CINÉMA

« La Fièvre de Petrov » – Un jour si long

La Fièvre de Petrov
© Hype Film

L’actualité cinématographique de ce mois de décembre 2021 est dense. Le deuxième long métrage du réalisateur russe Kirill Serebrennikov, La Fièvre de Petrov, s’est chargé de l’ouvrir avec fracas.

Adapté du roman d’Alexeï Salnikov, Les Petrov, la grippe etc. (2020), le film met en scène les déambulations urbaines hallucinées de Petrov (Semyon Serzin), affecté par une grippe terrassante. Au cœur d’une Russie post-soviétique terne et violente, la fièvre de Petrov circule de corps en corps brouillant progressivement les contours d’une réalité indiscernable. Un deuxième long métrage qui succède dignement à son prometteur premier, Leto.

Tradition russe

Avec La Fièvre de Petrov, Kirill Serebrennikov s’inscrit pleinement dans la tradition d’un cinéma russo-soviétique tiraillé entre la radicalité d’un projet rejetant les formes – esthétiques et politiques – préexistantes et incorporation d’un riche héritage historique.

Par sa narration labyrinthique, voire hermétique en certains endroits, mais aussi par son cynisme politique, La Fièvre est un descendant de l’œuvre du maitre russo-soviétique, Andreï Tarkovski. Comment ne pas penser en effet à l’agonie d’Alexeï dans Le Miroir (1975) dont les souvenirs constituent la trame d’un récit fragmenté, brisé par les méandres de l’histoire (autant personnelle qu’historique)  ? Kirill Serebrennikov devait par ailleurs réaliser une série documentaire sur Tarkovski (Trois Couleurs)  ; l’heureux lignage n’est donc pas anodin.

Toutefois, contrairement à Alexeï alité et à peine entraperçu quelques minutes à la fin du film, Petrov est bien mobile. A tel point que ce sont en grande partie ses déambulations urbaines qui guident le cadre. Déambulations qui se muent en errance, toujours détournées de la droite ligne par la corruption d’un alcool omniprésent.

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Typologie de la violence

La conscience altérée par la maladie est aussi ici une façon pour Serebrennikov de convoquer la cahoteuse histoire de la Russie post-soviétique et de ses habitant.e.s toustes marqué.e.s de façons différentes par un passé et un présent douloureux.

Le délire de Petrov permet au réalisateur de manifester, sous forme de fantasmes, la violence à l’œuvre dans la société russe. L’exécution sommaire de l’ouverture du film fait entrer dans le cadre la violence étatique autrement laissée hors-cadre.

Une telle puissance destructrice emporte tout avec elle. D’abord la structure narrative donc, puis ses personnages. L’épouse de Petrov, Petrova (Chulpan Khamatova), est elle touchée par une autre forme de délire. Coincée entre le rêve – cauchemar ? – et une réalité toute aussi grise, la mère de famille se transforme en monstre assassin à la vue de la moindre goutte de sang.

Le statut des scènes de meurtre se meuvent à la frontière de plusieurs genres. Précieuse indécision pour le spectateur qui se trouve lui aussi saisit par des passions contradictoires : du rire devant la grossièreté de certaines manifestations de cette soif de sang (yeux qui virent au noir, combats chorégraphiés) à l’horreur face à cette monstruosité que toustes semblent tacitement partager. Kirill Serebrennikov réalise un tour de force en emmenant de concert, ses personnages, comme ses spectateurs, au seuil de l’excès.

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Retour à la datcha

Comme si violence, excès et fragmentation narrative au présent ne suffisaient pas, Kirill Serebrennikov s’emploie à dérouler le double fil que Tarkovski déployait déjà dans Le Miroir : celui de l’histoire à la fois personnelle et collective.

Pour ce faire, le cinéaste utilise différents régimes d’images qui viennent s’insérer dans la structure narrative principale. Le film de famille met – supposément, car tout dans le film a statut d’hypothèse – en scène l’enfance de Petrov. Un film dans le film où toutes les distorsions sont permises par le point de vue de l’enfant. Un film dans le film pas tout à fait hermétique à son «  grand frère  » puisque le troisième régime d’images viendra ultimement rencontrer le point de vue du deuxième dans une séquence dont la teneur enfantine sera alors ternie.

En effet, en noir et blanc Kirill Serebrennikov fait retour, dans une longue parenthèse de près de trente minutes, sur une autre enfance, celle de la Russie encore appelée URSS. Une nouvelle galerie de personnages apparait alors esquissant les formes d’une société à la jeunesse désireuse d’être (un peu) plus libre.

Mais lorsque les différentes formes de récit se rejoignent, lorsque le noir et blanc et le film de famille se rencontrent, une forme de désabusement se dégage. Comme si dans ce labyrinthe narratif, les deux extrémités du fil se retrouvaient au centre, et non à la sortie.

Kirill Serebrennikov fait cependant exploser cette structure circulaire par une fin qui défie le cours logique de l’existence. Une star du rock qui sort d’un cercueil  : le signe vers un éclatement de la structure sociale post-soviétique  ?

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