CINÉMA

Festival Jean Carmet 2021 – Rencontre avec Adil Dehbi

Adil Dehbi
Adil Dehbi dans Ça passe de Florence Fauquet, Ismaïl Alaoui Fdili, Ming Fai Sham Lourenço, Éloïse Monmirel, Elsie Olarewaju Otinwa, Yassine Ramdani, Laïlani Ridjali

Brillamment réalisé par un collectif d’élèves de l’école Kourtrajmé située à Montfermeil, Ça passe met en scène un jeune homme au talent insoupçonné. Sélectionné par le Festival Jean Carmet 2021, ce court-métrage a valu à son acteur principal, Adil Dehbi, le prix de Meilleur Jeune espoir 2021. Rencontre.

Dans Ça passe, Amin, jeune guetteur, utilise sa voix pour prévenir les dealers de l’arrivée de la police. Isabelle, metteure en scène à l’Opéra de Paris, voit en lui le futur soliste de son spectacle. Elle lui offre un avenir artistique loin de son quartier. Amin saisit cette chance, intégrant ainsi un milieu élitiste dont il ne maîtrise pas les codes. Sera-t-il à la hauteur des espoirs placés en lui ?

Adil, peux-tu me parler de ton personnage : qui est Amin ?

Amin vit dans un environnement pauvre. Il est amené à faire le guet dans sa cité. Mais en réalité, ce cadre dans lequel il évolue ne le définit en rien. Ce ne sont que des bases extérieures que l’on pose, et sur lesquelles reposent la suite de l’histoire. Mon personnage possède un talent caché, dont il est totalement inconscient. Isabelle (interprétée par Jeanne Balibar) repère ce potentiel insoupçonné et en prend avantage.

Je me suis surtout retrouvé dans ce phénomène de la découverte d’une discipline, qui ouvre finalement les portes d’un inconnu salvateur. Moi aussi on m’avait dit «  tente le théâtre  », comme on lui dit d’essayer l’opéra. C’est une discipline qui lui demande de l’implication, mais aboutit à une forme de révélation. C’est l’évolution d’une passion.

Quel rapport entretenais-tu avec ta voix avant ce court métrage sur l’opéra  ?

J’ai travaillé sur une série qui s’appelle The Eddy pour Netflix, de Damien Chazelle, dans laquelle je jouais un jeune musicien. J’ai fait du violoncelle et de la batucada (percussion brésilienne, ndlr) quand j’étais jeune, mon père aussi est musicien, donc j’avais déjà un rapport assez ancré à la musique. Mais c’est à travers ce tournage que j’ai découvert le jazz, dont je ne savais rien. C’est une tout autre façon d’aborder les instruments, d’aborder la musique en général. Ce genre est vraiment axé autour des musiciens, c’est eux qui portent tout un morceau. Sur The Eddy, on tournait des scènes très longues, avec beaucoup de direct : j’étais impressionné par chacune des performances…

…qui reposent aussi souvent sur l’improvisation, non ?

C’est exactement ça, j’ai peut-être fait un parallèle entre ce style musical et mon rapport au théâtre.

Pour Ça passe, quand je suis arrivé à l’Opéra de Paris, mon doubleur François Gardeil m’a beaucoup appris sur la posture du chanteur. Il m’a dit que tout venait du périnée -dont j’ai par la même occasion découvert l’existence. On s’isolait chaque jour de tournage, trente minutes, une heure, pour travailler ma posture. J’y tenais beaucoup. Je savais que j’allais être doublé, mais il m’était important qu’on croit à mon interprétation. Que je ne sois pas juste planté là, complètement rigide, alors que je suis supposé chanter de vive voix. Que ça paresse réel.

Justement, puisque tu l’évoques  : tourner à l’Opéra de Paris, comment on se sent  ?

C’est magique, c’est un espace tellement incroyable, tellement impressionnant. Des dimensions folles.  : ils peuvent par exemple faire entrer un Airbus A380 à l’arrière. C’est véritablement inédit comme endroit et comme cadre.

Drôle d’anecdote  ! Est-ce que tu dirais que c’est ce thème du chant qui t’a attiré sur ce projet  ? Ou bien est-ce que c’est davantage l’équipe de réalisateurs, la distribution  ?

C’est tout ce que le film représente. J’en ai marre de ces films qui te montrent que la culture française est là pour sauver ceux qui sont dans des territoires considérés comme perdus. Alors que pas du tout. La culture française est présente partout, sur tous les territoires.  C’est juste que certaines démographies manquent de moyens, pour établir ce rapport direct avec certains domaines. Ce n’est pas un manque de volonté ou d’intérêt de la population.

Il y a une phrase de Scarface qui dit «  J’ai les mains faites pour l’or, mais elles sont dans la merde  ». On pense que c’est juste une vanne comme ça, mais ça signifie beaucoup de choses. Souvent dans les lieux de pauvreté — et je m’efforce de ne pas directement parler des cités parce que ce n’est pas le seul endroit où ce phénomène se laisse ressentir, les gens sont nombreux à ne pas pouvoir exploiter leurs talents. Ils n’ont pas cet accès à l’initiation des choses. Ils n’ont pas cette visibilité sur le champ des possibles. Je pense que pour trouver sa voie, il faut avoir l’occasion d’essayer de nombreuses choses. Et ça ce n’est pas donné à tout le monde.

