Tous les mois la rédaction de Maze célèbre un classique du cinéma. Après Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman, place au magnifique Le Labyrinthe de Pan, réalisé par Guillermo del Toro.
Guillermo del Toro n’a plus à prouver qu’il fait partie des grands. Récompensé aux Oscars en 2017 pour La Forme de l’eau, ses contes étranges, entre rêve et horreur, ne cessent de fasciner. Si sa filmographie est très inégale, il n’en reste pas moins que le réalisateur est à l’origine de certains des plus beaux films de ces dernières décennies. Parmi eux, on trouve Le Labyrinthe de Pan. Présenté à Cannes en mai 2006, il capture l’essence d’un cinéaste différent, souvent incompris.
Le Labyrinthe de Pan : conter la légende
Dans Le Labyrinthe de Pan, Guillermo del Toro utilise le conte pour mettre en scène le destin tragique de la jeune Ofelia. Celle-ci doit faire face à la séparation de deux mondes : celui de la guerre menée par les franquistes, envahissant peu à peu son quotidien, et celui des créatures qui l’emportent la nuit vers des aventures incertaines. De ces créatures, se détache la figure de Pan, le faune. Emprunté directement à la mythologie grecque, ce personnage sulfureux semble l’appeler, comme pour la guider vers un destin nouveau. Entre rêve et réalité, les mondes se confondent et se ressemblent. À la fois emprunts de douceur et de cruauté, d’aventures et de danger, ils ne forment plus qu’un à travers Ofelia.
Les résistants sont tous proches, cachés dans la forêt, présents comme l’espoir résolu d’un monde meilleur. Le face à face entre franquistes et résistants plane comme une menace sur les mondes d’Ofelia. Mais le destin de la jeune fille est au-dessus des hommes. Il dépasse et transcende la simple réalité. En choisissant de nommer son personnage comme le personnage de Shakespeare, Ophelia, le metteur en scène fait encore appel à la mythologie. Comme le personnage d’Hamlet, Ofelia semble liée jusque dans sa chair au clair de lune, à la nature, et au rêve. Le réalisateur entreprend ici son plus beau projet : un poème lyrique, plus délicat que ses autres films. Des images bleutées habillent des créatures fantastiques, qui prennent vie dans un monde déchiré par la violence. L’ambivalence de cet univers emporte dans une allégorie fabuleuse de la vie.
Habiller le rêve par la musique
Les mélodies mélancoliques de Javier Navarrete viennent envelopper le récit d’un voile de poésie. Construite entièrement autour d’une seule berceuse, la bande-son du Labyrinthe ajoute une autre dimension au rêve. Doux, mais profondément tristes, ses morceaux rappellent l’enfance et annoncent la fin d’une innocence. Comme si la tendresse des rêves se retrouvait soudain confrontée à la vie, celle qui emporte dans des tourbillons d’émotions contradictoires, mêlant violence et beauté dans une danse tragique. Les notes révèlent comme une prise de conscience douloureuse face à un monde trop grand, trop effrayant. Pourtant, c’est un message d’espoir qui transparaît entre les lignes de la partition. Le début de la vie ne signifie pas pour autant la fin des rêves.
Laisser entrer les monstres
Le réalisateur semble d’ailleurs vouloir à tout prix défendre le pouvoir de magie des rêves. Rêver, lorsque la vie est trop dure à affronter. Rêver pour la rendre plus belle quand ses aléas nous bousculent un peu trop fort. Rêver non pas pour se fermer à elle, mais plutôt pour vivre encore plus intensément l’expérience bouleversante de l’Être. La beauté du Labyrinthe de Pan réside dans ce message délicat, tout en nuances mais pourtant si évident. L’imaginaire a une valeur inestimable. Le moquer ou le négliger, c’est finalement se priver, et priver le monde, d’un supplément d’âme qui rendrait tout plus beau. Ici, la beauté n’est pas superficielle ou plastique. Guillermo del Toro envisage la beauté comme l’acceptation totale de la condition humaine, dans ce qu’elle peut avoir de monstrueux et d’innocent à la fois.
En acceptant la Palme d’Or pour Titane, Julia Ducournau revendiquait la monstruosité comme une arme, « une force pour repousser les murs de la normativité ». Guillermo del Toro envisage lui aussi les monstres comme les visages d’un imaginaire nécessaire et précieux, capturant l’essence même de l’existence dans ce qu’elle a de riche et d’inattendu. Sa filmographie toute entière est dédiée à ces personnages étranges, plus humains que tous malgré les apparences. Le Labyrinthe de Pan est un exemple parfait de cette volonté, en même temps qu’un conte bouleversant qui n’en fini pas de se révéler à chaque visionnage. Incontournable.