariage, la princesse Diana se dresse surtout contre les traditions tenaces incarnées par la reine et relayées fidèlement par son personnel. La reine Elizabeth n’a ici rien de la sympathique monarque de The Crown. Incarnée par Stella Gonet, elle est hautaine et froide, aussi muette que désapprobatrice. «  Il n’y a pas de futur. Le passé et le présent sont la même chose  » déclare Diana à ses fils William et Harry. Alors, c’est avec beaucoup de liberté que Pablo Larraín confond passé, présent et futur. La princesse Diana est par exemple hantée par Anne Boleyn, exécutée par son mari Henry VIII en 1536. Le parallèle entre les deux femmes revient comme un leitmotiv. Les spectateur·ices aussi sont hantés par la mort future de cette femme qu’ils devinent dans certains plans.

Si Pablo Larraín présente la monarchie britannique comme hors du temps dans Spencer, tout fleure cependant les années 90 jusqu’à la qualité de l’image elle-même un peu granuleuse. Loin de filmer un biopic classique, Larraín présente au contraire un seul fragment de la vie de son sujet. Cette introspection minutieuse lui donne la liberté de mêler le réel à l’imaginaire autant que les époques. À sa façon, Spencer est un mélange de l’univers brumeux de Barry Lyndon (1975) avec les tourments de Melancholia (2011).

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