CINÉMA

Rétrospective Jacques Rivette – Actrices libérées

Jacques Rivette
© Les Films du Losange

Du 5 janvier au 13 février à La Cinémathèque Française et depuis le 12 janvier au Louxor et aux Écoles Cinéma Club (Paris), Les Films du Losange mette en avant un cinéaste de la bande des Cahiers du cinéma dont on parle malheureusement un peu moins – à tort. Une filmographie pourtant moderne, qui fait la part belle aux personnages féminins et aux actrices. À voir et revoir.

Cette rétrospective Jacques Rivette permet de découvrir ses court-métrages, d’appréhender les long-métrages explorant forme et durée de Paris nous appartient (1960) à 36 vues du pic Saint-Loup (2009) en passant parOut 1  : Noli me tangere  (1971) et La Belle Noiseuse (1991). Une occasion de voir et revoir un cinéma qui ose prendre son temps, promener sa caméra près de ses personnages, les laissant vivre à leur rythme. Il y a tant à dire sur l’oeuvre de Jacques Rivette qui ne ressemble en rien à celle de ses contemporains. Le réalisateur sait s’effacer pour observer, d’abord ses comédiens en les laissant improviser, mais aussi les décors : rues, campagne, intérieurs des maisons, etc, qui deviennent des personnages.

Rivette construit des mises en scène à la fois théâtrales et picturales, dans lesquels se glissent des récits romanesques, souvent mystérieux et explorant ludiquement les lisières de plusieurs genres. Il remet ses films dans les mains des ses acteurs mais surtout de ses actrices qui occupent une place prépondérante. Et parce qu’il faut faire des choix parmi les films de cette belle rétrospective nous avons voulu nous concentrer sur une période d’expérimentation pour Rivette allant de 1974 avec Céline et Julie vont en bateau à 1981 avec Le Pont du Nord en 1981.

Actrices ou co-scénaristes

Après les longues intrigues balzaciennes d’Out 1 : Noli me tangere – co-réalisé avec Suzanne Schiffman- distribué en huit parties d’une durée de 12h30 puis dans une version « courte » Out 1 : Spectre de 4h20 où Rivette narre l’histoire d’un complot (leitmotiv de son cinéma) et l’idée d’une troupe de comédien.nes. Parmi lesquelles apparaissent entre autres, Bulle Ogier, Juliet Berto, Bernadette Lafont qui ne sont jamais muses du cinéaste mais participante actives à la création de personnages féminins forts et résolument modernes puisque jamais objets du réalisateur. Avec Céline et Julie vont en bateau, Jacques Rivette fait rentrer le fantastique tout en préservant le mystérieux complot dans son oeuvre. Ici, Juliet Berto, Céline et Dominique Labourier, Julie, par un foulard abandonné dans le parc Junot (18ème arrondissement) et une longue course-poursuite à travers le quartier Montmartre, se retrouvent inexorablement liées l’une à l’autre.

C’est de ça dont il va être question dans les films de cette période, des duos de femmes marginales reliées par des choses qui les dépassent. Juliet Berto et Bulle Ogier, filles rivales de la Lune et du Soleil descendue sur Terre, jouent avec les humains dans l’occulte et durassien Duelle, Bernadette Lafont en cheffe de pirate et Géraldine Chaplin liée à elle par la mort de son frère qu’elle va chercher à venger dans le mystérieux et costumé Noroît, Bulle Ogier et sa fille Pascale Ogier, ici Marie sortant de prison et Baptiste, jeune femme errante se retrouvent à déambuler dans les rues parisiennes dans une forme de liberté totale. Seul dans Merry-Go-Round, le duo principal est mixte, Maria Schneider et Joe Dallesandro, Léo et Ben, se retrouvent mêlés à une étrange histoire après un télégramme de la soeur de la première, petite-amie du second.

D.R.

Évoluant à leur guise devant la caméra de Jacques Rivette, ces actrices, scénaristes malgré elles, incarnent des femmes dans des mondes en apparence réalistes, cachant des terriers d’Alice où la magie apparait. Les rôles masculins, quant à eux, sont presque absents, ont des dialogues et du temps d’écran plutôt limités et ne sont étrangement que des faire-valoir, parfois ridicules, de ces personnages féminins. Si elles jouent entre elles, les actrices de Rivette créent une interactivité avec les spectateur.rices les entrainant dans leur fantaisie où aucun de leur geste n’est prévisible. Céline et Julie se retrouvent malgré elles impliquées dans un étrange drame théâtral se déroulant dans une maison où les personnages semblent condamner à rejouer les mêmes scènes, auxquelles elles assistent en suçant un bonbon magique. Assise sur un coffre de l’appartement, elles créent elle-mêmes la mise en abyme du film dans le film à laquelle nous assistons, observant leur rôles de spectatrices.

À l’heure où l’on parle de male et female gaze dans la manière de filmer les femmes au cinéma, Rivette semble avoir un temps d’avance dans sa manière d’amener la création collective avec ces comédiennes dans un esprit de sororité très contemporain. Le Pont du Nord y apparait comme paroxysme de cette idée, Bulle Ogier et Pascale Ogier construisant le film à deux. Et malgré leur pérégrinations dans un Paris labyrinthique en jeu de l’oie, elles ancrent leurs personnages dans un présent qui est rarement celui du cinéma. Une poursuite d’héroïnes atypiques présentes dans toute son oeuvre et qui ne sont qu’un argument de plus pour voir et revoir le cinéma de Jacques Rivette.

Rétrospective Jacques Rivette du 5 janvier au 13 février à la Cinémathèque française. Depuis le 12 janvier au Louxor et aux Écoles Cinéma Club (Paris) et ailleurs en France.

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J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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