CINÉMA

(Re)Voir – Chanson Douce : Une nounou d’enfer

© Studio CanalStars

Lucie Borleteau et Jérémie Elkaïm sont au scénario de l’adaptation en 2019 du roman éponyme de Leïla Slimani (Prix Goncourt 2016). Chanson Douce livre sur grand écran l’histoire sordide de cette nourrice dérangée et dérangeante. À retrouver sur petit écran en ce moment sur Ciné+.

Chanson Douce s’inspire librement d’un fait-divers remontant à l’automne 2012. Le couple new-yorkais Marina et Kevin Krim confient leurs trois enfants en nourrice à Yoselyn Ortega. Elle en tuera deux. Ici, Paul (Antoine Reinartz) et Myriam (Leïla Bekhti), Parisiens trentenaires, viennent d’avoir un deuxième enfant. Encore petite, Mila (Assya Da Silva) est la grande sœur. Épuisée à la maison, Myriam aspire à retrouver son quotidien d’avocate. Après avoir auditionné plusieurs candidates, Louise (Karin Viard à contre-emploi) convainc le jeune couple.

Dévorer vivante

Le malaise est palpable dès la première rencontre. Dans le salon, on découvre Louise, de dos, à travers ce que nous pensons être le regard de Myriam. La caméra reste derrière la future nourrice, tandis que Myriam rejoint Paul sur le canapé en face d’elle. Et nous restons là, face à la nuque de Louise, sa coiffure tirée, et à ce couple que la profondeur de champ a rendu flou, brouillé. Les dés sont jetés. Les parents sont perdus d’avance. À l’instar des codes de la manipulation hitchcockienne, nous, spectateurs avons constamment un temps d’avance sur eux tout au long du film. Cela va mal se finir, c’est une certitude. Mais comment se résoudre à l’inacceptable ?

© Studio CanalStars – Antoine Reinartz, Leïla Bekhti, Karin Viard

Rendue invisible par sa condition sociale, puis niée en tant que mère, Louise agit telle la pieuvre qu’elle hallucine. Elle dissimule derrière son amour pour les enfants un besoin de reconnaissance purement humain. Elle se camoufle pour conquérir petit à petit l’intimité de la famille. En arrivant de plus en plus tôt, en respirant les draps du lit conjugal après s’y être lovée ou encore en demandant à Mila de mentir à ses parents, elle fait de cet appartement son territoire.

Les enfants deviennent ses proies, ses « trophées » comme elle les appelle. Louise les marque, autant par ses actes que sur leur peau. Ordonnée et attentive, elle les étouffe par sa jalousie, sa colère ou sa frustration. Les scènes d’humiliations laissent sans voix.

Le perturbant Chanson Douce s’empare de sujets de société intemporels  : soumission sociale, éducation stricte et maladie mentale. Malgré quelques longueurs que l’on peine à justifier, le film retient. La gorge nouée, nous nous prenons de plein fouet les dernières minutes insoutenables. Ces dernières minutes de deux vies que le cinéma et la littérature ont réussi à rendre éternelles.

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