CINÉMA

Rencontre avec Angela Schanelec – L’enfance, belle et grande

Angela Schanelec
© Shellac

À l’occasion de la sortie en salle de son dernier long métrage, nous avons pu nous entretenir avec la réalisatrice allemande Angela Schanelec (Ours d’argent de la meilleure réalisatrice 2019), trop peu connue en France. En salle depuis le 5 décembre, J’étais à la maison, mais… scrute avec attention et rigueur les liens qui se font et se défont à l’intérieur de la cellule familiale. Ce sont les enfants qui, toujours, rattrapent l’adulte sur le point de sombrer sous le poids de la responsabilité.

Angela Schanelec, il est beaucoup question de texte et de parole dans votre film. Mais ce sont surtout des dialogues qui n’éclairent pas forcément les motivations des personnages ou encore qui ne font pas avancer la narration dans un sens linéaire. Quelle place a cette parole dans le film  ?

Le dialogue n’est en effet pas là pour faire avancer la narration. Jamais. Le dialogue m’intéresse en tant que parole parlée, dite, en soi. Il est lié à la situation qui elle-même fait émerger le dialogue. Il ne se laisse pas instrumentaliser pour tracter la narration. 

J’ai le sentiment que vous laissez une grande place à la théâtralité dans votre film. D’une part par la mise en scène de Hamlet mais aussi par la direction d’acteurs et la mise en scène.

Je n’ai pas l’impression qu’il y ait tant de théâtralité que ça dans le film. Il faut peut-être que l’on se mette d’accord sur la définition du concept de théâtralité. Parce que en réalité il n’y a pas de jeu théâtral dans le film. Même s’il y a des vers qui sont récités par exemple avec Shakespeare, ou même si la mère réagit de manière émotionnelle, pour moi ce n’est pas quelque chose de théâtral en soi. 

J’étais à la maison mais… © Shellac

Je pense à une scène en particulier dans laquelle les professeurs de Philip sont réunis pour discuter de son cas. Ils se trouvent dans cette salle, tous immobiles, et prennent la parole chacun leur tour comme s’ils s’adressaient à un public. C’est cette séquence qui me fait penser au théâtre  ; la mise en scène m’a semblé être une véritable scénographie. 

On pourrait alors définir la théâtralité comme une forme de sévérité formelle. Il n’y a pas de jeu naturaliste. Je ne fais pas en sorte que cela puisse paraître authentique. Ce qui m’importe c’est de rendre la mise en scène sensible. Je veux que l’on voie qu’il y a une mise en scène. 

Si c’est dans ce sens que vous concevez la dimension théâtrale, alors on peut dire que la forme doit toujours être sensible. Pour moi, l’expression émerge à travers la forme. Par exemple, si j’utilise Shakespeare alors la forme est déjà présente puisqu’il y a les vers. Mais si je choisis de tourner une scène avec un plan fixe alors la forme devient aussi sensible. On la voit, elle est là. C’est à partir de cela que je peux exprimer quelque chose et que la situation peut advenir. A mon sens, il faut toujours comprendre la forme comme une contrainte. Et c’est justement la contrainte qui rend possible le fait de s’exprimer. 

Vous avez parlé d’expression et il y a quelque chose qui m’a marquée dans votre film, c’est votre refus, apparent du moins, du symbole.

C’est compliqué. Je crois qu’il est très difficile d’éviter les symboles. Ce que l’on peut faire, c’est comme avec un livre, les feuilleter. Quand la mère tombe à genoux devant son fils, on pourrait facilement lire cela comme un symbole. Mais c’est aussi ce que l’on voit tout simplement. Une femme à genoux devant son fils. Et là, le symbole ne vide pas l’image. 

J’aimerais revenir sur le titre du film, J’étais à la maison, mais… Comment vous est-il venu  ? Et surtout, qui ce «  je  » désigne-t-il finalement  ? 

Le « je », c’est moi. Il y a évidemment dans ce titre un lien avec Ozu et son titre Je suis né, mais… que je trouve très beau. Ce « mais » remet tout en question. Il y a d’abord une déclaration : je suis né ; je suis à la maison. Et cette façon de tout remettre en question mène à une ouverture, elle rend possible le fait de raconter des choses. On pourrait dire que « je », c’est la mère. Mais « je », c’est moi. Parce que c’est moi qui regarde, c’est moi qui tourne le film et qui l’écris. Et si « je » c’est moi alors c’est aussi le spectateur. « Je » c’est donc le spectateur, celui qui regarde. 

