Dans un album aux dessins d’une douceur saisissante, le duo M.C. Alberto et Atelier Sentô conte avec Le songe du corbeau l’histoire d’un ancien enfant kidnappé devenu un adulte en quête de vérité.
Un matin, Kiku, la femme de Koji lui tend une lettre mystérieuse qu’il a reçue. Les deux adultes ne savent pas encore ce que contient l’enveloppe kraft dénuée de signature, mais y voient déjà un présage inquiétant. Koji, surtout, qui cache son trouble pour ne pas inquiéter Kiku : l’enveloppe le terrifie. Ce qui l’effraie, plus encore, c’est la sensation étrange qui le traverse : l’impression que cette enveloppe, il l’attendait. Qu’elle devait inévitablement arriver. Que là-dedans, se joue quelque chose d’inéluctable. Malgré son trouble, il finit par l’ouvrir. Dedans, aucun mot, aucune signature. Simplement un bout de papier noir plié en origami. Un corbeau.
Thriller onirique
Dans cette bande dessinée scénarisée par Atelier Sentô et illustrée par M.C. Alberto, alternent les planches représentant un Koji adulte en quête de son passé et celles du même Koji mais enfant cette fois, prisonnier avec quelques autres d’une mystérieuse maison dans laquelle ils vivent seuls. S’opère alors un chassé-croisé entre les différentes temporalités de l’histoire, mais aussi des genres. On passe sans transition du thriller – que s’est-il passé durant l’enfance ? – à l’onirique, celui de la maison des enfants.
Retour à l’enveloppe du départ. Le corbeau est lourd de signification pour le Koji adulte, sans qu’il ne sache de quoi il s’agit véritablement. Mais toutes les explications n’ont pas besoin d’être rationnelles : sans transition, Atelier Sentô nous transporte vers l’enfance hallucinée de Koji. Dans cette grande maison isolée, il vit seul avec trois autres enfants dont une certaine Kiku qui ressemble à s’y méprendre à sa compagne du début de l’album.
Alors qu’il se promène dans le jardin aux abords de la bâtisse, Koji et le petit renard blanc qui ne le quitte jamais trouvent un enfant étrange étendu dans la neige. L’enfant est recueilli. C’est Shin. Un grand corbeau noir lui sort de la bouche, il ouvre de grands yeux inquiétants. Dans sa poche, on retrouve un couteau. Il deviendra l’ami de Koji, mais cet ami-là est différent. À la maison, il le pousse au vice, transgresse les règles, fait preuve d’une étrange colère qui se manifeste dans chacun de ses gestes.
Alors que le Koji adulte continue de chercher des explications, l’enfant Koji est secoué par l’existence de Shin. Son corbeau, qui le suit partout, est symbole de malheur. La question se fait de plus en plus lancinante : mais qui est réellement Shin ?
De la poésie du dessin
Le songe du corbeau sème à chacune de ses pages de petits indices qui mèneront peu à peu vers le dénouement, surprenant et terrible. Le génie de l’album réside dans l’onirisme déployé dans chacune des pages. Un onirisme qui passe par le scénario d’abord, mais surtout par les dessins d’une douceur émouvante. L’enfance est dessinée à l’aquarelle, le monde rêvé ou vécu de Koji revêt des couleurs pastel. Le réel se dissipe et le Mal a des airs de sauveur, de monstre doux et sacré. Face à l’insoutenable, la rationalité n’est plus de mise. Cette bande dessinée ne se comprend pas, elle se ressent. Chaque planche est comme un rêve éveillé supplémentaire, passé ou futur, on ne sait plus bien. Peu importe.
Le songe du corbeau de M.C. Alberto et Atelier Sentô, éditions Delcourt, 18,95 euros.