CINÉMA

Les adieux à Sidney Poitier

Mort de Sidney Poitier
© Gordon Par/Flickr

Hollywood a dit adieu à l’un de ses plus grands acteurs le 6 janvier 2022. Sidney Poitier s’est éteint à l’âge de 94 ans. Il laisse derrière lui une carrière brillante, consolidée par des engagements qui marqueront d’une trace indélébile la société américaine et le monde du cinéma. 

Découvert à la fin des années 40, Sidney Poitier se démarque en obtenant des premiers rôles complexes, loin des seconds rôles mineurs réservés aux acteurs noirs à l’époque. Il sera l’un des premières acteurs afro-américains à se présenter comme un acteur dramatique, cassant les codes de l’époque, qui réservaient aux artistes noirs des rôles de chanteurs ou de musiciens – généralement des rôles mineurs et extrêmement stéréotypés. 

À l’âge de 22 ans, il est révélé dans No Way Out, de Joseph L. Mankiewicz (All About Eve), produit par  Darryl F. Zanuck. C’est son premier rôle au cinéma, et il livre une performance mémorable, devant la caméra de l’un des réalisateurs les plus emblématiques de l’époque. No Way Out apparait immédiatement comme l’un des films majeurs sur le racisme, peignant un portrait cru et graphique de la violence raciale.

Sidney Poitier confirme son ascension en jouant aux côtés de Glenn Ford dans Blackboard Jungle. Il donne ensuite la réplique à  Tony Curtis dans The Defiant Ones, de Stanley Kramer. Son rôle lui vaudra une nomination aux Oscars, faisant de lui le premier acteur afro-américain à être nommé pour l’Oscar du meilleur acteur. Il remportera un BAFTA pour son interprétation. C’est le début d’une longue liste de distinctions, avec notamment deux Golden Globe, dont celui du meilleur acteur en 1960 pour son rôle dans Porgy and Bess, qui récompenseront son immense talent.

Un fervent défenseur des droits civiques

Malgré un succès fulgurant au cinéma, c’est aussi au théâtre que Sidney Poitier affirmera sa volonté de changer les moeurs à travers son art. En 1959, il joue A Raisin in the Sun à l’Ethel Barrymore Theatre, sur Broadway Avenue. La pièce, jouée devant un public majoritairement blanc, met en scène une famille noire du South Side de Chicago. C’est la première fois que le quotidien de la communauté noire est mis en scène de cette manière. La critique s’enflamme mais s’accorde à dire que la pièce a changé, sans doute pour toujours, le théâtre américain. Déjà, l’impact culturel de Sidney Poitier se fait ressentir. 

Refusant de taire la violente réalité d’une communauté persécutée, il fera souvent le choix d’incarner des rôles complexes dans des films dénonçant la ségrégation et le racisme. C’est le cas de ses rôles dans Guess Who’s Coming to Diner ? , l’un des premiers films à mettre à l’écran un couple mixte. C’est pour Lilies of the Field (1963) qu’il reçoit l’Oscar du meilleur acteur, une première pour un acteur noir. Dans son discours, il rendra hommage à tous ceux qui ont tracé la longue, longue route, lui permettant d’accéder à la consécration suprême.

« Je ne peux pas être le seul  »

Dès lors, Sidney Poitier devient un symbole. Pour des millions d’américains, il représente l’espoir, la possibilité d’une Amérique nouvelle où tous les rêves sont permis. Il portera le poids de ce combat dans tous ses engagements personnels. Malgré ses succès personnels, il restera toujours lucide sur l’hypocrisie d’Hollywood, conscient que l’industrie l’adoube tout en n’ouvrant pas de nouvelles portes pour les autres acteurs de couleur. Il faudra en effet attendre 40 ans pour que Denzel Washington devienne le deuxième acteur afro-américain à remporter l’Oscar du meilleur acteur. Le mot d’ordre de Sidney Poitier restera toujours : «  Je ne peux pas être le seul ».

Un acteur brillant

Au-delà d’un engagement social majeur, indissociable de son travail d’acteur, il faut souligner que Sidney Poitier a offert au public des rôles mémorables. Son jeu, toujours empreint de subtilité, mêle une force viscérale à une sensibilité désarmante. Doué d’un charisme naturel qui lui permet d’endosser des rôles principaux avec une aisance déconcertante, il se démarque toujours pas la profondeur de son interprétation. Il capture avec aisance les tensions les plus déchirantes, donnant vie à des personnages complexes et profonds. Son talent, bouleversant et incontestable, lui conférait déjà le statut des grands. Récompensé par tous les honneurs, il recevra le Cecil B. DeMille Award, le Kennedy Center Honor et un Oscar d’honneur. Il sera aussi fait chevalier honoraire par la reine Elizabeth II.

La vie de Sidney Poitier laisse comme une trace de grandeur dans le grand firmament du cinéma. De son talent à sa volonté de transcender les conventions et la place des artistes noirs dans la société américaine, il a mené une vie grandiose, au service de son art et du bien commun. DC Comics s’inspirera de lui dès les années 70 pour dessiner l’un de ses supers héros. Le signe qu’il continuera, pour longtemps encore, d’inspirer des générations entières à transcender les normes et les interdits.

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