Pour son premier long-métrage, De l’or pour les chiens, présenté à la Semaine de la critique à Cannes, Anna Cazenave Cambet revisite le récit d’initiation adolescente pour en présenter une version féminine, féministe et ultra-contemporaine. Sublime.
Les noms des distributeurs noircissent encore l’écran de De l’or pour les chiens qui n’a pas commencé, que l’on entend déjà des bruits de coït. Dès les premières minutes, Anna Canzenave Camet plante le décor. On y voit sa jeune héroïne, Esther, cheveux courts et teints dans un blond platine qui met en valeur sa peau dorée. Esther en plein rapport sexuel, en plein jour, sur la plage, avec un garçon penché sur elle. On est tenté d’être admiratif face à cet élan de la jeunesse, une potentielle fureur de vivre et d’aimer que l’on représenterait à l’écran. Mais voilà, les corps se secouent grossièrement, l’amant d’Esther lui prend les mains pour l’empêcher de bouger. Il lui crache dans la bouche. Une fois qu’il a joui, elle l’entoure de ses bras. Il se relève et va se baigner.
Portrait de jeune femme
On ne sait pas bien où va De l’or pour les chiens dans ses premières minutes. Ce portrait ultra-réaliste d’une jeune fille que l’on devine laissée sur le bas-côté touche. Il gêne. Esther est vendeuse de glaces dans une station balnéaire de l’Ouest de la France. Le garçon qu’elle fréquente, c’est Jean, serveur dans le restaurant d’en face. Le soir, Esther essaie d’appeler sa mère qui ne répond pas au téléphone. « Tu dois être très occupée », souffle-t-elle, presque candide, à son répondeur. Dans un carnet, elle fait le récit de sa vie. « On l’a fait trois fois sous la douche », raconte la voix off qui accompagne l’écriture du journal intime. Sur la douche, à la plage, dehors, dedans, de nuit comme de jour, Esther et Jean ont fait l’amour. La sodomie ? « J’y suis pas arrivé », écrit-elle avant que la caméra ne se retourne sur son visage angélique et juvénile. Vertige.
Si Esther est follement amoureuse de Jean, la réciproque se discute. Le soir, au bar, elle le voit draguer une autre fille. Il l’ignore royalement. Elle le voit coucher avec l’autre. Alors qu’elle marche sur la plage, il la rattrape. L’enlace. C’est son dernier jour à la mer, bientôt il rentrera à Paris. Esther l’aime et voudrait le rejoindre. Son périple commence ici.
Sororité
Avant de s’en aller à Paris rejoindre un Jean qui ne l’attend probablement pas, Esther passe voir sa mère à son travail. Celle-ci est ravie de voir sa fille, jusqu’à ce que son nouveau mec, de passage, ne fasse tourner Esther sur elle-même. « J’aimerais bien que ta mère s’habille aussi court », la mère s’énerve. On veut lui voler son homme. C’est la fille qui est de trop. Anna Cazenave Cambet fait d’abord le portrait d’une déflagration toute contemporaine des femmes. Les relations hétérosexuelles ne les grandissent pas, elles les asservissent. Pas de personnage masculin réellement positif dans ce conte initiatique qui en dit long sur un désarroi aussi féminin que contemporain.
Mais le salut existe. De l’or pour les chiens trouve une troisième voie, réinvente la sororité et montre à travers son personnage d’Esther, ingénue résolument généreuse, que d’autres chemins restent à tracer. Tallulah Cassavetti, l’actrice qui campe Esther, est lumineuse, franche, naïve, généreuse. Candide, presque, mais n’a rien à voir avec les héroïnes féminines comme en écrivent les hommes. Si son désarroi est le fil rouge du film, c’est sa gentillesse qui offre une porte de sortie. Ce récit initiatique revisite le genre et lui propose d’autres options que celles que l’on connaît déjà : pas d’hommes au bout du voyage. En fin de compte, De l’or pour les chiens semble avoir beaucoup à voir avec la Ladybird de Greta Gerwing, teenmovie revisité à l’issue duquel la sororité triomphait.