CINÉMA

Festival la Rochelle Cinéma 2021 – Vive le cinéma

© Excelsa Film

La 49e édition du Fema s’est déroulée du 25 juin au 4 juillet 2021. Malgré une forte baisse de fréquentation, ce premier grand retour collectif en salles avait une saveur particulière. Attaché.e.s à la diversité cinématographique, les programmateurs et programmatrices du festival ont offert une nouvelle édition riche en expériences.

Le Fema est considéré comme un festival pour cinéphiles aguerris. Pourtant, une fois encore, il a su jouer avec les codes et les genres cinématographiques pour offrir un large panorama du cinéma de patrimoine et contemporain. À côté des monstres que sont Pialat, Rossellini et René Clément, des œuvres moins connues ont su trouver leur public. Sans compétition, le Fema laisse au spectateur le soin de constituer son propre voyage cinématographique. Le tout au cœur d’un répertoire de plus de 200 films.

Repères historiques

Cette année, le Fema a proposé une rétrospective pour quatre cinéastes. Parmi ceux-ci, les habitués du festival ont pu revoir avec plaisir les œuvres de Pialat, Clément et Rossellini (1906-1977).

La filmographie nécessairement sélective de ce dernier s’est attachée à épouser le parcours du cinéaste néoréaliste. De Rome, ville ouverte (1945) à La prise de pouvoir par Louis XIV (1966), c’était l’occasion de constater une fois encore la prégnance de la question morale dans l’œuvre du cinéaste italien. À ce titre, voir ou revoir la «  trilogie des villes en ruines  » (Rome, ville ouverte  ; Païsa  ; Allemagne année zéro) sur grand écran a permis de prendre la pleine mesure de la destruction matérielle, mais surtout morale, de l’Europe à la fin de la seconde guerre mondiale. Souvent seule issue possible au cœur des paysages désolés, la mort à l’écran confère au cinéma rossellinien un devoir de vie nécessaire. De nouveau en salle, son œuvre interroge et enseigne encore le sens de l’histoire.

Alain Delon dans Plein Soleil © StudioCanal, Carlotta films

Les grands événements historiques ont aussi inspiré l’œuvre de René Clément (1913-1996). L’œuvre du cinéaste français fait écho à celle de Rossellini. Le festivalier pouvait ainsi faire le pont entre les chefs-d’œuvre du néoréalisme italien et les films de celui que la presse nommait «  le Rossellini français  ».

C’est aussi la redécouverte sur grand écran de deux de ses œuvres phares  : Plein soleil (1960) et Le Jour et l’heure (1962). La restauration par StudioCanal du premier rend pleinement hommage aux couleurs enivrantes de la côte italienne. Il s’agit d’un travail d’orfèvre. Travail bien servi par le jeu d’un jeune Alain Delon dont la gueule d’ange, souvent filmée en gros plan, rappelle la nécessité de la projection en salle. Dans Le Jour et l’heure, c’est Simone Signoret que l’on redécouvre., impressionnante de dignité et de tendresse dans le rôle de Thérèse Duteil, femme bourgeoise qui se voit embarquée, malgré elle, dans une mission de la Résistance à la fin de la guerre.

La vie, pleine et entière

Enfin, le Fema a souhaité mettre à l’honneur Maurice Pialat (1925-2003). Le cinéaste est peut-être un peu plus oublié dans les mémoires cinéphiles que certains de ses collègues majeurs. La rétrospective proposée était donc l’occasion d’assoir son rôle dans la naissance d’un certain cinéma français. Sans failles, son œuvre donne de l’épaisseur à une jeunesse et une enfance à la fois désabusée, en colère et pleine d’amour.

Des classes populaires de L’Enfance nue (1968) ou de Passe ton bac d’abord (1978) à la bourgeoisie de A nos amours (1983), Pialat saisit la vitalité d’un âge souvent méprisé. Quand vient l’âge adulte, ce principe vital ne disparait pas des plans du cinéaste. On crie beaucoup chez Pialat et ses personnages masculins (dont Gérard Depardieu est l’un des piliers), sont détestables. Mais jusqu’à Van Gogh (1991) et Le Garçu (1995) c’est toute la complexité de l’âme humaine qui tâtonne dans ses films. Aussi l’occasion d’assister aux débuts de Sandrine Bonnaire et de voir une Isabelle Huppert déjà inoubliable.

