Sorti en 2018 au Japon, initialement prévu en mars 2020 en France et repoussé trois fois, Le Soupir des vagues est (enfin) à découvrir en salles depuis le 4 août. Ce long métrage de Kōji Fukada, à la croisée du réalisme et de la légende urbaine, s’inspire du douloureux souvenir du tsunami de 2004 survenu en Asie du Sud-Est.
L’histoire commence comme un conte. Sur une plage de l’île de Sumatra, en Indonésie, un jeune homme est retrouvé endormi. L’écume de la mer a porté son corps nu jusqu’au rivage. Les habitants du village sont fascinés par cet être mystérieux et mutique surgit des eaux, qui ne semble réagir qu’à la langue japonaise. Il est rapidement surnommé Laut, « la mer » en indonésien. Ce début d’intrigue coïncide avec l’arrivée de la jeune Sachiko (Junko Abe), venue rendre visite à sa famille japonaise installée sur l’île. On comprend qu’elle vient aussi y répandre les cendres de son père, à un endroit très précis de Sumatra dont elle ne possède qu’une simple photo.
Ce sont alors plusieurs histoires qui vont s’entrecroiser au sein de la communauté de l’île encore impactée par le tsunami. Le mystère qui entoure Laut (interprété par Dean Fujioka), les recherches de Sachiko en quête de l’endroit pris en photo par son défunt père, mais aussi la naissance de deux romances entre les jeunes du groupe de protagonistes. Un démarrage aussi étrange que confus, qui propulse la suite du film dans plusieurs directions à la fois.
Le réel merveilleux
De ce film à multiples trames se construit un scénario alliant magie et réalisme qui s’inspire des croyances animistes japonaises. L’étrange personnage de Laut révèle être capable de ressusciter les plantes, mais également les êtres humains, dans certaines scènes où le fantastique fait irruption de façon presque « naturelle ». La manifestation des pouvoirs magiques de Laut est par exemple captée par la caméra d’Ilma (Sekar Sari), la jeune journaliste du groupe, dont l’écran est lui-même filmé. Une mise en abyme répétée plusieurs fois dans le film, qui permet à Kōji Fukada d’adoucir la frontière entre le réel et le spectacle de la magie.
Laut est représentatif d’un autre monde, celui imaginaire des esprits. Son personnage semble mêler plusieurs légendes à la fois. On retrouve par exemple une croyance issue du folklore japonais, celle des funayūrei, des fantômes de personnes disparues en mer et devenus des esprits vengeurs. A la fin du film, le chant de Laut entraîne les enfants jusqu’à la rivière et semble alors faire référence au Joueur de flûte de Hamelin, une légende germanique de l’époque médiévale.
Par cette présence constante du surnaturel, Fukada évoque la mémoire encore vive du tsunami qui hante la province d’Aceh, épicentre du séisme et lieu où se déroule l’intrigue. Il parvient également à piquer notre curiosité et à étirer le voile du mystère sur toute la longueur du film, laissant planer un doute sur l’identité de Laut jusqu’à la fin.
Métaphore sentimentale
Au milieu du drame, la poésie du long métrage se manifeste à travers deux relations romantiques, celle entre Sachiko et Kris puis entre Takashi et Ilma. Leurs amours naissantes sont dépeintes avec pudeur et filmées de façon telle que nous nous attachons à ces personnages, parfois maladroits, mais toujours sincères. Pour parvenir à se comprendre, ces derniers doivent en effet surmonter la barrière de la langue mais aussi celle de leurs cultures respectives. Dans une scène où il tente d’avouer ses sentiments à Sachiko, Kris cite une phrase japonaise que son ami Takashi (le cousin de Sachiko) lui a appris. Il déclare « Que la lune est belle », une métaphore de l’écrivain Sōseki pour dire « Je t’aime ». Bien sûr, Sachiko reste interdite. Mais nous, spectateurs.ices, avons saisi toute la poésie de l’instant.
Un film de mémoire
Il ne serait pas totalement faux de qualifier ce film « d’hommage » aux victimes du tsunami, mais aussi en mémoire aux conflits ayant longtemps opposé l’Indonésie au Japon. Dans Le Soupir des Vagues, Kōji Fukada s’attache en effet aux traditions (japonaises et indonésiennes mélangées) et aux références historiques. Il entre en cela dans les codes du cinéma japonais, tourné vers le passé, avec la présence toujours palpable des ancêtres.
Bien qu’il ne dure qu’une heure et demie, le tempo du film est lent, les scènes s’étirent parfois en longueur, comme pour justifier un caractère énigmatique. Fukada ne précipite pas ses scènes, ce qui nous laisse le temps de nous attacher aux personnages, mais aussi celui de nous perdre progressivement. A l’inverse, les dernières minutes sont tout à fait étranges et mènent à une fin abrupte, qui instaure le doute. Peut-être est-ce un choix d’auteur de la part de Fukada que de multiplier les indices troublants, forçant les spectateurs.ices à se poser des questions, sans jamais obtenir de véritables réponses. Il réussit ainsi à mettre en scène un film énigmatique, manquant peut-être de finitions.
Le scénario lui s’éparpille, parfois maladroit, et ne parvient pas toujours à nous entraîner dans l’aventure que promet le film. Les nombreux protagonistes et les différents récits qui s’entrecroisent proposent un film à multiples lectures, mais qui prend le risque de perdre son public en chemin.
L’œuvre n’en reste pas moins poétique et touchante, et cultive une importante part de mystère qui en conséquence laisse l’histoire en suspens. Le soupir des vagues, c’est ici le bruit de l’absence et du souvenir. Un bruit sourd, qui transperce à l’écran et ne peut nous laisser indifférent.e.