CINÉMA

(Re)Voir « Back Home »  : L’absence plus forte que les bombes

© Golem Distribución


Plus fort que les bombes, c’est le titre original du film, renommé par Memento Films suite aux attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Joachim Trier, réalisateur norvégien d’Oslo 31 août, y raconte à la fois la division et l’unité d’une famille moderne. À revoir en ce moment sur Ciné+

Fasciné par le cinéma français, Joachim Trier explique dans une interview pour Ny Tyd s’être beaucoup inspiré d’Alain Resnais, réalisateur aussi expérimental qu’humaniste. Il est également transcendé par les écrits de Marguerite Duras, qui, selon lui, exprime à merveille « la subtilité et la profondeur de tout deuil ». Cette profonde dévastation intérieure, l’incapacité à s’exprimer, l’adolescence, tels sont les thèmes qui lui collent à la peau. 

Une leçon sur l’incommunicabilité

Dans ce récit, le réalisateur a tout misé sur la multiplicité de points de vue des personnages, souhaitant dépeindre le deuil d’une famille toute entière. Le pari fut de trouver une manière cinématographique de relater plusieurs souffrances sans passer par le format de la série, ce qui requiert une grande finesse psychologique.

Back home raconte trois trajectoires masculines dont l’absence féminine pèse un peu trop lourd. Celle d’Isabelle Reed – jouée par Isabelle Huppert, grande photographe de guerre, qui ressuscite le temps d’une exposition au MoMA, trois ans après s’être donnée la mort. Son fantôme n’a jamais cessé d’ obnubiler sa famille endeuillée. Pourtant, cet événement viendra faire remonter à la surface un passé étouffé par les non-dits. 

© Memento Films

Dans cette même interview pour Ny Tyd, Joachim Trier parle d’Isabelle Huppert comme une véritable icône moderne :

« Elle bouleverse le cadre dès qu’elle entre dedans. Elle est imprévisible. Avec elle, il ne s’agit pas de science, mais d’art. »  

Joachim Trier

Intéressé par la dimension existentielle de ses personnages, le réalisateur signe un film sur les tiraillements sans enjoliver la réalité. Le suicide – thème récurrent de son oeuvre, est considéré par le réalisateur comme une forme de contrôle du temps, à la fois une pensée réconfortante et terrible. Ce thème est selon lui un moyen inconscient de questionner sa propre vie, ses propres pertes.

L’art de la nuance

Pendant l’écriture, Joachim Trier a beaucoup exploré la photographie de guerre. Intéressé par les effets de la guerre sur les familles, il a remarqué que les photographes femmes avaient un accès différent aux familles endeuillées. Dans cette famille moderne dans laquelle un père se révèle aussi vulnérable que ses enfants, Joachim Trier tend à casser certains stéréotypes encore trop ancrés. Ici, la mère est érigée en héroïne, sans qui le monde cesse de tourner.

Malgré ces thématiques pesantes, le réalisateur parvient tout de même à laisser son audience créer sa propre relation à l’histoire. Par le biais de séquences plus oniriques (comme cette séquence clipesque où les pom-pom girls dansent dans le ciel), parfois même comiques – voire ironiques en abordant frontalement les cruautés de l’adolescence, il n’oublie jamais de nuancer le fond.

© Memento Films

Adepte du slow-motion et des flashbacks, le réalisateur considère le cinéma comme une recontextualisation de moments capturés. Ce qui l’intéresse est avant tout la question de la mémoire : comment se rappelle-t-on ? Back Home a comme point de départ une certaine forme de « capitalisme des émotions », et tend à le déjouer. Ne plus passer assez de temps à observer la complexité des choses : serait-ce le mal du siècle ?

« Je filme avec la sensation d’être au bord de l’acrobatie. », confia Joachim Trier dans une interview pour UniversCiné. Il n’y a qu’à avoir vu Back Home pour le confirmer…

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