Le 21 janvier dernier Ex-voto, le nouvel album de Lonny, est sorti. Un petit bijoux folk, teinté d’une certaine mélancolie. Nous l’avons rencontrée pour discuter de son rapport à la création musicale, au Québec et à l’ésotérisme. Prendre le temps de ralentir la cadence, s’encrer dans les choses simples de la vie quotidienne, embarquez dans le doux monde de Lonny.
Comment vas-tu ?
Je suis un peu en état de grâce ! [rires] En fait ça va bien, contrairement à la période. J’ai absolument conscience de beaucoup de choses très sombres et qu’on vit une drôle de période mais moi très très égoïstement je vais très bien. On reportait l’album depuis un an donc là je suis en train de délivrer un travail que j’ai accompli depuis trois ans. Finalement je suis quand même très contente. C’est quand même aussi très très très agréable d’emmener l’album enfin vers l’extérieur et d’avoir enfin un retour des gens, je commence à avoir mes premières photos des gens avec le vinyle. Quand tu as autant bossé pour un disque, que tu as autant fait d’introspection et que tu t’es autant sentie con pour le faire, là du coup j’ai un peu un truc de « ça fait du bien de sortir du monde de mes idées venir dans le réel, dans le concret ». Là moi personnellement ça va vraiment bien.
Comment es-tu venue à la musique ?
J’avais six ans quand j’ai été appelée par la musique. C’était vraiment très instinctif, ce sont des choses qui viennent de l’enfance, c’est presque animal ce qu’il se passe à cet âge là. J’ai eu la chance d’être dans une famille où on m’a proposé de faire un instrument. Mon père voulait que je fasse de la guitare et par réactance je lui ai dit non alors que j’aurais dû, j’ai fait de l’alto en fait. Je ne regrette pas du tout parce que c’est une approche de la musique très spéciale. J’ai commencé à cet âge-là et j’ai eu une approche plutôt classique.
Après ça a basculé via les écoutes. J’ai commencé à écouter des choses comme la folk des années 70. Et puis le chant est arrivé surtout vers 12 ans. J’étais très mauvaise en classe, tout m’amenait à la musique. C’était un peu le seul endroit où j’étais bien et où j’avais l’impression que j’étais en maîtrise. Tous les autres sujets de la vie ne marchaient pas trop. Ça m’a vite défini la musique et je crois que j’y suis arrivée par la musique pas par le texte.
Comment est arrivé l’écriture des textes ?
J’aimais chanter et il fallait que j’ai des textes, je ne voulais pas chanter dans le vent. J’ai dû apprendre à écrire d’abord en anglais pour que mes chansons soient des chansons. Il fallait un truc qui collait. C’était plutôt une écriture dans la reproduction un peu plus légère. J’ai commencé à faire un travail de centrage et d’alignement. Je me suis dit que ce serait intéressant que je me livre vraiment dans ce que je faisais. J’ai mis du temps à avoir un projet solo. J’ai d’abord fait des groupes, des duos. Le temps que le projet mûrisse, je me suis demandée ce que ça racontait de chanter en anglais quand on n’est pas anglophone de naissance. Pour moi, ça ne racontait pas quelque chose d’intéressant, c’était plus pour faire comme les autres.
On est imprégné d’Amérique. Instagram est américain et ça fait rêver. Tu me mets devant un western je pleure. Il y a un moment où je me suis demandé ce que ça racontait de renier autant sa langue maternelle. Ça veut aussi dire qu’il faut que tu aies quelque chose à raconter. Pourtant, il y a des musiciens qui sont tellement bons en musique qu’on se fiche de ce qu’ils racontent, par exemple les Beatles. J’essaie de mettre le texte et la musique au même niveau. Les textes des autres me touchent, c’est une dimension très intéressante. Souvent les moments où je me mettais à pleurer pendant une chanson étaient liés au texte.
Et je trouve qu’en France on est plutôt pas mal en matière d’artistes qui chantent en français comparé à d’autres pays d’Europe par exemple.
