CINÉMA

« France » – Portrait d’une icône

France © ARP Sélection

Après l’embrasement de Jeanne d’Arc dans son précédent film, Bruno Dumont poursuit son travail sur les icônes avec France. Son cinéma se confronte aux images médiatiques dans un tourbillon passionnant.

Contrairement à ce qui est écrit un peu partout, ce n’est pas la première séquence qui marque les esprits. France de Meurs (Léa Seydoux) participe à une conférence de presse donnée par le président de la République où une relation fictionnelle est rendue possible par le montage et l’utilisation de fonds verts. L’effet est troublant. Les artifices ne sont pas cachés et le malaise provient davantage de la longueur de la scène que du potentiel comique, peut-être visé. Le sujet n’est pas tant la connivence entre la sphère médiatique et la sphère politique mais plutôt la façon dont notre regard – en tant que téléspectateur, mais aussi spectateur du film -, conditionne la vie de France. Les regards portés à la caméra témoignent de cela. Bruno Dumont ne prend pas son sujet de haut, il prend sa part en tant que fabriquant d’images.

De la boue à la lumière

Après deux siècles de refus des images dans le christianisme, le mouvement iconodoule émerge au tournant du VIIIème siècle. La vénération des icônes (images portatives, peintures) prend le relai de la personne sainte ou du martyr. Acceptée par l’Eglise, cette pratique triomphe et les écrits des iconoclastes (opposés aux iconodoules) disparaissent, rendant difficile le travail de l’historien. Ce refus de l’image s’entend par l’opposition première du christianisme au paganisme. Sur un terrain plus contemporain, la télévision s’est développée après le cinéma dans un climat concurrentiel parfois violent.

Cet outil présent au cœur des foyers charrie tout un lexique du religieux – la scansion imposée par les journaux télévisés comme des moments de recueillement. Bruno Dumont ne cesse d’illustrer cette querelle des images. Dans une superbe séquence, France de Meurs rend visite à une femme dont le mari a tué une petite fille du village. Elle se rend ensuite près du lieu où cet acte a été commis, des fleurs jonchent une barrière où la photo de la gamine apparait. C’est une image figée, presque mystique, regardée par France. C’est la photographie qui lui fait prendre conscience du monde mais la révélation est directement troublée par les caméras qui filment la journaliste.

France © ARP Sélection
France © ARP Sélection

Avec France, le cinéaste prolonge le geste de Jeanne. Les icônes sont brûlées avant d’être idolâtrées. C’est ce que dit le personnage de Lou (Blanche Gardin) à France. Elle doit être trainée dans la boue avant de recevoir l’amour des gens. Après tous les montages grossiers et les mensonges, le regard de la mère en deuil sur France n’a pas changé. Elle la voit toujours comme une personne lumineuse. Tout cela est bien une affaire de croyance, d’où un sujet bien plus large que l’auscultation du milieu journalistique. Bruno Dumont nous demande de croire constamment, à l’instar de ces ruines qui évoquent un théâtre de guerre.

Peut-on sauver France ?

Après plusieurs films se déroulant dans le Nord, dans des régions ravagées par la désindustrialisation, il n’est pas si surprenant de voir Bruno Dumont s’intéresser à cet autre monde qu’est celui de la bourgeoisie. L’environnement domestique de France est constitué d’un appartement aux murs noirs avec des tableaux évoquant l’élévation, l’idée de s’arracher de la terre. C’est une idée très présente dans la filmographie de Bruno Dumont (cf. Alligier Maryline, Bruno Dumont. L’animalité et la grâce, Rouge Profond, Paris, 2012) mais ici se joue une logique de l’abstraction, de l’éloignement au réel.

Il n’y a aucun geste d’amour dans ce lieu si ce n’est sur le mode de l’obligation comme quand France demande à son fils de l’embrasser face à des convives. Tout n’est que rapport de force économique. C’est l’intrusion d’un amant qui vient, peut-être, modifier cela. Plus largement, dans une séquence où France participe à une distribution de repas pour les plus démunis, elle ne peut s’empêcher de pleurer, ramenant un moment de solidarité à un geste introspectif. C’est que le don de soi ne lui semble même pas possible. Les gros plans sur les visages tranchent avec les plans d’ensemble de l’appartement-bunker. Est-elle seulement sauvable de ce système ? C’est la ligne directrice du film.

La petite lueur de rédemption, elle la trouve dans l’accident qu’elle provoque. France prend conscience des difficultés sociales chez les classes populaires. Son aide financière qu’elle propose à Baptiste, le jeune livreur empêché de travailler, est une manière d’accéder à la rédemption. C’est ce qu’induit la partition musicale de Christophe. Ce dernier l’a composé pendant les derniers mois de son existence, tirant le film du côté de la métaphysique. L’amour de France se porte seulement sur des icônes, sur des images figées du passé. L’évènement tragique qui arrive à son fils et à son mari ne provoque pas beaucoup de remous. C’est qu’au fond, France n’a probablement jamais été vivante.

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