CINÉMA

« Kaamelott – Premier Volet » – Histoires anciennes et nouvelles conquêtes

© SND / Regular Production.
© SND / Regular Production

Plus de dix ans après le dernier épisode, la série culte d’Alexandre Astier, Kaamelott, fait son retour tant attendu sur grand écran dans un premier chapitre haut en couleur, enlevé et généreux bien qu’un peu sage. Petite analyse, sans trop en dévoiler sur l’intrigue, des caractéristiques et enjeux de ce film-événement.

Difficile aujourd’hui, même en orbite, d’être passé à côté du phénomène Kaamelott : de sa discrète apparition sur une chaîne privée au début de l’année 2005 à son avènement lors de sa conclusion télévisuelle à l’automne 2009. Les multiples rediffusions et spéculations quant à la suite de cette relecture tragi-comique de la légende arthurienne ont ancré durablement cette licence dans la culture populaire française.

L’architecture même de la série originale est un cas d’école. Composée de six saisons, elle voit les trois premières évoluer dans un univers constitué de petites pastilles de quelques minutes, révélant tous les ressorts créatifs et la dimension comique de son auteur, Alexandre Astier, avant d’étendre ses formats et de prendre une tournure plus dramatique pour atteindre des sommets d’émotions dans les deux suivantes. L’ultime saison, nommée Livre VI, se concentre elle sur un retour aux origines du fameux héros avant un ultime épisode en forme d’épilogue épique et fort prometteur, amorçant la déclinaison cinématographique de la saga, pensée à travers la forme d’une trilogie.

Arthur Pendragon adolescent, interprété par Neil Astier. © SND / Regular Production.

Après deux spectacles (le splendide Que ma joie demeure  ! et l’honorable Exo-conférence), un premier film (David et Madame Hansen avec Isabelle Adjani), deux adaptations animées des aventures d’Astérix (Le Domaine des Dieux et Le Secret de la Potion Magique, tous les deux co-réalisés avec Louis Clichy), de discrètes participations à différents longs-métrages et quelques bandes-dessinées en collaboration avec Steven Dupré prolongeant l’univers de la série, Alexandre Astier propose enfin une suite à son œuvre-phare, longuement mûrie. Au risque aujourd’hui, sous ses ambitions, de décevoir peut-être parfois certains de ses aficionados les plus exigeants comme les plus réfractaires des néophytes.

Au commencement était le Verbe

Porté par une horde de fan et une notoriété parfois étouffante, l’univers de Kaamelott se traduit d’abord, dans la série, par un amour du dialogue, des répliques. Et surtout de ses comédiens campant des personnages souvent absurdes (voire profondément stupides) mais toujours terriblement humains et attachants, en adoptant un vocabulaire et un argot de circonstance, parsemé d’expressions récurrentes.

Dans cet exercice, Alexandre Astier s’aime. Il est conscient de ce qu’il représente, ce qu’il porte, ce qu’il transmet. Mais ne semble jamais pourtant se complaire dans la facilité, les lignes confortables, les paris gagnées d’avance. Ses capacités d’orateur, de comédien, d’homme publique éclairé et cultivé semblent nourrir un travail d’orfèvre, où la recherche du ton juste, de la pertinence et de la perpétuelle remise en question de ses propres buts et obsessions sont prioritaires.

Guillaume Gallienne et Loïc Varraut dans les rôles d’Alzagar et Venec.
© SND / Regular Production.

Pour défendre à nouveaux ces valeurs et caractères au cinéma, le créateur a choisi de s’entourer d’une solide équipe et d’un important casting. Outre les personnalités habituelles (Thomas Cousseau, Anne Girouard, Jean-Christophe Hembert, Franck Pitiot) et personnages secondaires marquants (Alain Chabat, Antoine De Caunes, François Rollin, Christian Clavier) s’ajoutent ici une pléiade de nouveaux venus, parmi lesquels Guillaume Gallienne, Clovis Cornillac, Jenny Beth et même… Sting. Si cette profusion de protagonistes entraîne parfois des survols et confusions relativement dispensables face aux réels enjeux narratifs, force est de constater que l’univers de Kaamelott gagne ainsi en épaisseur et en profondeur quitte à lisser certains de ses aspects fondamentaux. Il devient ainsi une grosse machine, emplie de nouveaux rouages qui délaisse quelque peu sa simplicité originelle pour se complexifier, plus ou moins artificiellement, sans pour autant perdre en cohérence.

Sting dans le rôle du saxon Horsa. © SND / Regular Production.

En se libérant de certaines contraintes morales, financières, formelles et même temporelles (les acteurs ayant vieillit à la même vitesse que l’ellipse narrative de dix ans qui sépare la fin de la série de ce nouveau chapitre), Alexandre Astier a fait le choix de l’indépendance, du contrôle absolu et de l’intransigeance : il est le seul capitaine de cet immense navire, ce mastodonte devenue égrégore dont il est le géniteur. Ce qui, pour un artiste guidé par les questions de parentalité et de transmission, est plutôt bon signe.