Oui la langue française a quand même un rayonnement international. Après, ça m’a posé la question :« Est-ce que je fais de la chanson parce que je chante en français ? ». Et la réponse est non pour moi. Je ne peux pas citer Brassens dans une interview. On parlait de ça avec un copain et il me disait « la différence entre un chanteur qui chante en français et un chanteur qui fait de la chanson c’est la possibilité de citer Brassens en interview » [rires]. Moi je ne peux pas, je n’écoute pas Brassens. Quand tu n’as pas écouté de chansons françaises et que t’es plutôt fan de musique anglo-saxonne, c’est compliqué de se mettre au français, de trouver son truc là dedans. Tu es un peu comme une petite maison entre pleins de buildings.
Tu es née à la montagne et pourtant le vocabulaire de l’eau revient très souvent dans tes chansons comment cela se fait-il que tu sois autant attachée à l’élément de l’eau ?
J’ai toujours été fan des sirènes. Quand j’étais petite, je regardais la petite sirène en boucle. Il y a quelque chose que je trouve très beau dans l’eau, une espèce de grâce dans les choses aquatiques que je trouve sublime. Après la mer c’est un endroit qui reste très mystérieux pour moi, plus que beau. C’est un endroit qui recouvre tout un endroit que l’on ne connaît pas. Ça me plonge instantanément dans un état de mélancolie donc je n’ai pas forcément de souvenirs très joyeux.
Je suis beaucoup partie à la mer pour écrire. Je suis allée en Normandie parce que je n’aime pas écrire chez moi, j’ai besoin d’écrire ailleurs. J’ai un peu fait toute la côte Normande, je louais à chaque fois des petits Airbnb. C’est souvent des moment que je passais seule, ça ne s’est pas forcément passé en été. Pour moi, la mer c’est pas trop Biarritz avec une glace et des potes c’est plus la Normandie toute seule et les galets. C’est un peu sombre et il y a aussi une notion de contemplation qui sont des moments rares et précieux. Ça aurait pu être les étoiles ou le vent mais pour des raisons pratiques ça a été la mer [rires].
Il y a une belle référence au style artistique romantique du 19ème siècle.
J’aime bien les légendes du Rhin, la Lorelai, Ondine. Mais la Petite Sirène aussi m’a marquée quand j’étais petite, parce que la vraie histoire de la petite sirène c’est qu’elle échoue. Elle ne réussit pas son pari d’embrasser le prince sous trois jours. Elle est transformée en écume et c’est juste hyper triste. Il y a quelque chose comme ça qui a dû inspirer cet album. C’est pas du tout conscient. Je l’ai vu à la toute fin, quand j’écrivais les dernière chansons, et je me suis demandé si je devais me censurer ou pas. J’aurais peut-être dû lui donner un nom en rapport avec l’eau, Ex Vol’eau [rires]. Mais ça se sent rien que dans la pochette.
Pourquoi avoir appelé ton album Ex-Voto ?
Alors c’est l’un des premiers mots qui m’est venu en écrivant, en lançant la session d’écriture en français. Je lisais à ce moment-là un livre de Clarissa Pinkola Estés, auteure mexicaine, qui a écrit Femmes qui courent avec les loups. Elle commence par une image d’ex-voto et je ne savais pas du tout ce que c’était. J’y suis vachement revenue à ce livre, ça a donné Incandescente, qui est la première chanson que j’ai écrite. A la base Incandescente s’appelait Ex-Voto, par hasard. C’est ésotérique mais j’ai fait un rêve dans lequel la chanson que j’avais écrite s’appelait Incandescente, et du coup j’ai changé je me suis dit que si un rêve me disait quelque chose c’est qu’il fallait que je le change.
