CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2021 – « Annette » : It’s show time folks !

© UGC Distribution

SÉLECTION OFFICIELLE – COMPÉTITION – Près de dix ans après l’hybride Holy Motors, Leos Carax fait son retour sur la Croisette. Présenté en film d’ouverture du 74e Festival de Cannes et en compétition, Annette met en scène Marion Cotillard et Adam Driver dans une comédie musicale ténébreuse, une oeuvre-totale brillante et démesurée. A voir en salles dès ce mercredi 7 juillet.

En 2012, Leos Carax marquait les dix dernières années de son cinéma avec Holy Motors, un voyage étrange et fascinant. Avec Annette, les années 2020 sont lancées et le cinéaste réitère. Il frappe de nouveau un grand coup, en maître, en lice pour la Palme d’or. Le Festival de Cannes n’aurait pas pu rêver plus grandiose pour lancer cette 74e édition après une année blanche et pour célébrer le cinéma dans ce qu’il a de plus merveilleux.

Leos Carax se positionne dès l’ouverture en chef d’orchestre. En studio aux côtés de sa fille, Nastya, il lance les Sparks, auxquels s’ajoutent des choristes puis les comédien.nnes principaux.ales. Toustes entonnent le premier titre de cette comédie musicale « So May we start ? », comme un générique pour introduire le récit qui va se jouer. Une fois encore, le poète Carax envoie valser les conventions. Et si le casting glamour, l’affiche romantique – contre vents et marées – et le côté music-hall annonçaient un conte merveilleux, Annette surprend.

Il plonge dans les abysses du film sombre, de l’opéra rock où le personnage mégalomane s’inscrit instantanément dans la lignée des Joe Gideon d’All That Jazz de Bob Fosse ou Swan de Phantom of the Paradise de Brian de Palma. Mais le créateur d’ Annette est bien plus vicieux dans son scénario avec sa mise en scène qui se renouvelle sans cesse, se jouant de ce romantisme hollywoodien.

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Vestiges de l’amour

Sur une idée des Sparks, de composer une histoire d’amour entre une immense cantatrice et un stand-uppeur à l’humour noir au sommet chacun de leur gloire. Une divine idylle – bercée par le titre « We Love Each Other So Much » – qui va sombrer dans le cauchemar après la naissance de leur fille, Annette. À partir de ce postulat chanté, Leos Carax va parsemer cette nouvelle œuvre de son cinéma : outre la présence musicale, le singe, le corps beau et monstrueux d’Adam Driver capable de se mouver dans toutes les positions comme l’alter ego du réalisateur, Denis Lavant ou de Guillaume Depardieu dans Pola X, les courses effrénées nocturnes à moto, et les amours romantiques à l’extrême. Mais aussi de sa vie personnelle, en dédiant Annette à sa fille dont la maman, l’actrice russe Katerina Golubeva s’est suicidée il y a quelques années. Le spectacle devient un miroir de ses différentes obsessions, des nôtres aussi.

Sans trop en dévoiler – pour ne pas gâcher la splendeur obscure du deuxième acte – en abordant ainsi la starification et ses ravages sur le couple, l’enfant people devenu objet et plus loin encore l’âme humaine, le réalisateur évoque l’après #MeToo et l’emprise de la masculinité toxique poussée à son paroxysme. Jamais il ne donne l’impression de surfer sur ces sujets. Au contraire, à travers son récit, il interroge avec amertume la destruction qui s’opère chez son personnage, la jalousie et l’égocentrisme germant dans tout son corps jusqu’à noircir l’intérieur de ses entrailles. Là où les monstres se cachent sous le vernis et les paillettes du monde du spectacle.

Et si quelques longueurs peuvent se faire ressentir à sa moitié, elles semblent nécessaires, créant une respiration avant de s’enfoncer dans un enfer nous privant de toute émotion jusqu’à la réminiscence finale. En déclarant une fois de plus, par tous les moyens visuels dont il dispose, son amour au cinéma, Leos Carax crée un fastueux spectacle dans lequel se confrontent deux des plus grands comédien.nne.s contemporains (Marion Cotillard et Adam Driver) capables de jouer chez tous et pour tous, capables de se métamorphoser d’un personnage à un autre et de devenir les marionnettes condamnées de cette tragédie parfois kitsch mais enivrante de cinéma. Leos Carax repousse les propres limites de son art et de ses techniques pour créer cette oeuvre totale, plus grand public que ces précédents films mais tout aussi unique et puissante. Alors que le spectacle commence !

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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