LITTÉRATURE

« Ne t’arrête pas de courir » – L’humanité en étendard

Ne t'arrête pas de courir
© éditions de L'Iconoclaste

Avec Ne t’arrête pas de courir, son deuxième roman, Mathieu Palain narre sa rencontre avec Toumany Coulibaly, champion de France d’athlétisme mais aussi voleur multirécidiviste et incarcéré. Se succèdent les casquettes de journaliste puis d’écrivain pour raconter une histoire d’amitié, vibrante d’humanité.

Mathieu Palain vient à peine de dépasser la trentaine. Il est journaliste et déjà auteur d’un premier livre, Sale Gosse  (éditions de L’Iconoclaste), «  écrivain ascendant chômeur  » comme il se décrit dans les pages de Ne t’arrête pas de courir. Un jour, il découvre presque par accident l’existence de Toumany Coulibaly. Ils ont le même âge. Viennent tous les deux d’une cité de Ris-Orangis, en banlieue parisienne. Connaissent le même «  banlieusard syndrome  » décrit par le rappeur Disiz dans une de ses chansons. 

Toumany est particulier. C’est un athlète de haut vol. Il remporte le championnat de France du 400m en athlétisme, l’un des exercices les plus difficiles d’une discipline des plus difficiles. Il pourrait faire les Jeux Olympiques, tout le monde sait qu’il a beaucoup de talent. Ses coachs croient en lui. Des garçons talentueux comme ça, on en voit passer qu’une seule fois dans une vie. Mais l’existence n’est pas une ligne droite. Toumany se fait arrêter à plusieurs reprises pour des cambriolages.

Même quand l’athlétisme lui sourit, même quand il y a compétition le jour, il s’organise pour aller voler des pharmacies ou des magasins de téléphonie la nuit. Mathieu écrit à Toumany. Il veut le rencontrer, comprendre, percer le mystère. «  Peut-être pour un livre  » dira-t-il à Toumany. Pas de réponse. Puis, un an plus tard, dans sa boîte aux lettres, il reçoit une lettre signée d’un dessin étrange. L’athlète accepte de le rencontrer. 

Histoire d’une rencontre

Si dans la première partie de son livre, Mathieu Palain tente de restituer de manière quasi biographique la vie de Toumany Coulibaly, Ne t’arrête pas de courir est pourtant moins l’histoire d’un seul homme que celle d’une rencontre. Il y a une certaine forme de violence dans cette amitié naissante. Ils ont beau venir du même endroit, être de la même époque, l’un finit derrière les barreaux, l’autre pas. À mesure que Toumany se dévoile à Mathieu, la question initiale devient de plus en plus obsédante. Pourquoi a-t-il fait tout ça alors qu’il avait tout pour réussir  ? Le cas Toumany pose une question plus grande encore. Qu’est-ce qui détermine le destin d’un homme  ?

«  Sa première incarcération remonte à 2007. On avait dix-neuf ans en 2007. Je veux dire lui et moi, puisqu’on a six mois d’écart. Je marchais chaque matin de mon immeuble jusqu’à la gare de Ris-Orangis et me tapais une heure de RER pour rejoindre la fac, à Paris.  »

Mathieu Palain, Ne t’arrête pas de courir

Les entretiens dans le parloir de la prison s’enchaînent. Toumany se révèle intelligent, pragmatique. De sa famille, composée d’un père, deux mères, et plus d’une quinzaine de frères et sœurs, il est le seul à avoir dévié. La vie n’est pas une route linéaire et il demeure des choses qui ne s’expliquent jamais. Mathieu Palain capte avec justesse les doutes, les hésitations, les humiliations, aussi, parfois. 

Littérature du réel

En lisant ce livre, on se heurte aussi à l’humanité brûlante de Mathieu Palain qui décrit sans jamais juger, qui décèle les peines sans les accuser. Il perçoit les lueurs d’espoir qui brillent dans les yeux des autres, retranscrit et leur redonne une humanité dont parfois on les prive. 

Puisque le concept de son livre consistait à dévoiler la vie de son ami, Mathieu Palain décide de se dévoiler aussi. Parce que la littérature, surtout quand elle parle du réel, ne se fait pas au détriment des autres. Qu’il ne s’agit pas de les vampiriser sans se mettre soi en danger. Disant cela, on a immédiatement une pensée pour Emmanuel Carrère et la polémique autour de Yoga. Ce livre dans lequel il se mettait en scène, toujours à son avantage au détriment de ses proches. Palain, de toute façon, préfère l’écrivaine Florence Aubenas.

«  Je ne savais plus quoi penser. J’avais les premières phrases du livre de Janet Malcolm, Le Journaliste et l’Assassin, qui me frappaient la tête comme un boomerang  : «  Le journaliste qui n’est ni trop bête ni trop imbu de lui-même pour regarder les choses en face et le sait bien. (…)  » Je n’avais envie d’être aucun d’entre eux.  » 

Mathieu Palain, Ne t’arrête pas de courir

Dans Ne t’arrête pas de courir, il n’est pas question de se mettre en avant. La vie de Mathieu Palain – en liberté – est un miroir de celle de Toumany, qui ne sort que rarement de prison. L’occasion aussi de questionner notre méconnaissance française du système carcéral et de se demander, à rebours de toute forme d’actualité  : que devient-on une fois que l’on a passé une grande partie de sa vie en prison  ? Quelle vie pour après  ? Si la littérature consiste à voir à travers les yeux de l’autre, pas de doute que ces yeux-là nous font le plus grand bien. 

Ne t’arrête pas de courir de Mathieu Palain, éditions de L’Iconoclaste, 19 euros. 

Journaliste

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