La jeune maison d’édition parisienne Beta Publisher publie Loin du Coeur, recueil de nouvelles sur les violences faîtes aux femmes, en soutien à l’association française Solidarité Femmes.
Le 27 novembre, deux jours après la journée internationale contre les violences faîtes aux femmes, le BKNK café, QG des éditions Bêta Publisher fondée par Camille De Decker en 2016, accueillait la soirée de lancement du recueil de nouvelles Loin du cœur. Quelques jours après la grande marche nationale qui a réuni des milliers de personnes à travers la France, le même message était encore une fois porté.
Pourquoi aujourd’hui en 2021, les Nations Unies comptabilisent encore 35 % de femmes dans le monde victimes de violences sexuelles et/ou physiques ? C’est justement pour donner un visage humain à ces chiffres froids que le recueil a été écrit. Empli d’histoires et de témoignages, il est un aperçu du quotidien de ce que des milliers de femmes subissent, et ce, depuis des millénaires.
Naissance d’un projet féministe
Loin du cœur, c’est une idée de Stéphane Bourles. Cet auteur de romans historiques a eu l’année dernière à la même époque l’idée d’un appel à textes pour la publication d’un recueil en soutien à l’association Solidarité Femmes. L’association, dernière le fameux 3919 et la fédération contre les violences conjugales (qui rassemblent un grand nombre d’associations à travers la France), a, dès le départ répondue présente. « Le cœur du projet était dès le départ de reverser tous les droits d’auteur à une association » confie Stéphane, ému de voir du monde remplir la salle du BKNK ce soir-là. Deuxième tâche pour l’auteur, trouver une maison d’édition qui soutienne le projet. Étape plus complexe cette fois-ci, car sur une dizaine de demandes, c’est une dizaine de refus que le projet essuie avant de tomber sur Camille.
Très vite, la machine s’enclenche. L’équipe 100 % féminine (« Ce n’est pas par choix, l’édition est un monde très féminin ! » affirme Camille) de Beta Publisher soutient le projet sans réfléchir. « C’est une cause qui malgré #Metoo a, malheureusement, encore besoin d’être relayée. Les violences ont connu une augmentation impressionnante avec les confinements successifs, même si le nombre de féminicides a, lui, baissé. » poursuit Camille.
Mosaïques de vie
En décembre 2020, l’appel à texte est posté sur internet. 150 textes originaux arrivent de France, de Belgique et de Suisse. C’est finalement 21 d’entre eux qui seront sélectionnés pour composer le recueil. « La sélection ne fut pas simple, avec des récits difficiles à lire, des histoires poignantes et beaucoup de violences crues. Nous avons compris à ce moment-là, que les descriptifs des violences n’étaient pas ce que nous voulions pour le recueil. » me fait part Stéphane, qui a lui-même été témoin de violences conjugales dans son entourage.
L’équipe se tourne alors vers une représentation plus romancée et des témoignages mêlés à de la fiction pour que le recueil puisse atteindre le plus grand nombre . « L’idée était de rendre le recueil digeste tout en le rendant frappant. Il ne fallait pas que le lecteur ait envie de jeter le livre au bout de la troisième histoire » continue Stéphane. Le titre est ensuite apporté naturellement par Camille : « Loin du cœur…C’était un clin d’œil à l’éloignement progressif que vivent ces femmes. D’elle même, de leur compagnon, de l’amour qu’ils partageaient avant que tout ne commence, de leur entourage et de leur estime d’elles-mêmes. »
Plusieurs types de violences
En parcourant les 21 nouvelles, c’est à travers plusieurs pays que l’on voyage. C’est plusieurs types de violences que l’on découvre. La violence physique bien sûr, mais aussi la violence psychologique, financière ou sexuelle. C’est aussi différents points de vue que l’on épouse à travers l’évolution de vies avant, pendant et après les violences subies. Le recueil est pour cette raison une véritable initiative pédagogique.
« Loin du cœur, n’est pas un ouvrage moralisateur. C’est une manière de faire prendre conscience au grand public des mécanismes de la violence. Des émotions que traversent les femmes victimes. Partir, ce n’est pas toujours facile. Il faut être compréhensif et ne pas juger. Ma nouvelle Le Prix de la tranquillité en est un exemple. Le manque de compréhension des témoins et des proches, leur manque de légitimité à intervenir dans l’intimité de quelqu’un, ou pour simplement le fait ne pas vouloir s’attirer d’ennui, peuvent être parfois fatals » explique Stéphane. Les douze auteurs présents ce soir-là étaient là pour le rappeler, la violence prend plein de formes qui s’incarnent dans autant de visages.
L’histoire derrière le chiffre
Loin du cœur sert aussi à rappeler que sur les 35 % de femmes victimes, 8 % portent plainte et que seulement 2 % de ces plaintes, aboutissent. Si #Metoo, le Grenelle contre les violences faites aux femmes de 2019, les témoignages croissant dans la littérature et la presse et la libération de la parole des femmes commencent à faire évoluer la situation, un long chemin est encore à parcourir pour que les institutions suivent la marche. Du processus de changement social en cours doit naître des actions concrètes. Des plaintes véritablement prises en compte et engageantes juridiquement pour les responsables. Une justice solutionniste qui fait peser le poids de leurs actes sur les agresseurs. Des associations mieux soutenues pour agir et aider, et ce, sans attendre les premiers bleus (la violence verbale, financière ou digitale sont souvent le premier pas avant l’atteinte corporelle).
L’effet #Metoo a été à double tranchant. Beaucoup discutent depuis de la parole des femmes qui osent. Notamment en pointant l’argument d’un effet de mode et en décrédibilisant leur expérience. Ou alors, en victimisant les hommes face à de supposées femmes vengeresses qui ne leur permettraient plus de draguer. Certaines femmes ont même défendu le droit de pouvoir se faire siffler dans la rue. Elles présentaient ces pratiques comme appartenant au capital culturel français, en voie de disparition. Il y a une nuance à trouver. De la pédagogie à accomplir encore et surtout, une cohabitation bienveillante à mettre en place.
C’est à travers la revisite du mythe d’Adam et Eve, cette fois ensembles lors du croc fatal. L’histoire de ces deux jeunes filles qui se baladaient juste sur le chemin de la plage. Cette externe en médecine qui ne croit pas que le poignet de madame soit bleu à cause d’une chute. Cette étudiante en éthologie vengeresse qui a décidé de se transformer en louve pour ne plus se sentir chienne. Ou de ce voisin qui entend, qui sait et qui ne fait rien, que le puzzle du recueil tire sa force et construit sa pluralité.
Loin du coeur est à retrouver en librairie, sur internet et chez BKNK, 12 euros.