CINÉMA

« Eiffel » – Place à la Dame de fer

© M. Boucard, VVZ Production
© M. Boucard, VVZ Production

Avec une sortie originellement prévue pour mai 2021, décalée en octobre pour donner au plus de monde possible la chance de voir ses sublimes décors, Eiffel nous plonge au sein de l’exposition universelle de 1889. Une chance d’être spectateurs directs de la naissance de celle que l’on surnomme « La dame de fer ».

Réalisé par Martin Bourboulon et produit par VVZ Production, le long-métrage mélange fiction et faits historiques. Il propose ainsi une version romancée de la construction de la Tour Eiffel. L’emblème français, qui surplombe désormais la capitale, était à l’origine une création éphémère prenant place au sein de l’exposition universelle qui se tenait à Paris. Fortement critiquée et dénigrée, elle devait être démontée à la fin de l’exposition. Finalement, son potentiel économique, mais également scientifique, lui a valu d’être préservée, et de devenir la devanture de la France à l’international. Les résultats économiques et scientifiques sont la clé de son succès. Et ce dernier inspire nombre d’histoires, à l’image de ce film.

Un scénario de fiction historique équilibré

Eiffel nous plonge donc dans le Paris des années 1890, et nous invite à suivre Gustave Eiffel (Romain Duris), de l’ébauche à la construction de la tour. En plus des difficultés techniques et sociales rencontrées, l’architecte doit se heurter à la rencontre inespérée avec Adrienne (Emma Mackey). Celle-ci est son amour de jeunesse qui, de manière relativement classique, a dû se séparer de lui sur ordre de sa famille. Désormais mariée à un ami et associé de Gustave Eiffel, elle retrouve son ancien amant et leur histoire reprend dans l’ombre.

Si l’histoire d’amour entre l’architecte et la jeune femme est probablement fictive, le réalisme saisit les éléments tout autour. Que ce soit l’enchaînement des taches, les difficultés rencontrées, ainsi que le rendu de l’opinion publique. Cette dernière, qui a joué un rôle très important dans la médiatisation de la dame de fer, constitue le deuxième axe de force du long-métrage. En parallèle de l’histoire d’amour et des contradictions internes de l’architecte, la pression sociale qui agite le Paris du XIXème est représentative des changements majeurs que la Révolution Industrielle amène au sein du pays.

© M. Boucard, VVZ Production

Le scénario du long-métrage mélange donc subtilement réalité historique, romance aux bords clichés et pamphlet social. L’addition de tous ces éléments permet ainsi de combler certains vides dans l’histoire, et quelques longueurs de scènes qui auraient pu, à force, alourdir le film et le vider de son sens. Allié au décor et à la construction des personnages, la pluralité de sujets-phares permet d’amoindrir cet écueil.

Des personnages entiers, mais parfois caricaturaux

Le long-métrage présente toute une batterie de personnages, principaux et secondaires. A retenir principalement donc Gustave Eiffel, interprété par Romain Duris, Adrienne Bourgès, avec le visage de Emma Mackey. A relever également Antoine Restac, mari de cette dernière, interprété par Pierre Deladonchamps.

En ce qui concerne la prestation de Romain Duris, il incarne avec succès l’architecte obsédé de réussite et de grandeur. Son ton est juste, et son jeu d’acteur lui permet d’incarner le personnage avec brio. Il représente donc un artisan colérique, malmené par la vie, qui voit en son projet non seulement une réussite, mais également une vengeance à l’égard de ceux qui l’ont méprisé.

Son cœur assombri sursaute à l’arrivée de son amour de jeunesse, qui l’emporte dans un tourbillon introspectif qui nous en apprend davantage sur son passé. Au-delà du jeu d’acteur, le personnage manque éventuellement d’un peu d’originalité. Il tombe un peu vite dans le cliché du génie bourru qui a un jour perdu un être cher et qui désormais ne vit que pour le travail – et vice-versa. Si cela peut décevoir un spectateur en quête de personnages plus étoffés, le personnage remplit parfaitement le rôle qui lui est attribué. A savoir, celui de l’architecte, la star étant la Dame de fer.