Angela Schanelec
J’étais à la maison mais… © Shellac

Les séquences d’ouverture et de fin se répondent avec la présence de l’âne, du renard et du lapin. Vous souhaitiez donner un cadre à votre film  ?

La structure de cadre n’a émergé que parce que j’ai tourné avec les animaux et qu’à un moment l’âne a regardé dans la caméra. J’ai donc voulu terminer avec eux pour cette raison. Au départ, quand j’avais réfléchi à la structure du film, je les voulais simplement à l’ouverture. J’ai simplement accepté que cela soit comme cela, parce que ça s’est imposé à moi. Mais ce n’est pas quelque chose que j’ai choisi.

Entre ces séquences, le film prend pour cadre la ville. Est-ce un lieu propice à la solitude de vos personnages  ?

A propos de la solitude, je ne me donnerais pas comme tâche de montrer que les gens sont seuls. A mes yeux c’est une déclaration trop générale. Je ne sais pas ce que je pourrais faire d’une telle phrase. C’est à la fois trop compliqué, ça englobe trop de choses et ça ne suffit pas de déclarer cela. On retrouve la question de la solitude chez chacun. Toute l’existence humaine repose là-dessus. L’homme doit toujours décider de s’il est seul ou non. C’est donc très complexe. En tant que contenu, c’est à la fois trop et trop peu.

Pour nuancer cette question de la solitude, votre caméra saisit un très beau lien entre les enfants et les adultes. Lorsque Astrid (Maren Eggert) reproche à sa fille d’avoir fait à manger en son absence alors que cela lui est interdit, elle semble complètement perdre la raison. Mais les enfants tentent de rétablir un contact en lui faisant un câlin. Elle les repousse. Et ils reviennent. A quoi renvoient ces enfants  ?

Le fait que l’enfant aime toujours la mère et qu’il voudrait toujours l’amour de la mère fait naître une immense responsabilité chez elle. Avoir des enfants veut dire se confronter à cet amour mais aussi être digne de cet amour. L’enfant sera toujours du côté de la mère et c’est ce que l’on voit dans cette scène. On voit l’injustice des parents mais aussi comment ils peuvent être faibles alors que les enfants peuvent être forts. Il est aussi question de cela dans ce film.

Angela Schanelec
© Shellac

A un autre moment, la mère est faible mais cette fois-ci ses enfants ne sont pas là. Elle se laisse tomber sur la tombe de son défunt mari et c’est alors la musique qui prend le relai.

A ce moment-là, c’est très simple  : la musique est une consolation. Elle commence dans le cimetière mais ensuite on voit les enfants danser avec la mère dans la chambre d’hôpital. Et là aussi, il s’agit d’une consolation. Il s’agit de consoler celui que l’on ne voit pas, le père. A ce moment aussi, les enfants sont forts. Un autre mot pour musique, à ce moment-là, pourrait être consolation. Ou force.

Il y a un très beau geste qui revient par deux fois dans votre film  : le couronnement d’un enfant. A quoi renvoie ce geste pour vous  ?

Je trouve cela très beau de mettre une couronne à un enfant. A travers la pièce de théâtre et à travers cet enfant dans le supermarché, j’ai eu la possibilité de le faire. En fait, cela raconte la même chose  : c’est le souhait de montrer les enfants beaux et grands et importants. Je veux leur donner de la place. Mon souhait était de couronner l’enfant. 

A un moment, Astrid rend visite aux professeurs de son fils, Philip (Jakob Lassalle). Elle déplore alors le manque de mots pour décrire «  cet état entre le devenir et l’être  ». Est-ce que le cinéma est, pour vous, un moyen de rendre manifeste cet état  ?

Je n’y ai jamais réfléchi (rires)  ! Je n’ai jamais vu le cinéma de cette façon-là  ! J’ai juste essayé d’attraper ce que la mère dit à ce moment mais ce que ça peut dire du cinéma, je n’y ai jamais réfléchi !Mais ce que je peux répondre, c’est que le cinéma travaille toujours avec le temps. Son matériau est le temps. Il travaille avec le changement, avec le développement, avec l’évolution ou la stagnation dans le temps. Peut-être que le devenir est là-dedans. 

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