À la UneLITTÉRATURESorties BD

Rencontre avec Nicolas Wild – « Soulever le toit de la Maison des femmes et montrer ce qu’elle contient »

© Editions Delcourt, Nicolas Wild

Un album imposant et lourd, qui retrace le fonctionnement d’une fondation qui, tous les jours, sauve des vies. Voilà ce que vous pouvez trouver dans À la maison des femmes, le nouvel ouvrage de Nicolas Wild. Nous sommes parti.e.s à la rencontre de l’auteur, qui nous a expliqué cet important projet.

A côté de l’hôpital Delafontaine à Saint Denis, un bâtiment aux nombreuses baies vitrées interroge. Le panneau «  Maison des femmes  » est clairement visible sur la grille, qui laisse entrevoir un petit morceau de jardin très vert. Dans cette maison, des femmes et des hommes accueillent des femmes exilées, victimes de violences, ou simplement ayant besoin d’un renseignement. Psychologues, sexologues, chirurgien.ne.s, avocat.e.s et conseiller.e.s sont déployé.e.s tout au long de la semaine sous la direction de la médecin Ghada Hatem, fondatrice de la maison. Auteur de bande-dessinée, Nicolas Wild a décidé d’aller à la rencontre de ce lieu tristement nécessaire, mais joyeusement vivant. 

Bonjour Nicolas ! Tout d’abord, pouvez-vous nous raconter comment est née cette idée de projet ?

J’ai rencontré un agent littéraire de BD qui m’a proposé de travailler sur La Maison des femmes – sa femme y travaillait comme sage-femme. Il a cette idée en tête depuis la fondation de la Maison en 2016. Il a bien aimé mon travail, et m’a donc proposé d’écrire une bande-dessinée à ce sujet. Au début j’étais un peu surpris car je ne voyais pas exactement comment traiter un sujet pareil. Je faisais plutôt des BD de voyage, de reportages à l’étranger. Et puis travailler à base d’interviews, c’est un vrai travail journalistique ! Je ne pensais pas non plus que ce serait aussi facile d’obtenir des témoignages. J’ai rencontré dans un premier temps les spécialistes, qui me mettaient en contact avec des femmes. Toutes celles que j’ai rencontrées se sont portées volontaires. 

Avez-vous rencontré des difficultés particulières lors de la rédaction ?

Tout d’abord, ça a été assez dur de recevoir ces témoignages. J’étais loin de m’imaginer qu’ils étaient si nombreux et que les types de violences étaient si divers. Entre excisions, chantages, violences sexuelles, conjugales ou trafics d’humains, les témoignages ont mis en lumière une réalité beaucoup plus étendue que celle dont on entend parler. 

La deuxième difficulté a été de mettre tout cela en BD. Il fallait que ce soit facile à lire, à comprendre, et en même temps très exhaustif. J’ai malheureusement dû faire des choix. Mais l’idée était de soulever le toit de la Maison des femmes et de montrer ce qu’elle contient. 

Maison des femmes
© Editions Delcourt, Nicolas Wild

Étant un homme, vous êtes-vous senti peu légitime à raconter cette histoire ?

Au début oui, forcément. Mais finalement les femmes que je rencontrais n’accordaient pas d’importance à mon genre. Celles qui ne se sentaient pas en confiance en présence d’un homme, je ne les ai pas rencontrées, ce n’était pas le but. L’idée était évidemment de respecter au maximum leur espace. 

Qu’est-ce qui vous a frappé le plus quant au fonctionnement de cette Maison ?

Ce qui m’a bluffé en premier est l’organisation de l’équipe qui est très soudée, il y a beaucoup de communication. C’est très pratique car une femme qui vient demander de l’aide à une personne va peut-être avoir besoin d’autres spécialistes. Donc cet endroit regroupe l’ensemble des processus d’aide dont une femme peut avoir besoin selon les différentes situations. Cela leur évite d’aller dans plusieurs endroits et de raconter leur histoire plusieurs fois à des personnes différentes. Ainsi, elles sont rassurées et gagnent énormément de temps. C’est un endroit assez essentiel, et c’est assez impressionnant qu’il n’ait été pensé seulement il y a quelques années  !

