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Au Bouffes du Nord, la grande forme de « Deux Amis » pas comme les autres

Deux Amis
Deux Amis de Pascal Rambert avec Stanislas Nordey et Charles Berling, au théâtre des Bouffes du Nord © Nicolas Martinez Châteauvallon

Au terme d’une série de quatre pièces qu’il a écrites et mises en scène, Pascal Rambert présente «  Deux Amis  », un dialogue impeccable et inspiré entre deux acteurs homosexuels qui passeront leur vie l’un aux côtés de l’autre.

Le «  moment Rambert  » présenté au théâtre des Bouffes du Nord aura duré deux mois. Pascal Rambert a ainsi présenté successivement Sœurs (Marina & Audrey), Clôture de l’amour, 8 ensemble et Deux Amis. Deux anciennes pièces de l’auteur et deux créations originales conçues cette année. Dans cette dernière pièce qui s’est jouée du 9 au 14 novembre, Pascal Rambert met en scène l’histoire d’amour sulfureuse entre deux acteurs de théâtre qui se côtoieront toute leur vie avant de s’accompagner jusqu’à la mort.

Une mise en scène astucieuse

Alors que les lumières de la salle ne se sont pas encore éteintes et que le public continue de bavarder, Stanislas (Nordey) et Charles (Berling) débarquent sur scène dans un grand fracas. Vêtus de costumes qui ne laissent rien paraître de leur profession – et pour cause, ils sont habillés comme des figurants du Loup de Wall Street en dépit de leur métier de comédien – et texte d’Antoine Vittez à la main, ils se mettent à répéter les textes du grand auteur. Se disputent à propos d’une mise en scène qui ne convient pas à chacun – impossible de jouer Molière sans une vraie table en bois – avant de s’embrasser langoureusement.

La mise en scène est astucieuse  : alors que les deux amants discutent, l’un s’arrête soudainement, comme mis en pause. On entre alors dans les songes de l’autre qui le regarde, qui regarde son corps mais aussi son âme, parvient à voir ce que les photographies et les inconnus ne parviennent pas à capter. Quelque chose comme l’essence et la bonté d’une personne. Le monologue amoureux s’interrompt. L’autre s’anime à nouveau, la discussion reprend.

Deux Amis de Pascal Rambert avec Stanislas Nordey et Charles Berling, au Théâtre des Bouffes du Nord © Nicolas Martinez Châteauvallon

Dialogue magistral

On se crêpe le chignon, on critique joyeusement les journalistes et les critiques de théâtre – clin d’œil à ceux qui se sont déplacés dans la salle. Et puis, tant qu’à faire, on taille aussi dans le gras des relations publiques des théâtres : «  ces gens trop préoccupés par les chiffres pour regarder les spectacles  ».

Le texte est d’une délicatesse rare, d’une drôlerie un peu joyeuse qui fait mouche sans jamais se montrer emphatique. On se noie avec plaisir dans les monologues amoureux que les comédiens déroulent d’un air pénétré. On s’y croirait. Cette drôlerie s’élime un peu dans la dernière partie de la pièce et c’est dommage.

D’autres fois encore, le texte glisse mal sur ses interprètes. Si le rôle semble taillé sur mesure pour Stanislas Nordey – dont le talent pour les déclamations, un air grave sur le visage n’est plus à démontrer – c’est moins évident pour son partenaire. Il se passe quelque chose dans les corps, une rigidité, une souplesse qui manque à Charles Berling et qui rend certaines étreintes entre les amants insincères, factices.

Jouer la passion

Ce n’est pas faute de sortir le grand jeu. Baisser son pantalon pour mimer l’acte sexuel, pousser la performance d’acteur jusqu’à une nudité totale et prolongée. Mais la mécanique des corps se grippe parfois et les étreintes, baisers et autres gestes de tendresses manquent de sincérité. L’alchimie entre les acteurs, qui fonctionne parfaitement dans le dialogue, ne prend pas dans les gestes et on peine à croire qu’ils sont amants.

La pièce a ses défauts mais est réjouissante. Pascal Rambert signe avec «  Deux Amis  » une mise en scène originale faite avec peu de moyens – seulement deux acteurs et presque pas de décors. On n’y tombe pas dans la facilité, on ne déclame pas avec le même air du début à la fin. Le texte est généreux et les acteurs se donnent et signent une des pièces les plus réussies de cette rentrée.

« Deux Amis  » de Pascal Rambert avec Charles Berling et Stanislas Nordey, du 9 au 14 novembre au Théâtre des Bouffes du Nord.

Journaliste

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