Je me rends compte que les maisons de quartier dans les banlieues sont essentielles. Tous ces animateurs qui donnent accès aux jeunes à de nouvelles choses, avec de la pédagogie et une vraie dévotion, sont admirables.

Adil Dehbi
Adil Dehbi © Léïna Jung pour Maze

Est-ce que selon toi ce court se doit de devenir un long (métrage)  ?

Évidemment. Je le pense et l’espère fortement. Pour moi il y a vraiment la matière à ce que ça le devienne. Il y a un sujet profond, un personnage et une histoire qui méritent d’être exposés. J’aimerais vraiment que ce silence final en dise long.

Ce fameux silence est gage de maturité. En tant qu’acteur, est-ce qu’il y a un aîné qui t’inspire, ou dont tu admires la façon de travailler  ?

Je pense directement à André Holland rencontré sur The Eddy : c’est la personne qui m’a montré que tu pouvais être un très bon comédien, très exigeant, très travailleur, et en même temps une très bonne personne. Souvent dans ce milieu-là, les gens finissent par prendre des rôles dans la vie aussi. Lui, il est là, il bosse, il est lui-même, il est classe, il est respectueux. C’est admirable. C’est le genre de personne qui me fascine, et que j’aimerais égaler sur le plan humain.

Bien évidemment, je pense à Houda Benyamina, mais aussi à Damien Chazelles. Quand tu le rencontres, c’est un mec tellement bienveillant que tu en oublies ses accomplissements. Il te fait sentir comme son égal dans la conversation. On a par exemple bu du thé ensemble, dans le plus grand des naturels. C’est vraiment ce respect mutuel, quels que soient les accomplissements, que j’aspire à retrouver dans toutes mes relations.

Tu as joué aux côtés de Catherine Deneuve et Amandla Stenberg. Adil Dehbi, comment s’est faite ton entrée dans le monde de l’audiovisuel  ?

Ma rencontre avec le cinéma a été assez naïve. Je viens d’une famille qui fait du théâtre  : mon grand-frère en faisait déjà. J’ai grandi à Viry-Châtillon dans la banlieue parisienne, où j’ai suivi les cours de l’association « 1000 visages », créée par Houda Benyamina. Le théâtre, c’était un exutoire, une passion. Tout comme un ami à moi pouvait aller au foot, moi j’allais au théâtre. Et c’est cette pratique qui m’a initié au cinéma. Dans le cadre des cours de « 1000 visages », on a fait une semaine «  de plateau  » intensive en Vendée. Les rôles se sont précisés là-bas, à travers la découverte des aspects de la production  : perche, réalisation, régie…  C’était un beau voyage. Ma rencontre avec le cinéma s’est donc faite dès 15 ans avec cette association-là et continue aujourd’hui de plus belle, à 22 ans.

As-tu des souvenirs de ta première expérience de cinéma  ?

C’était la série Cannabis pour Arte par Lucie Borleteau. J’avais postulé sur Cineast.org par mail. Un jour en cours de SVT, au lycée, je reçois une réponse positive pour passer le premier tour. J’ai finalement été pris pour un petit rôle de six jours. J’ai adoré découvrir la dynamique d’un tournage professionnel en tant que membre de l’équipe. J’avais déjà été sur le tournage de Divines en tant que spectateur, mais avec ce petit rôle, j’étais impliqué d’une autre façon.

Je crois que c’est cette expérience de spectateur sur un tournage de nuit sur Divines qui m’a révélé un truc. J’ai vraiment été impressionné et je n’avais plus qu’une seule volonté  : me retrouver parmi ceux qui jouaient.

Ce projet-ci, comment t’es-tu retrouvé dessus  ?

Je suis les cours de « 1000 visages » depuis cinq ans, leurs ateliers me permettent de garder la forme  : tu viens, tu joues, tu apprends, constamment. L’une des réalisatrices (Héloïse), que je connaissais, qui m’a parlé du projet. Je me suis présenté au casting, devant Yassine (Lassar Ramdani, membre du collectif d’élèves ayant réalisé le film, ndlr) et toute la bande de réalisateurs. Ça se passe super bien, on fait beaucoup d’impros, on se marre. Au fil des essais, des propositions, des différentes personnes avec qui je joue, le rôle se dessine. On se correspond mutuellement, sur la distribution et la réalisation. C’est une rencontre à travers une connaissance, qui a mené à un superbe projet commun.

Est-ce que tu trouves un avantage considérable dans ce format plus court  ? 

Pour moi, la différence principale réside dans le fait que le tournage du court-métrage est finalement bien plus intense. En tant que comédien on pense que c‘est plus court, plus détendu, mais c’est tout le contraire. C’est plus détendu dans l’ambiance mais bien plus intense dans le travail. Moi il m’arrive souvent de me trouver meilleur sur un court-métrage. En tant que jeune comédien, on ressent moins de pression sur le tournage, on trouve mieux sa place. Qu’on soit premier ou second rôle finalement, on est pris, on a des scènes, on compte.

Ce que j’aime sur les courts-métrages, c’est qu’on travaille avec des gens qui tiennent aux histoires. Ceux qui écrivent sont souvent ceux qui réalisent. C’est leur enfant, ils sont impliqués. Le tournage, c’est le rêve, la finalité du projet.

Pour terminer  : penses-tu qu’il existe une morale à cette histoire  ?

L’ouverture d’esprit manque à beaucoup de gens, il ne faut jamais perdre sa curiosité d’enfant.

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