Du hors-champs au plain-chant

Pourtant, entouré de ses parents, amis, enfants et même compagne, ce dernier a su bâtir une véritable entreprise familiale, lui, le fils de comédiens lyonnais élevé aux mimiques de De Funès qui se rêvât, dans un premier temps, musicien. Et de musique, il en est grandement question à travers Kaamelott – Premier Volet. Il en signe à la fois les compositions originales et l’orchestration, le tout enregistré par l’Orchestre National de Lyon sous la baguette de Frank Strobel chez le prestigieux label Deutsche Grammophon. Et si l’ombre de John Williams, l’un de ses maîtres absolus, plane évidemment sur le score, A. Astier parvient à tirer son épingle du jeu en misant sur l’intimisme de certains thèmes (comme le sublime Arthur à la Tour), ses ambitions néo-classiques (le solennel Juste Judex) et l’emploi d’instruments ethniques plutôt rares.

Alors que la série fonctionnait sur une économie des décors et effets spéciaux (châteaux, créatures et batailles étant uniquement présents en dehors du cadre, avec le son et de sommaires effets visuels comme éventuels artifices), le film en prend le contrepied et se délecte de sa possibilité de rendre physique ce qui n’était que suggéré jusqu’alors. L’univers du jeu vidéo, cher à Alexandre Astier, existe ici dans les lignes et textures choisies pour faire exister les nombreux costumes et décors, plus ou moins subtils.

Et si l’invisible reste encore le meilleur ami de l’imagination, difficile de bouder son plaisir face à la vision d’éléments tant fantasmés, imaginés, et souvent même espérés. Alors même que le fantastique ne fait qu’une apparition encore limitée dans le déroulement narratif (rôle décisif des divinités dans le récit, apparition fantomatique), il laisse le libre champs à toutes les nuances et variations possibles en termes d’ancrage dans la tradition de l’ heroic fantasy pour les films à venir.

En faisant le choix d’un certain maximalisme face au touchant minimalisme de la série, A. Astier abandonne une dimension pour en aborder une autre, sans qu’il soit encore certain que celle-ci lui sied tout à fait ; c’est pourtant sur ce terrain qu’il est le plus aventureux dans les nombreux choix ayant mené à la création de ce film.

Inévitable duel entre Arthur (Alexandre Astier) et Lancelot (Thomas Cousseau). © SND / Regular Production.

Au niveau de cette transposition, si la maîtrise technique d’ A. Astier n’est pas à prouver, avec une image et une gestion des tons et couleurs exemplaire, son utilisation du langage cinématographique reste elle plus sommaire et discutable. Au prix d’un montage parfois asthmatique et d’une écriture de l’image souvent approximative, il parvient toutefois à utiliser cet outil de création et d’expression pour mettre en valeur ce qu’il sait faire de mieux  : soigner les répliques, raconter une histoire par les mots, les gestes et les regards, avec ce verbe-haut cher à Kaamelott et véritable signature de son univers.

Perturbant la règle des trois unités chère au théâtre et très présente dans la série, le film place pourtant la question du rythme au cœur de sa matrice, de son intrigue (à l’image d’une scène conviant l’expertise chorégraphique de Blanca Li) à sa forme pure, comme pour dire le lien entre musique et cinéma, image et mouvement.

La résistance de la comédie grand public

L’alchimie entre les acteurs, sur laquelle repose la fondation même de cet univers, fonctionne dans Kaamelott sans toutefois générer la constante étincelle qui brillait dans la série, comme si les années passées sans ces liens et personnages avait quelque peu défaits la spontanéité et réelle symbiose de son équipe. En effet, si la majorité des répliques font mouches, d’autres fonctionnent étonnamment moins bien et ne semblent pas être la conséquence d’une écriture plus paresseuse mais, plutôt, résulter d’approches moins évidentes, naturelles.

Ici d’ailleurs, l’humour semble mieux fonctionner lorsqu’il laisse le temps à son format de s’adapter, de prendre son temps : une nage absurde, une porte un peu trop résistante, une escalade laborieuse. Et l’émotion, dont le pic sera atteint lors d’une scène aussi inattendue que touchante, ne semble pouvoir réellement exister alors que dans cet interstice là, où le récit prend le temps de respirer, de s’étirer.

Les troupes de la Résistance face au régime de Lancelot. © SND / Regular Production.

On attendait un film déstabilisant, chargé de surprises et de révolutions  : Alexandre Astier fait pourtant ici le choix de la sécurité, en donnant à sa trilogie une base solide afin de permettre à la saga de prendre un nouvel élan. A la façon de la fondation de la dernière trilogie Star Wars, il assoit son mythe par un épisode prudent, plutôt flatteur et chargé de promesses pour la suite. Et si la sensation de redite pointe parfois le bout de son nez – dans les répliques, dans le transfert de caractères et archétypes préexistants dans de nouveaux personnages secondaires, dans la trame qui rappelle fortement celle développée tout au long du Livre V de la série -, force est de constater qu’il construit ainsi une comédie d’aventure d’un genre assez nouveau, rare et louable, à la dimension épique et romanesque.

Perceval (Frank Pitiot) et de nouvelles recrues. © SND / Regular Production.

Avec ce Kaamelott – Premier Volet, Alexandre Astier interroge notre propre rapport à la légende, aux mythes, au culte. Le film revêt ainsi parfois des allures de vieux parc d’attraction, vestige heureux où l’on visite les fantômes des souvenirs qui nous ont fait vibrer, rire, pleurer, grandir. De vagues réminiscences de sensations autrefois bien plus fortes, mais qu’un souffle épique suffit à raviver pour un bon moment. Et quand on aime, on ne compte pas. Ni les années, ni les défauts, ni les combats. Longue vie au Roi.

Kaamelott – Premier Volet, un film réalisé par Alexandre Astier, en salle depuis le 21 juillet.
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