LITTÉRATURE

« Mon mari » – Lutte des couples

Mon Mari
Mon Mari de Maud Ventura © éditions de L'Iconoclaste

Dans un premier roman qui jongle entre comédie romantique et thriller social sur les luttes de pouvoir qui s’établissent au sein d’un couple, l’écrivaine Maud Ventura propose avec Mon mari une exploration de la psyché féminine d’un nouveau genre. 

«  Elle est folle  », se dira-t-on dès les premières pages de ce roman. «  Elle  » n’a pas de nom, pas besoin. Tout ce qui compte, c’est de s’avoir qu’«  Elle  » a un mari. Le mari, lui non plus, n’a pas de nom. Parce que c’est mieux de l’appeler «  Mon mari  ». Ça lui permet de se souvenir, à chaque phrase, que ce n’est pas seulement une personne, que ce n’est pas seulement un mari, mais que c’est bien le sien. Le sien à elle seule. 

Cette narratrice imaginée par Maud Ventura n’a pas de nom mais se livre entièrement dans le texte, chaque pensée restituée est la sienne. Il y a sa vie de professeure d’anglais dans un lycée de la périphérie parisienne, son travail en tant que traductrice en dehors des heures de cours – que son mari mentionne toujours en premier lors des dîners en ville, question de prestige – ses origines sociales modestes qui jurent cruellement avec l’extraction bourgeoise de son mari qui lui est beau, cultivé et travaille dans la finance. Il y a aussi les deux enfants qu’ils ont eu ensemble qui pourraient parachever ce bonheur conjugal construit de toutes pièces, mais non. L’important, c’est l’amour. Pour le reste on repassera.  

Connaissez-vous Bridget Jones  ? 

Dans cette narration construite autour des pérégrinations mentales de notre héroïne sur une semaine classique, on s’étonne de la multiplicité des influences qui traversent ce personnage de bourgeoise anonyme. Les comédies romantiques, d’abord. Chaque jour de la semaine est une nouvelle journée pour aimer passionnément son mari, souhaiter passer du temps avec lui, rêver d’une petite attention qui lui permettra d’être sûre, d’être certaine, que la flamme qui brûle entre eux est intacte. Que l’amour subsiste, malgré leurs quarante ans et leurs quinze ans de mariage. Chaque regard en coin, chaque main sur sa cuisse est un rappel que leur amour existe – l’amour comme au temps de l’adolescence.

«  La déclaration d’amour nocturne de mon mari explique ma joie, mais le grand sourire que je porte depuis ce matin est également un cadeau du jeudi. (…) Puis, sur les coups de 13 heures, le doute m’envahit. Un doute dévastateur, hyperbolique. Que s’est-il passé cette nuit  ? Mon mari a-t-il vraiment prononcé ces mots  ? Est-ce que je n’étais pas en train de rêver  ?  »

Maud Ventura, Mon mari

D’autres fois, les signes extérieurs d’amour n’adviennent pas et l’intranquillité resurgit. La narratrice raconte. Une soirée sur le canapé, les enfants couchés rapidement afin de pouvoir profiter d’un moment exclusif entre elle et son mari. Elle, à côté de lui, qui attend patiemment qu’il tende sa main vers elle, entrelace ses doigts dans les siens. Elle se penche doucement vers lui, avance délicatement sa main, effleure la sienne. Lui, absorbé par le film, n’entend pas le besoin de tendresse, n’apporte pas de réponse à ce rêve d’amour romantique. Il retire sa main de la sienne, s’éloigne. Va-t-il la quitter  ?

La guerre permanente

Tout au long des 350 pages qui constituent le roman, la narratrice ne cessera jamais d’être aux aguets. En quête d’un signe d’amour, toujours. Mais aussi, traquant chaque signe de désamour, pour mieux le punir. À chaque faute morale commise par son mari, une punition savamment orchestrée pour lui infliger la même douleur, avoir le dernier mot. Les fautes sont minutieusement notées dans un petit carnet caché dans un tiroir. En face de chacune d’elle, la riposte. Cette relation de couple apparaît alors pour ce qu’elle est  : une lutte de pouvoir sans merci qui se joue entre cette femme et son mari. 

«  Parfois, je me demande si je devrais me sentir coupable de fouiller dans les affaires de mon mari. Mais j’arrive toujours à la conclusion que non, pour une raison simple  : je rêverais qu’il fasse la même chose. J’aurais enfin la preuve de sa jalousie et la confirmation de son attachement.  »

Maud Ventura, Mon mari

D’une comédie romantique, le roman prend des accents de thriller. Il rappelle ainsi à notre bon souvenir toute une tradition de couples toxiques – Gone Girl avec Rosamund Pike et Ben Affleck  ; plus récemment, la série You sur Netflix. Cette lutte de pouvoir s’exprime aussi dans le déséquilibre entre ses protagonistes. Maud Ventura a lu Annie Ernaux et a écrit un personnage transfuge de classe. En face, son mari est issu d’une famille bourgeoise. Il a toujours mieux vécu, gagne plus, n’a pas de complexes d’infériorité. Ne vit pas avec la peur de faire une faute de goût ou de s’humilier en société. 

La tension monte dans cette lutte à mots couverts. Sous le vernis de la tendresse et derrière les fausses images de couple idéal, le couple se crispe. Les punitions sont de plus en plus violentes, puissantes. Les hallucinations aussi – ces hauts et ces bas que subit la narratrice – sont-ils dans sa tête ? Le mari joue-t-il au même jeu ? Qui est le fou ? À mesure que les pages se tournent, on se demande jusqu’où ce jeu de dupes ira. Si la violence symbolique se transformera en violence tout court. À moins que cette violence ne soit leur manière de s’aimer. Autant de questions qui brûleront lectrices et lecteurs jusqu’au grand final, intense, réjouissant. 

Mon mari de Maud Ventura, éditions de L’Iconoclaste, 19 euros. 

Journaliste

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