Vous avez construit ce projet pendant une période de grand changement  : comment l’avez-vous vécu ?

Ce projet, je l’ai commencé en 2017. On commençait à parler tout doucement du mouvement #MeToo, et du féminisme de manière aussi ouverte. C’était très galvanisant de travailler sur un sujet qui devenait de plus en plus grand, de jour en jour. J’avais l’impression de raconter une révolution, un changement d’ère, une modernisation enfin. Mais il ne faut pas oublier que le Covid a ralenti tout cela et qu’il reste encore beaucoup trop de points à aborder et à améliorer. 

Vous êtes-vous impliqué dans la vie de la maison lors de votre immersion  ? 

Mon séjour a été très éprouvant au début. J’ai mis un peu de temps à comprendre le fonctionnement général de la maison, puis je ne suis revenu que pour des moments très précis, comme des réunions ou des tables rondes. Je n’ai pas réussi à assister à tous types de tables rondes car évidemment on demande leur permission aux femmes, et je ne restais que si tout le monde était d’accord. 

J’ai aussi fait quelques projets qui ne sont pas évoqués dans la BD, avec les professeures de français notamment. Nous avons visité la basilique de Saint Denis avec des apprenantes, grâce à la mairie de la ville. Je voulais le mettre dans la BD mais malheureusement j’ai dû faire des choix…

maison des femmes
© Editions Delcourt, Nicolas Wild

Au niveau de l’œuvre, quel est le message le plus simple, le plus concis qui devrait sauter aux yeux du lecteur  ? 

Que toutes ces violences sont plus répandues qu’on ne l’imagine. On devrait tou.te.s aider d’une façon ou d’une autre car nous sommes tou.te.s confronté.e.s à des violences. La plupart du temps on ne les voit pas, ou alors on n’y accorde pas d’importance. La violence envers les femmes est omniprésente autour de nous, et c’est une idée qui n’est pas encore bien intégrée. Même au niveau des blagues sexistes, des remarques, cela encourage une certaine idée des rapports envers les femmes qui contribuent à la fragilité et à l’insécurité. 

L’autre but de ce livre est de montrer aux femmes qu’elles ne sont pas seules. J’espère que si des femmes victimes de violences ou de traumatismes tombent sur cette BD, elles se sentiront comprises, elles s’identifieront et que, peut-être, elles feront appel à la Maison des femmes. Le message est simple  : nous sommes là, nous vous voyons. Demandez de l’aide.

Quels avantages présente le format de bande-dessinée par rapport à un livre ou un article ?

Tout d’abord la lecture est forcément plus imagée, plus ludique, donc on prend un peu le lecteur par la main. C’est aussi un livre qu’on lit quand on est posé, qu’on a le temps, pas en vitesse dans le métro. Le cerveau est plus disponible. L’idée est aussi d’en faire un objet accessible et moins «  scientifique  » car cela peut faire un peu peur de lire un livre sur le sujet. Une BD permet de dégrossir le trait au niveau de la forme. 

Quels retours avez-vous eu sur l’œuvre ?

J’ai envoyé tout d’abord les storyboards aux femmes que je cite dans l’ouvrage, afin qu’elles valident avant que je ne le publie. Elles étaient contentes, enthousiastes. Voir leur histoire publiée, c’est vraiment important, c’est une manière de crier et de se faire entendre par des inconnus. C’est d’autant plus primordial quand on sait à quel point on ne croit pas les femmes quand elles osent se confier. 

Au niveau des lecteurs, j’ai de temps en temps des retours sur les réseaux. La plupart ont été très émus, bouleversés, d’autres ont appris de nouvelles choses. C’est très émouvant pour moi aussi. Toucher le lecteur est la consécration ultime : c’est pour eux que l’on crée. Dans ce cas-là, le but était double et, si j’arrive à accomplir mes deux missions, je serais très heureux.

A la maison des femmes, Nicolas Wild, paru le 29 septembre 2021 aux éditions Delcourt. 23,95 euros.

You may also like

More in À la Une