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Aux Bouffes du Nord, Denis Podalydès illumine « La Disparition du paysage »

La disparition du paysage
La disparition du paysage © Aglaé Bory

Présenté aux Bouffes du Nord jusqu’au 27 novembre, La Disparition du paysage de Jean-Philippe Toussaint, mis en scène par Aurélien Bory, raconte le périple intérieur d’un homme blessé lors des attentats de Bruxelles.

Il y a encore de la cacophonie dans la grande salle des Bouffes du Nord lorsque Denis Podalydès s’avance depuis les coulisses d’un pas ferme pour aller s’asseoir sur le fauteuil roulant qui trône sur scène. Tandis qu’il s’installe, dos au spectateur, une image de fumée est projetée sur le mur qu’il regarde fixement. Cet écran de fumée a la forme d’une fenêtre, la fumée ainsi projetée s’agite dans un mouvement circulaire et répétitif. Après un silence, l’acteur prend la parole. Il s’exprime d’une voix lente et monocorde, comme hypnotisé par cette vision – toujours la même – qui le berce.

Tenter de se souvenir

Ce fauteuil roulant dans lequel il est assis a débarqué dans sa vie après le retour de l’hôpital. Un retour qui s’est fait pour retourner chez lui, dépouillé de tout – d’énergie, de sens, de vie. À quoi bon ? Denis Podalydès narre le paysage autour de lui, celui qu’il voit depuis sa fenêtre. La petite musique de la narration semble raconter une histoire. Le paysage, toujours le même, depuis la fenêtre de son appartement. Les mêmes et rares personnes qui circulent dans la rue qu’il aperçoit depuis celle-ci. L’apparition d’une grue et d’ouvriers de chantiers qui constitue une apparition majeure dans cette vie réduite au néant.

On comprend que le quotidien est morose. De la même voix endormie, le personnage essaie de se souvenir. Depuis quand cette vie est-elle morose ? Pour quelles raisons ? Petit à petit, il se souvient du passage à l’hôpital, des proches qui le regardent d’un air défait et de ceux qui le regardent d’un air compatissant. De son regard alarmé et de ses lèvres incapables de répondre. Denis Podalydès, sur scène, désormais face à son spectateur, ouvre une bouche béante, grande comme le silence. Sur son visage, un faible halo de lumière qui rend la mimique aussi terrifiante qu’a dû l’être le silence des victimes. Ça aurait pu être un accident de voiture, un accident, n’importe lequel. C’était un attentat.

La disparition du paysage © Aglaé Bory

Vers la disparition

La mise en scène d’Aurélien Bory est simple, presque frugale. Pour autant, elle est d’une grande efficacité et parvient à ne pas tomber dans l’écueil de beaucoup de seuls en scène – le personnage ne déclame pas sur le même air outragé pendant une heure et demie. Denis Podalydès est tantôt presque mort, emporté par la force de ce qui s’est abattu sur lui – l’attentat – tantôt bien vivant et rendu fou par cette vie qui n’en est plus une. Devant lui, le paysage de fumée bouge et se rétrécit.

Malgré la solitude sur la scène, l’acteur, sans surprise, campe magistralement les scènes d’hôpital de désarroi. Jusqu’à revenir lentement et de manière inéluctable vers le drame, aussi fondateur que destructeur. Ce faisant, l’univers se réduit peu à peu comme peau de chagrin dans le silence. Seul persiste un bruit assourdissant  ; de l’écho qu’à cette pièce avec notre époque.

La disparition du paysage, texte de Jean-Philippe Toussaint, avec Denis Podalydès et mis en scène par Aurélien Bory du 18 au 27 novembre au théâtre des bouffes du Nord.

Journaliste

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