À mi-chemin entre documentaire sportif et récit de vie, UFO Production nous plonge, avec Les Sorcières de l’Orient, dans la spectaculaire histoire de l’équipe féminine de volley-ball japonaise, de sa création à sa victoire aux Jeux Olympiques de 1964. Alors que Tokyo 2020 occupe tous les écrans, retour presque soixante ans en arrière, pour des Jeux non moins spectaculaires.
Japon, 1960. Encore traumatisé par les catastrophes de la Seconde Guerre Mondiale, le pays est en reconstruction. Tokyo est alors choisie comme hôte pour les Jeux Olympiques de 1964. Une occasion de renouer avec l’international, et de confirmer la place du Japon au rang de puissance mondiale.
Dans une petite usine de fabrication de tissus, un groupe d’ouvrières voit leur vie changer drastiquement lorsqu’un ancien militaire s’impose comme coach de volley-ball. Pour lui, rien n’est envisageable, si ce n’est la plus grande des victoires, la consécration ultime : en quatre ans, les petites tisseuses vont devenir les meilleures joueuses de volley-ball au monde. Aujourd’hui, celles que l’on surnommait les « sorcières de l’Orient » sont septuagénaires. Et pourtant, le volley-ball n’a jamais quitté leurs vies.
Un format astucieux et équilibré
Produit par Julien Faraut, à qui l’on doit également le long-métrage Regard neuf sur Olympia 52 (2013), le film présente un mélange des genres. Les anciennes joueuses nous invitent à partager leur quotidien, qui reste fortement empreint de leur expérience de volleyeuses. À cela s’ajoutent des témoignages directs, mais également des images d’archives et divers éléments de pop culture. Si le film est classé en tant que documentaire, il ne présente pas uniquement des récits de vie linéaires. Il permet ainsi de s’évader quelques instants pour ensuite mieux se concentrer sur l’histoire.
Les joueuses nous racontent leur vie avec naturel, autour d’un de leurs repas annuel ou bien dans le confort de leur maison, entourées de leur familles. Certaines d’entre elles sont décédées, d’autres ne sont pas joignables. Il reste ainsi un noyau dur de cinq joueuses, parmi les plus jeunes à l’époque de Tokyo 64. Ces dernières se souviennent, face caméra, de l’arrivée de cet ancien militaire à l’usine où elles travaillaient. Elles nous illustrent la création de leur équipe jusqu’à l’attribution de ce surnom, par la presse internationale : les sorcières de l’Orient. Comme expliqué au début du documentaire, le terme de sorcière était alors mal vu dans la culture nippone. Cependant, cela a posé les fondations d’une légende autour de cette équipe, qui résonne encore aujourd’hui dans la pop culture.
Nous pouvons ainsi citer le célèbre manga et animé des années 70- 80 Attack No.1. Celui-ci met en scène une équipe de volley-ball et sa leader, Kozue, du club de sport de l’école jusqu’aux JO. Les ressemblances avec l’équipe japonaise ne sont pas anodines. Les diverses apparitions de certaines images de l’animé permettent de donner un rythme entraînant au documentaire. En alternant témoignages, images d’archives et interludes animés, Les Sorcières de l’Orient constitue un documentaire vivant et complet.
Une discipline laissant peu de place au loisir …
L’animé Attack n.1 est réputé pour être le premier shojô, catégorie de mangas ciblant alors principalement le genre féminin. S’il a créé des vocations de volleyeuses (et volleyeurs), il n’en reste pas moins un récit triste et relativement lourd, empli de péripéties lui donnant un caractère tragique. Ce choix artistique de la créatrice n’est finalement pas si éloigné de la réalité.
Le sport est désormais vu comme un plaisir, une passion qui peut se transformer, dans certains cas, en travail. La discipline qui incombe à tout sportif ne doit pas étouffer le plaisir que chacun éprouve à pratiquer son sport. Cependant, cette vision est relativement moderne : elle ne s’applique, en tout cas, pas à nos joueuses.
Ce que le documentaire nous montre, c’est un quotidien mêlant deux formes de travail. La journée, de 8h à 16h, l’usine, le soir, de 17h à 3h du matin, le sport. L’objectif de la victoire n’était pas mené par la passion et l’amour du sport, bien que ces derniers soient également présents. Ils sont néanmoins éclipsés par une discipline stakhanoviste, et un entraînement aux allures militaires.
C’était une période de sacrifice, comme le disent les anciennes joueuses, de sacrifices conséquents qui ne devaient mener qu’à une seule chose : l’or olympique. Partie de quasiment zéro, l’équipe affrontera les meilleures nations, à l’instar de l’URSS, championne incontestée de bon nombre de disciplines.
…mais un amour inconditionnel pour ce sport
Les images d’archives des entraînements montrent un travail acharné, mais également une ardeur profonde mêlée à une détermination sans bornes. Dotées de la solennité avec laquelle l’on reçoit une mission, les douze joueuses/ouvrières se sont emparées de cet objectif. Elles ont formé une équipe, sont entrées dans l’intimité les unes des autres, à une époque où la pudeur était ce qui caractérisait davantage la société nippone. Ensemble, elles se sont unies dans un sport qui, aujourd’hui encore, suscite un amour inconsidéré. Elles en ont fait la quête d’une vie.
La fin du documentaire, montrant en images d’archives la finale contre l’Union soviétique, est digne des meilleurs matchs des meilleurs championnats. Et la victoire des Japonaises est euphorisante, après avoir suivi leur quotidien de septuagénaires et avoir appréhendé leur chemin jusque-là. Sur leurs visages, lors de la remise des médailles, pas un seul sourire. Des yeux déterminés, un air sérieux, quelques larmes tout au plus. Elles ont trouvé dans le sport une échappatoire, et finalement une destinée hors du commun. Gagner les Jeux Olympiques, c’est le lui rendre bien.