ART

« Requiem » à Arles – ou le souvenir d’une exposition

© Marie Viguier

«  Requiem » est une exposition de l’artiste peintre et sculpteur Lee Ufan aux Alyscamps d’Arles. Ses installations in situ entrent en résonance avec le lieu. Elles sont des constructions simples et minimales qui invitent à chanter les morts tout en pensant notre rapport au monde, à l’art et à l’infini. L’exposition est visible jusqu’au 29 septembre 2022.

La nécropole des Alyscamps d’Arles est un cimetière antique datant de l’époque romaine. Une allée de sarcophages sculptés mène à l’église Saint-Honorat. Le lieu est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Il est source d’inspiration de nombreux peintres tels que Paul Gauguin et Vincent Van Gogh. L’exposition «  Requiem  » à Arles est une rencontre entre le lieu des Alyscamps et treize relatums (sculptures mettant en relation différents matériaux) de Lee Ufan. Né en 1936 en Corée du Sud, il vit actuellement entre le Japon et la France. Au printemps 2022, l’inauguration de la Fondation Lee Ufan Arles aura lieu dans l’Hôtel Vernon consacrée à l’œuvre de l’artiste.

Simplifier les choses

Lee Ufan, « Requiem », vue de l’exposition aux Alyscamps, Arles. Circle and Straight & Response © Claire Dorn

Lee Ufan réalise un parcours de déambulation dans les Alyscamps avec une série de sculptures qu’il nomme des relatums. Un relatum est un assemblage de matériaux simples déjà existants qu’il se contente de disposer ensemble. Ces structures minimales sont une rencontre entre objets naturels (pierre, ardoise) et objets manufacturés (métal, fer, terre cuite), par exemple The cane of Titan juxtapose un bâton d’acier en équilibre sur un bloc de roche. Ses œuvres sont des poèmes visuels où le dépouillement crée l’intensité.

Il cofonde, à la fin des années 1960, le mouvement artistique d’avant-garde du «  Mono-Ha  », «  École des choses  » en japonais. Ce mouvement s’oppose à une tradition occidentale et consumériste de l’art. Pour cela, il use d’un vocabulaire géométrique élémentaire (cercle, ligne, carré) et œuvre selon les notions du non-faire et de la non-création. Ainsi, l’artiste ne transforme pas mais agence des éléments ensemble. Son travail consiste à choisir les matériaux, à les disposer, à les combiner et à les penser dans leur rapport avec l’espace et le temps. L’intervention de l’artiste se voulant la plus minime possible et le geste artistique simplifié. 

Cependant, il explique qu’en déplaçant une pierre ou une tige de son environnement premier, il lui enlève de sa puissance. C’est pour cela qu’en créant ses installations, il cherche à produire un acte de consolation qui réinsuffle de cette puissance perdue aux éléments. La seule peinture de l’exposition, Response, cherche la même simplicité. Lee Ufan appose, sur un tableau blanc, en un coup de pinceau répété, une unique touche de peinture d’un dégradé de couleur du spectre coloré.

Faire résonner l’œuvre aux alentours

Lee Ufan, « Requiem », vue de l’exposition aux Alyscamps, Arles. The Requiem Path © Claire Dorn

Lee Ufan définit l’art comme «  la combinaison de la pensée intérieure et de la réalité́ extérieure » dans le livre L’art de la résonance (2013) qui réunit les textes de l’artiste traduits en français par Isabelle Charrier et préfacés par Henri-François Debailleux. 

Il use de ce qu’il nomme le «  principe de résonance  » pour expliciter cette modalité artistique . Elle consiste à penser les œuvres dans leur lien à l’environnement qui les contient. Les systèmes que Lee Ufan met en place permettent d’augmenter l’amplitude du lieu qui les accueille. Il attire notre attention sur la relation entre art et nature. Il prend l’exemple du tambour qui, par l’effet du battement de la main sur la peau, fait retentir l’instrument par la vibration de l’espace vide qui l’entoure. Ainsi, les clochettes de l’installation The Requiem Path, accrochées aux arbres, desquelles pendent une étiquette, tintent au gré du vent tel un hommage rendu aux disparus. Elles s’activent grâce aux aléas extérieurs et résonnent en écho dans les allées de la nécropole. 

Grand lecteur de philosophie, il dialogue notamment avec la phénoménologie de Maurice Merleau-Ponty. Il théorise le chiasme : dispositif de croisement, c’est-à-dire d’inséparabilité et de réversibilité, entre le corps et le monde. Dans L’œil et l’esprit (1985), Merleau-Ponty définit cette expérience ainsi : «  Un corps humain est là quand, entre voyant et visible, entre touchant et touché, entre un œil et l’autre (…) se fait une sorte de recroisement, quand s’allume l’étincelle du sentant-sensible  ». Ainsi, le miroir est paradigmatique de cette pensée. Il montre visuellement cette réversibilité  : je vois mais je suis vu dans le même temps. De même, The Narrow road présente un couloir de miroir au sol encadré par deux pierres semblables à des stèles. Telle une psyché inversée, la surface en miroir me reflète et reflète ce que le lieu donne à voir.

Penser l’infini et le vide

Lee Ufan, « Requiem », vue de l’exposition aux Alyscamps, Arles. The Solitude & Duelling. © Claire Dorn

«  Je pense avec ma tête, je peins avec ma main et je marche avec mes pieds, en quête d’un quelque chose ». Lee Ufan ne cherche ni à représenter, ni à signifier quoique ce soit. Il médite sur l’indicible et l’invisible. Pour cela, il traque et examine l’espace, les reflets, le vide et les ombres c’est-à-dire ce qui est présent mais qui ne se voit pas ou presque pas. The Solitude est un boulet de pierre posé sur un sol de graviers blancs dont l’ombre fictive dessinée parterre se double d’une ombre réelle provoquée par un projecteur. Il nous invite ici à voir ce que la première perception ne nous révélait pas. 

Ces œuvres ne sont donc pas la finalité pour celui ou celle qui les regarde. Elles sont des ponts pour penser autrement et pour ressentir des sensations nouvelles. De même, que ce lieu est un lieu de passage entre la vie et la mort, nous sommes littéralement conduits à traverser les œuvres et à nous laisser traverser par ce qu’elles provoquent en nous. On passe sous une arche, on marche entre deux blocs de pierre, on est saisi par un changement de lumière, on apprend à voir un peu différemment. Les œuvres nous guident vers une expérimentation du silence, de la médiation et de la fusion avec l’alentour ouvrant à une idée de ce qu’est peut-être l’infini, une sensation fugace mais puissante d’être là. 

Le commissariat de l’exposition est assuré par Alfred Pacquement.

Exposition «  Requiem  » de Lee Ufan, Nécropole des Alyscamps. Avenue Des Alyscamps, 13200 Arles. Jusqu’au 29 septembre 2022. Contact au 04 90 49 36 36 ou www.patrimoine.ville-arles.fr. Horaires  : Ouvert toute l’année sauf les jours fériés. Basse saison : de 10h à 17h. Haute saison : de 9h à 19h.

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