CINÉMA

« La Terre des hommes » – La fille des champs

© Diligence Films / Ad Vitam

Présenté dans le cadre de la Semaine de la critique 2020, le deuxième long-métrage de Naël Marandin est une plongée âpre dans le monde agricole. Percutant et édifiant, ce film choc est porté par l’interprétation bouleversante de Diane Rouxel.

2020 fut une année particulière. Notamment pour le septième art. Même si les traditionnels Césars et Oscars ont pu se tenir, les autres réjouissances cinématographiques furent quelque peu chamboulées. Parmi elles, le Festival de Cannes. Reporté puis annulé, l’événement a néanmoins pu subsister sous une autre forme grâce à la mise en place d’un label et au maintien de quelques sections parallèles, comme l’ACID ou la Semaine de la critique dont la sélection complète vient d’être projetée à la Cinémathèque française. Et cette année, même si les films n’ont pas été montrés sur la Croisette, on peut tout de même dire que nous avons eu affaire à un grand cru. On retiendra notamment le sensationnel La Nuée de Just Philippot, sorte de thriller rural complètement halluciné ou Sous le ciel d’Alice, fable insolite réalisée par Chloé Mazlo.

Et dans un autre genre, il y avait La Terre des hommes, deuxième long-métrage de Naël Marandin (après son prometteur La Marcheuse, sorti en 2016). Ce nouveau film est aussi proche que différent de son précédent. Exit la ville et l’atmosphère urbaine, place à la campagne et son monde agricole. Mais les deux longs-métrages ont tout de même certains points communs. Dans les deux cas, il est question d’un personnage féminin devant composer face à la violence des hommes. Dans La Marcheuse, on suivait le destin d’une clandestine chinoise qui se prostituait dans les rues de Belleville.

Avec La Terre des hommes, on fait la connaissance de Constance. D’emblée, elle sera perçue comme une intruse, comme une personne que l’on regarde avec méfiance. Son tort ? Être une femme dans le milieu agricole, majoritairement masculin. Mais la jeune fille n’est pas du genre à baisser les bras. Les champs, elle connaît ça depuis le plus jeune âge puisqu’elle est fille d’agriculteur. Rien d’étonnant donc à ce qu’elle se destine à ce métier. Avec son fiancé, elle a même certains projets pour sa future exploitation. Oui, mais dans ce genre de cas, il faut des appuis et des soutiens. Et ceux-ci vont lui être apportés par Sylvain Rousseau, un charismatique entrepreneur. Toutefois, les choses ne s’obtiennent pas si facilement et Constance va l’apprendre à ses dépens.

Pour ne pas tourner autour du pot, autant le dire tout de suite. La Terre des hommes est un film qui aborde cette fameuse notion de la « zone grise ». Autrement dit, cette frontière extrêmement ténue entre la relation consentie et le viol. Ces dernières années, avec les scandales de harcèlement sexuel et l’affaire Weinstein, on en a beaucoup entendu parler. Curieusement, le cinéma ne s’était pas vraiment emparé de ce fait de société. C’est désormais chose faite.

Naël Marandin évoque de manière frontale le problème. Ici, son personnage se retrouve victime des assauts sexuels d’un homme d’âge mûr. Mais est-elle totalement victime puisqu’elle est consciente de la situation ? Avec une grande intelligence, le cinéaste se penche sur cette ambiguïté, qui a complètement redéfini les rapports entre les hommes et les femmes. La Terre des hommes est un film puissant où la complexité sera le maître mot. Point de manichéisme ou de raisonnement binaire ici. Il n’y a pas les gentils d’un côté et les méchants de l’autre.

Suivant une mécanique parfaitement huilée, le scénario délivre un discours qui fait froid dans le dos, notamment sur la situation personnelle des agriculteurs. Pour donner corps à Constance, Naël Maradin a choisi la jeune Diane Rouxel (La Tête haute, Volontaire, Mes Provinciales, etc.). Jusqu’à présent, on connaissait son potentiel et on ne doutait pas du talent de ce jeune espoir du cinéma français. Mais aujourd’hui, on ne joue plus dans la même catégorie. Car Diane Rouxel n’est plus un espoir mais une grande actrice sur laquelle le septième art hexagonal va devoir compter. On n’a pas fini d’en reparler.

You may also like

More in CINÉMA