CINÉMA

« L’indomptable feu du printemps » – Mamie fait de la résistance

L'indomptable feu du printemps
© Arizona Distribution

Dans un long-métrage puissant et poétique, le réalisateur sotho Lemohang Jeremiah Mosese interroge la fidélité aux traditions, face à un monde moderne qui risque de tout faire chavirer. Tout simplement grandiose.

Imaginez vivre dans un village de haute montagne, dans un environnement pur et paisible. Vous pensez avoir trouvé le havre de paix idéal, quand tout à coup, au motif qu’un barrage doit être construit pour transférer l’eau vers le pays voisin, on vous annonce qu’il faut quitter les lieux. Invraisemblable, non ? C’est pourtant ce que raconte Lemohang Jeremiah Mosese dans L’indomptable feu du printemps  (This Is Not a Burial, It’s a Resurrection). Du côté des contradicteurs, pas grand monde. Ah si  ! A l’écart du village vit une veuve âgée, Mantoa (Mary Twala). Et Mantoa va se battre. Une fiction, certes, mais qui dénonce, et dont l’inspiration est tirée d’une histoire vraie..

Comme un jeu de poupées russes, Mantoa est isolée. Isolée, car elle se tient là, droite et fière, à mener un combat que les autres villageois prennent à la légère. Mantoa, c’est ensuite cette doyenne d’un hameau isolé, dans les montagnes du Lesotho. Le Lesotho est enfin un pays lui-même isolé, enclavé dans l’Afrique du Sud. Et pourtant. Bien qu’elle ne soit qu’un grain de sable de désert, Mantoa va rallier celles et ceux qui l’entourent, à sa cause.

La mort comme boussole

Se sachant au crépuscule de sa vie, Mantoa se prépare quotidiennement à la mort, comme un but final. C’est de ce rite que débute sa lutte, que la résistance trouve sa raison d’être. Elle refuse que les tombes de son village ancestral soient submergées, que les traditions soient souillées. Tout au long du récit, L. J. Mosese invoque la mort, sous forme de cycle. Les couleurs chaudes alternent avec des plans de pièces sombres et de ciel d’orage, ou virent vers un blanc qui aveugle, semblable à l’au-delà.

L'indomptable feu du printemps
© Arizona Distribution

Primé au Festival international du film de La Roche-sur-Yon, L’indomptable feu du printemps impressionne par le lourd travail esthétique qu’il mobilise. Mosese parvient à baser son savoir-faire autour de l’antagonisme entre d’un côté, la tradition, qu’il faudrait respecter, et de l’autre la modernité, à laquelle il faudrait se plier. Le réalisateur restitue le volet traditionnel par des moments de sagesse  : la parole est posée, réfléchie, la cacophonie inexistante. Parfois, tout s’emballe. La vitesse d’obturation est alors ralentie, les sons stridents s’enchaînent. Le spectateur est alors plongé dans un état de trouble, qui laisse libre cours à son interprétation.

Un précieux manifeste

Le long-métrage est atypique, il sort des sentiers battus. Tout d’abord, parce qu’il évoque un problème de société toujours méconnu dans cette partie du globe. En l’occurrence, un «  conflit de l’eau  » qui se cristallise entre aspirations urbaines et rurales. Ensuite, car il permet à un cinéma émergent d’exister. Avec L’indomptable feu du printemps, Mosese élève un Etat sur la scène internationale. Il s’agit du premier long-métrage de fiction d’un réalisateur sotho. Par conséquent, les dialogues sont en sotho, langue bantoue. Atypique enfin par sa forme, très libre, le film ne rentre pas dans des cases. Il combine une atmosphère lyrique, onirique, voire divine, à une histoire grave et bien réelle. Et ça n’est pas une mince affaire.

Difficile de rester insensible face à ce combat d’une fin de vie, incarné à merveille par Mary Twala. Par son interprétation, elle a permis de représenter la grand-mère du réalisateur, elle-même chassée de son village lorsqu’il était enfant. Déjà affaiblie lors du tournage, transportée sur dos d’âne lors de certaines scènes, l’actrice s’est éteinte quelques mois plus tard, en juillet 2020. Voir ce film, c’est lui rendre un bel hommage.  

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