Je suis quand même allée voir ce que voulait dire Ex-Voto qui est une offrande que tu fais suite à un voeux. Ça se fait beaucoup en Amérique du Sud et souvent pour des voeux de guérison et souvent les offrandes sont des petites icônes, matérialisées par un cœur dans un soleil. C’est cette idée de guérison qui m’a vachement émue. Si tu veux guérir à l’intérieur de toi-même, cela appelle à du recueillement et à de l’humilité. Se dire que tu as besoin que quelque chose guérisse, oblige à t’inventer ta guérison. Cela demande de la créativité. J’ai pris conscience que ces chansons là étaient écrites dans la volonté de guérir de certains maux qui n’ont malheureusement pas d’autres solutions que d’essayer d’être en paix et de lâcher prise.
Tu as parlé d’ésotérisme, c’est important dans ta création artistique ?
Oui, je pense que la musique est un acte magique. Ce qui fait que ça marche, ce qui fait que tu atteins une forme de grâce. Quand je dis ésotérique ça veut dire que c’est totalement impalpable. Il n’y a pas de recette, ça se situe à un endroit qui nous dépasse un peu. Puis, dans la notion d’ésotérisme, il y a aussi l’idée d’’humilité. C’est comme si c’était au dessus de tout. C’est d’ailleurs pour ça que pour moi c’est au dessus de certains sujets de société. Chez moi, la musique n’est pas du tout politique ou alors politique dans le sens d’être au dessus de nous et d’être c’est censé nous élever. J’ai besoin de me connecter et de me mettre dans un état presque de transe. Il faut que certaines choses soient alignées pour que ça fonctionne. C’est le truc qui fait que la même chanson jouée à la note près ne va pas être la même selon quel individu la chante.
Pourquoi avoir voulu enregistrer ton album à Montréal ?
J’ai toujours été proche de Montréal parce que j’ai mon frère qui y vit depuis 15 ans. J’allais le voir, c’était des voyages familiaux. Puis, je me suis aperçue que tout ce que j’aimais venait de là-bas : du Canada et de Montréal. Ça a toujours été une scène qui m’a plu. Dans l’approche, il y a une espèce de fantaisie, de loufoquerie. Il y a beaucoup de permission avec la musique que je n’ai jamais trouvé en France. C’est très libre et prodigieux en production. Arcade Fire est quand même un groupe qui a changé la donne, Godspeed You Black Emperor pareil, Patrick Watson. Pour moi c’est une terre de musique et de la musique que j’aime. J’ai fait une tournée là-bas, toute petite, totalement informelle, une tournée des auberges. En tout cas, c’était ma rencontre avec le public québécois et ça je n’oublierai jamais.
Comment est le public là-bas ?
Il aime la musique donc il t’écoute mais en même temps il est un peu dur. Il y a moins de politesse qu’en France. S’ il n’aime pas, il n’aime pas, il fait moins semblant. Je suis tombée sur une espèce de fée en France, Olivier Boccon-Gibod, le patron de mon label. Quand je l’ai rencontré il m’a demandé ce que je voulais faire, je lui ai dit mon rêve, ce qui me passait par la tête. Je lui ai dit qu’enregistrer à Montréal, ça serait vraiment le truc. Mais au départ, j’y pensais même pas, parce que j’étais en auto-prod. Je ne pouvais du tout m’offrir un album pareil. Il m’a présenté à un label québécois et ça a marché. Je me suis retrouvée à enregistrer avec un artiste que j’adore qui s’appelle Jesse Mac Cormack qui est signé chez Secret City Records, le même label que Patrick Watson. On est allé aussi en Estrie, à une heure et demie à l’Est de Montréal et c’est magnifique.
Le Canada est un pays où il faut prendre le temps d’aller de découvrir et de s’imprégner de la culture.
On s’est retrouvé là et on a enregistré dans une maison qui s’appelle le B12. C’est un studio qui est une ancienne maison d’architecte des années 70. Une partie de la maison est devenue un studio. C’est dingue parce que tu as des patchs partout qui te donne la possibilité d’enregistrer dans la cuisine si tu veux. Toute la maison peut être une pièce d’enregistrement. Tu as une baie vitrée avec une vue sur l’extérieur avec un lac.
