CINÉMA

« The Last Duel » – Que justice soit faite

The Last Duel ©Walt Disney Studio Pictures
©Walt Disney Studio Pictures

Ridley Scott (Gladiator, Seul sur Mars) , confirme son aura d’auteur classique en présentant The Last Duel, adapté d’un fait divers médiéval où se heurtent principes d’honneur, rapports de pouvoir et justice misogyne. Le dernier combat à mort, c’est celui de 1386 à Paris, où, non pas deux chevaliers mais trois, s’affrontent dans l’arène.

Dans The Last Duel, Jean de Carrouges (Matt Damon) est un écuyer vaillant, serein sur les champs de bataille, prêt à reprendre la capitainerie de Bellême à la mort de son père. Mais il est aussi maussade et avide de reconnaissance. Il sauve la vie de Jacques le Gris (Adam Driver) , autre jeune écuyer, et les deux hommes deviennent amis. Mais Jacques le Gris est séduisant, lettré et malin, si bien qu’il s’attire les faveurs de Pierre, le seigneur des terres.

Ce genre d’histoire est, pourrait-on dire, banale au XIV ème siècle. Les hommes d’armes se couvrent de fraternité pour se voler les récompenses par la suite. C’est donc ainsi que naissent les premières tensions entre les deux soldats. Jacques le Gris se voit attribuer une parcelle de terre appartenant à la future épouse de Jean de Carrouges, puis la capitainerie échappe encore une fois à son héritier et s’offre l’écuyer Le Gris comme dirigeant.

Les noeuds s’emmêlent et forment une toile de fond qui illustre les désaccords entre les deux vassaux. Mais ce n’est pas la raison ultime de leur affrontement en duel. Jacques le Gris qui convoite et obtient tout ce que possède Carrouges, tombe amoureux de sa femme Marguerite (Jodie Connor). Il s’introduit chez elle et la viole, déclenchant un argument ultime pour Carrouges qui peut enfin le provoquer en duel.

Une narration scindée

The Last Duel est tout autant un film d’action qu’un film narratif. Le récit se découpe en trois chapitres, incluant chacun un point de vue différent. Ainsi, le premier chapitre s’ouvre sur Jean de Carrouges et l’écuyer est perçu comme juste, bienveillant et aimant envers sa femme Marguerite. Les évènements s’acharnent contre lui, malgré sa bonne foi. Le chapitre deux campe la position de Jacques le Gris et offre un personnage offusqué de voir que son ami le poursuit pour une parcelle de terre. Il se rend chez Marguerite et lui déclare son amour, avant de la violer et de lui intimer de ne rien dire, pour « sa propre protection ».

Finalement, le troisième et dernier chapitre apparait comme une prise de conscience soudaine du déroulement des faits. Derrière le regard féminin unique du triptyque, Marguerite dévoile la violence de son monde. Jean de Carrouges n’est pas un homme doux, mais bien un mari jaloux et possessif. Il n’accepte pas que sa femme danse, sorte ou même apprécie le physique d’un autre homme. Lorsqu’il apprend son viol, il est agressif et abusif à son tour. Les scènes sont subtilement vues sous un autre angle. Un baiser plus insistant, des regards qui prennent tout leur sens. Le réalisateur entre habilement dans la subjectivité de ces trois personnages et raconte leur histoire à tour de rôle.

The Last Duel ©Walt Disney Studio Pictures
Jodie Connor ©Walt Disney Studios Motion Pictures

Entre classicisme et modernisme

Ridley Scott dénonce la culture du viol dans ces deux derniers chapitres, montrant que le consentement n’est absolument pas pris en compte dans le monde très patriarcal du XIV ème siècle, ce qui fait tout aussi bien écho à notre société contemporaine. Tous les personnages masculins au courant de l’acte criminel de Jacques le Gris y décèlent un acte parfaitement courant. Personnages masculins, mais pas que : la mère de Jean de Carrouges s’offusque de la prise de parole de sa belle-fille. Elle la moralise dans une scène très poignante, impliquant que la vraie force d’une femme est de se relever seule, et que la justice ne lui apportera rien.

Pourtant, Marguerite parle , au risque de sa vie. Elle parle mais c’est son époux qui s’empare de son combat en provoquant le duel. Le réalisateur raconte une histoire de femme que s’approprient les hommes pour mener à bien leur propre combat. Ce que prouve la résolution du duel, consciencieusement dissimulée à Marguerite par Jean de Carrouges : s’il perd le combat, sa femme sera tondue, humiliée, traînée, puis brulée vive. Manipulée, oppressée, par ces hommes et leurs manigances pour obtenir le pouvoir, Marguerite est le personnage moderne de ce récit. Elle dénonce les failles et soulève les problématiques de la condition des femmes qui l’entourent.

Rythmé par des scènes de combats grandioses, où les corps se traînent dans la boue et le sang, où les visages sont empalés, le scénario s’immisce et donne à l’oeuvre sa dimension moderne, dans un cinéma classique pleinement maitrisé. Politique, engagé, sublimé, Le Last Duel est avant tout le tableau des vices et des travers de l’homme. Pas celui avec un grand H, non, l’homme au masculin, au détriment des femmes.

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