CINÉMA

« Pour l’Éternité » – Humains après tout

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Auréolé du prix de la mise en scène lors de l’édition 2019 de la Mostra de Venise, Roy Andersson livre dans Pour l’Éternité une chronique esthétisante et contemplative sur une humanité en quête de sens. Quitte à se perdre lui-même en chemin.

Dans Pour l’Éternité, son sixième film en plus de cinquante ans, Roy Andersson (Chansons du deuxième étage, Un Pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence) choisit d’employer la formule qui a fait sa réputation, à savoir de longs plans fixes mobilisant des personnages évoluant dans l’absurdité de l’existence entre douce poésie et noirceur contemporaine.

Triste monde

Dans la catégorie du cinéma de l’anecdotique, Pour l’éternité semble questionner toutes les limites. Avec son atmosphère d’une tristesse absolue, l’humour n’intervient que dans des proportions très faibles, comme si le nihilisme de son auteur l’avait emporté sur tout le reste. Dans cette fable contemplative qui capte la solitude des êtres – puisque ceux-ci, même entourés, ne sont qu’unités à la dérive – la dimension picturale, de Chagall à Hopper, existe à chaque seconde.

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Les scènes se succèdent ainsi comme une série de photogrammes, instantanés à l’exposition plus moins longues dans lesquels la lumière peine à percer, et les humains à véritablement exister. Cette ambiance de crépuscule, Roy Andersson la doit justement à sa photographie, qu’il élabore dans un studio privé, donnant à son esthétique des teintes glaciales, cliniques, où seuls le gris, le blanc cassé et le bleu blafard semblent trouver leur place.

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La voix off, omnisciente, décrit autant qu’elle présente, expose comme elle suggère, avec sa déclinaison de mystère et d’indolence. Éclairant les situations ou renforçant l’évidence, la formule est, elle, toujours la même : « J’ai vu .. ». « Un homme », « une femme », « un couple », « une armée », comme autant de déclinaisons propres à décrire des scènes tantôt d’une banalité confondante, tantôt d’un écho historique, quand elles ne confèrent pas directement au fantastique, au merveilleux. À ce niveau-là, le cinéma du réalisateur suédois fonctionne pleinement lorsqu’il touche une forme de surréalisme, d’onirisme : un couple flottant dans les airs au dessus d’une ville en ruines, un serveur distrait, un cauchemar christique.

De même que l’émotion transperce l’écran lors de moments aussi intenses et dramatiques que simplement tristes : une condamné à mort implorant la pitié de ses semblables, une femme cherchant son compagnon sur le quai d’une gare déserte, des parents venant visiter la tombe de leur fils. Des instants qui, placés dans cet ordre, raconte une histoire, une autre histoire. Et ces images, qui semblent tour-à-tour glanées de situations rêvées, fantasmées, réelles ou fictives, fonctionnent alors à merveille. Au risque d’oublier de confier un sens profond à cet enchaînement de moments (presque) sans conséquences.

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Des hommes sans dieux

Derrière ce procédé narratif fragmenté, deux personnages apparaissent pourtant à plusieurs reprises. Le premier, un prêtre qui a perdu la foi, lutte contre ses cauchemars et ses addictions, au rythme de séances désespérées chez son psychanalyste et de ternes offices. « Il faut se satisfaire d’être en vie » déclare le docteur lors d’un de leurs entretiens, sans parvenir pourtant à apaiser ou rassurer son patient.

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Le second, un homme que la rencontre manquée avec un ancien camarade de classe va faire basculer dans une crise existentielle parsemée de regrets et de jalousie, se construit en miroir avec d’autres protagonistes épisodiques : un dentiste à fleur de peau, un couple dont la crise s’affichera publiquement, et même la chute d’un célèbre dictateur. Il y a aussi cet homme, en pleurs dans un bus, qui répète à ses congénères qu’il ne « sait pas » ce qu’il veut. Des scènes de la folie ordinaire, douces ou exacerbés, interchangeables et malléables, qui ouvrent pourtant parfois des perspectives plus optimistes. «  Tout est fantastique » déclare ainsi, entre deux verres, un homme heureux dans un bar moribond et silencieux.

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La musique, présente par touches discrètes et impressionnistes, se dispute au silence en proposant un tour d’horizon des esthétiques de ces deux derniers siècles, de Léon Boëllmann à Billie Holliday en passant par Vincenzo Bellini ou même Hans Edler.

Musique accompagnant la scène la plus onirique du film.

L’absurde, que l’on décèle dans l’ADN de l’auteur et ses œuvres précédentes, ne jaillit que bien trop rarement dans ce marasme ambiant qui finit, malheureusement, par lasser malgré la brièveté (1h16) de ce lent geste cinématographique aussi neurasthénique qu’ habité.

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Par son rythme figé et son absence de volonté de construire une gradation, une échelle ou un mouvement dans sa succession de saynètes, le film perd hélas un peu de ce que son titre prometteur aurait pu nous faire toucher du doigt. Entrecoupées de cartons noirs aux longueurs variables, ces chroniques d’un monde contemporain en crise peinent à atteindre l’universel malgré ses ambitions plurielles et cosmopolites. En peinant ainsi à créer du sens, ne reposant que sur la puissance de ses images évocatrices, Pour l’éternité dévoile alors sa véritable matière, qui n ‘est peut-être pas celle des grands diamants bruts capables d’étinceler sur les décennies et générations futures. Il n’en subsiste alors qu’une tentative, et rien de plus qu’une intervention humaine.

Pour l’Éternité de Roy Andersson, en salles depuis le mercredi 4 août.
AMOUREUX DES SONS, DES MOTS ET DES IMAGES, DE TOUT CE QUI EST UNE QUESTION D'ÉMOTION, DE RYTHME ET D'HARMONIE.

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