Dans le sillage de Pialat, la filmographie de Xavier Beauvois a trouvé une place toute naturelle dans cette édition. Aux prises avec un désespoir vissé au corps, le cinéaste filme la façon dont les idéaux s’écrasent sur le mur d’une réalité sans concession. Avec grâce toutefois. Car pourtant loin de la religion, Xavier Beauvois prend son temps pour atteindre une foi qu’il laisse se consumer d’elle-même. De façon évidente Des Hommes et des dieux (2010) demeure son chef-d’œuvre. Toutefois, sa performance dans le rôle-titre de N’oublie pas que tu vas mourir (1995) consacre ce film comme un manifeste de son cinéma. Une plongée corps et âme dans une vie qui s’épuise de trop désirer.

Chiara Mastroianni et Xavier Beauvois dans N’Oublie que tu vas mourir © Why Not Productions

(Re)découvertes

Pour compléter ce cycle de rétrospectives, le Fema a mis au jour la filmographie d’un cinéaste mexicain peu connu en Europe  : Roberto Gavaldón (1909-1986). Dans Double destinée (1946) l’on découvre que le réalisateur est un maître du mélodrame noir. Il a fait ses classes techniques au sein de Hollywood, lors de la période du cinéma muet. En ce sens, les analogies avec le film noir américain ne sont pas fortuites. Il réussit cependant à développer une ironie acerbe qui singularise fortement son œuvre.

Déjà à l’honneur du festival rennais, Travelling 2020, le duo de cinéastes libanais Khalil Joreige et Joana Hadjithomas est venu présenter, en avant-première, son nouveau film Memory Box. Les deux cinéastes parcourent une fois encore les méandres de la mémoire torturée du Liban. Aux côtés de ces artisans de la mémoire, un autre artiste étranger, lui aussi présent à Travelling en 2019, le Roumain Radu Jude. Le point d’orgue de l’hommage a constitué en la projection de l’absurde et intelligent Bad luck banging or loony porn (Ours d’or à Berlin en 2021). Toutefois, il a aussi permis de faire retour sur une filmographie soucieuse d’interroger l’histoire de son pays. Avec, entre autres, l’essentiel The Dead nation (2017) sur la persécution des juifs en Roumanie ou le sarcastique Aferim  ! (2015), Jude s’affirme comme un fier représentant du renouveau du cinéma roumain.

S’ajoute à cette série de belles redécouvertes cinéphiles, deux sélections. Celle pour les 60 ans de la semaine de la critique ainsi que celle «  d’hier à aujourd’hui  ». Parmi les films restaurés, l’étonnant premier long de Patricia Mazuy, Peaux de vaches (1988) ou encore la farce tragique de Milos Forman, Au feu les pompiers  ! (1967) donnent de l’épaisseur à une programmation déjà bien étoffée.

Et maintenant  ?

Enfin, le Fema porte un regard alerte sur la création contemporaine. Cette année, la programmation autour du stop motion a permis de faire un zoom sur une technique simple et souvent méconnue. Du désopilant Fantastic Mr Fox (Wes Anderson, 2009), à la création ultra contemporaine européenne, le festival a mis à l’honneur un cinéma tout en matières qui touche petits et grands.

Fantastic Mr Fox © Twentieth Century Fox France

Ce retour en salle a aussi été marqué par le celui des avant-premières. Elles sont le signe d’une belle effervescence dans la création cinématographique. Parmi les films à venir sur grand écran, citons le beau long métrage de Gaël Lépingle, L’Eté nucléaire. Il interroge, dans l’immédiateté de l’urgence de la catastrophe, la nécessité des liens amicaux. Enfin, Gianfranco Rosi, déjà présent en 2016 pour présenter Fuocoammare, était de retour avec son dernier documentaire en date, Notturno. Allant toujours plus loin dans la soustraction d’informations, le réalisateur interroge la notion de frontière, cette fois-ci de l’autre côté de l’océan, entre l’Irak, le Kurdistan, la Syrie et le Liban, sans jamais les nommer. Il atteint ainsi une forme d’épure qui rappelle que le documentaire aussi a le droit à sa poésie.

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