Je comprends mieux l’ambiance générale qui se ressent sur l’album.
Il y a des prises sur l’album, par exemple la fin de Les Chagrins, c’est un dîner. On a mis un micro sur la table lors d’un dîner, on a bouffé et on a mis la prise en accéléré. Tu entends des bruits de couverts sur cette chanson. J’ai besoin de réel. J’ai besoin d’inclure du quotidien. Par exemple, j’aime beaucoup l’album de Feist, The Reminder . Il y a beaucoup de passages parlés, des pas dans la neige. J’aime bien ça.
Où est ce que tu te sens le plus apaisée ?
La côte irlandaise, ça m’apaise. Prendre des grosses rafales dans la tronche en Irlande, ça me fait du bien, ça ralentit quelque chose en moi. Je te réponds avec l’humeur du moment mais aujourd’hui c’est ça.
L’Ecosse c’est un peu dans le même genre. C’est positif ou négatif pour toi la mélancolie ?
C’est toujours compliqué, mais je pense qu’à dose raisonnable c’est positif. C’est une question de dosage. Il y a un point où il ne faut pas glisser. C’est un équilibre. Je pense qu’avoir besoin de mélancolie pour trouver de l’intérêt aux choses et créer, c’est le niveau 1. Je crois qu’il y a un niveau deux où un jour tu apprends à écrire sans ça. Mais, je n’y suis pas encore, je n’y suis pas du tout passée. J’ai l’impression qu’en étudiant les grands maîtres [rires] il a été possible d’écrire des choses formidables dans la joie. Peu de gens y arrivent mais tu passes un peu de Padawan à Jedi en fait [rires]. Un jour, j’aimerais bien faire des chansons qui ne soient plus tristes, même si elles ne sont pas si tristes, mais j’aimerais vraiment me nourrir de la joie.
En portugais il y a un mot qui s’appelle la Saudade et c’est un peu un entre deux.
C’est peut être la mélancolie dosée, raisonnable. Je sais que moi à trop haute dose je vais vers quelque chose qui n’est pas intéressant. Ça devient une forme de mollesse et de complaisance.
Oui, la tristesse c’est plus facile d’y rester que dans la joie.
La joie ça peut te sortir de toi même alors que la tristesse tu y restes. Tu n’es pas quelqu’un d’autre quand tu es triste. Hier, j’écoutais l’Hymne à la joie sur France Inter, c’est beau et c’est joyeux et ça te donne envie de pleurer. Il a aussi écrit la Sonate au Clair de Lune donc il a écrit des choses vachement triste et déchirante. Il a fini sa carrière par l’Hymne à la joie, je me suis dit typiquement lui il est passé au niveau 2. C’est Bethov quoi petit artiste indé [rires].
Quel serait ton plus beau souvenir de concert ?
C’est dur ! Ma réponse de tête à claque c’est que je n’ai pas de souvenir de concert. Les concerts qui se passent bien souvent je ne me souvient plus de ce qu’il s’est passé. Ça veut dire que j’ai lâché prise et donc je ne peux pas te restituer ce qu’il s’est passé parce que ça s’est bien passé.
Après évidemment qu’il y a des moments dingue. Par exemple, un super souvenir qui me vient c’était avec mon ancien groupe qui s’appelait TARA, c’était un duo. On a fait un concert à Tarnac, c’est un village qui vit en communauté, complètement communiste, c’est des gens géniaux. L’ambiance était folle, on a été accueilli dans cette communauté et on a fait le concert dans un champ au coucher du soleil. Une fois que la nuit est tombée on les a fait bouger dans une église à 100 mètres. On a fait une espèce de fanfare, une parade et on a fini le concert dans l’église. C’était dingue parce que c’était inattendu. Je ne sais pas si je l’aurais fait toute seule. J’avais un peu l’impression d’assister à mon propre concert.