© M. Boucard, VVZ Production

Concernant les autres personnages principaux, à savoir l’amante et son mari, ils forment un tableau dans l’ensemble harmonieux. Ils présentent cependant quelques défauts flagrants à l’écran. Ainsi Emma Mackey habille Adrienne de son élégance et de son port de tête. Elle présente ainsi un jeu noble et juste. Elle se glisse dans la peau de la jeune femme sans forcer le trait, et offre un rendu très naturel. Cependant, elle n’échappe pas au défaut quasiment omniprésent chez les personnages féminins.

Un casting présentant des enjeux sociaux

Certes, Adrienne n’est pas une femme « comme les autres ». Cultivée, aventurière, dégourdie, elle refuse de se marier. De même, elle n’hésite pas à tenir tête à Eiffel lorsqu’elle le rencontre, et c’est ce qui finit par le séduire. Elle finit néanmoins par obéir à ses parents, pour réapparaître plus tard. Elle est mariée, malheureuse, prête à retomber dans les bras de son amant. Rien de très original, somme toute : mais encore une fois, ce n’est pas forcément ce que l’on recherche dans ce long-métrage. Pour finir, si Emma Mackey incarne une très bonne Adrienne Bourgès, elle souligne malgré elle une question actuelle, qui n’est pas passée inaperçue dans l’actualité.

Dans le film, il est possible que Bourgès ait été plus jeune que Eiffel. Cependant, la différence d’âge flagrante des deux acteurs (47 ans pour Romain Duris contre 25 ans pour Emma Mackey), pose la question du casting. Il est évident qu’Adrienne et Gustave n’avaient pas 20 ans d’écart au moment de leur rencontre. Le choix d’un tel écart entre les acteurs s’inscrit dans une période de remise en question des choix cinématographiques. Cela ne remet cependant pas en question la validité des deux acteurs, ni leur alchimie à l’écran. Mais, surtout au vu du contexte actuel, il est important de mettre cette réflexion en lumière.

© M. Boucard, VVZ Production

Des décors à couper le souffle

Il est inévitable de parler des personnages de Eiffel. Il est évidemment nécessaire de parler de l’histoire. Cependant, le véritable point culminant du film, c’est bel et bien son décor. Le budget mobilisé pour ce dernier, phénoménal, justifie en partie le décalage de la sortie. Alors prévu pour mai 2021, la situation sanitaire ne permettait pas au cinéma d’accueillir un maximum de personnes. La société de production a donc décidé de décaler la sortie du film.

Le Paris du XIXème est saisissant de réalité. Les costumes d’époque sont simples et efficaces, tout comme les lieux de vie. La réelle prouesse intervient lors de la construction de la tour. Que ce soit au niveau technique, où tout est expliqué, étudié, mais également montré, ou au niveau purement esthétique, le film nous plonge directement au sein du chantier. Nous devenons alors ouvriers, assistant aux premières loges à l’élévation de cette géante. Les plans vus d’en haut, lorsque la tour est à moitié construite, suffisent à donner le vertige aux spectateurs. Le contre-champ est mobilisé avec parcimonie. On se contente ainsi avec plaisir de champs de plongée qui permettent d’apprécier la hauteur de la tour. Les danses de Gustave et d’Adrienne sur les barres de fer géantes nous offre une vue des sommets de Paris. Rien à envier aux simulateurs virtuels qui fleurissent en ville en ce moment.

© M. Boucard, VVZ Production

Tout, dans ce film, est au service du décor. La Dame de fer est sublime, de la naissance à la gloire. En allant voir Eiffel, le spectateur paye pour un tableau de vie, mais cette fois-ci d’un objet. Elément inerte qui, pourtant, a survécu à tous ses contemporains.

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