ART

Avalanche : de l’Art en poudre

"Avalanche", pal project © Salim Santa Lucia

Pulvériser des œuvres d’art ? Nelson Pernisco et Andy Rankin l’ont fait. Respectivement artiste et curateur, le duo a eu carte blanche pour son exposition à la galerie d’art contemporain Pal Project à Paris. Le projet Avalanche en est le résultat, à découvrir en sachets, jusqu’au 31 juillet.

Comme son nom l’indique, la proposition faite par Avalanche est une déferlante dans le milieu de l’art contemporain. Questionnant à la fois le Temps et la Matière, avec l’Art pour centre de gravité, ce projet regroupe pas moins de 110 artistes de divers domaines et horizons. Chacun d’entre eux.elles s’est vu proposé.e de confier une œuvre, un fragment ou un rebut pour être ensuite réduit en poudre.Pas moins de 110 artistes ont accepté de confier une œuvre ou partie d’œuvre à pulvériser. Exposées dans la galerie Pal Project, les poudres récoltées de chaque œuvre sont vendues sous sachet ziploc et à prix égal : 100€ le gramme. Des concepts novateurs et une démarche atomistique qui démystifie autant qu’elle questionne l’œuvre d’art. Cette dernière est réduite à sa forme primitive (ou serait-ce plutôt celle finale ?) qui rappelle au caractère éphémère et évolutif de tout ce qui est matière, même l’Art.

Détruire pour engendrer

C’est bien connu, une œuvre est le produit de la création. Mais pourquoi pas celui aussi de la destruction ? Ou plutôt de la fragmentation, comme l’évoquent les organisateurs d’Avalanche dans un communiqué de presse. Leur projet s’intéresse à l’usure du temps sur la matière, à l’érosion. Ce qui était poussière hier est une œuvre d’art aujourd’hui. Ce qui est œuvre aujourd’hui sera poussière demain. « Et si finalement, on arrêtait tout cycle d’engendrement et de destruction pour un temps donné ? » interroge Andy Rankin. Avec Nelson Pernisco, ils décident donc  « d’accélérer le processus du temps » en réduisant volontairement les œuvres en poudre, afin de les exposer un temps donné, celui de l’exposition, sous leur forme la plus élémentaire.

Le temps de l’exposition, le temps de la vie de tous ceux qui ont vécu le projet, le temps de conservation des sachets individuels, sont autant de marqueurs temporels qui permettent de nous laisser croire que la matière est figée. Mais il n’en est rien du tout ! “ 

Andy Rankin

Une conception intemporelle, qui évoque en parallèle les différents effets du temps et de l’entropie sur les matériaux. Sollicitée pour participer à l’exposition, l’artiste plasticienne Lucie Douriaud y reconnaît un peu de sa propre démarche artistique. « Je suis sensible à la matière, à son recyclage et à ses transformations en grains, en poudres, et il me plaisait de participer pour valoriser des rebuts d’atelier ». Intéressée notamment par les notions de paysage, les impacts liés aux diverses activités et les transformations écologiques, l’artiste travaille en volume avec différents matériaux qu’elle récupère et réduit elle-même en poudre. « Je fragmente la matière en grains et en poudres qui peuvent s’apparenter à des pigments, que je réemploie dans la production de mes sculptures. »

Pour Avalanche, Lucie Douriaud a confié 4kg de rebuts de son œuvre “Quand un océan meurt, une montagne naît“, œuvre qui évoque elle-même les transformations et la continuité de la matière dans le temps. Dans ce qu’elle a nommé sa “matériauthèque”, Lucie Douriaud conserve également ses poudres en sachet, qu’elle réutilise et incorpore le plus souvent à du plâtre pour ses assemblages. Pour “Quand un océan meurt, une montagne naît“, l’artiste a réduit des cagettes en plastique, mais aussi des coques de moule, clin d’œil à l’océan, qui confèrent un aspect nacré irisé à sa sculpture. 

“quand un océan meurt, une montagne naît”, Lucie Douriaud 2021 © Salim Santa Lucia

Le processus de pulvérisation des œuvres, auquel l’artiste plasticienne n’a pas assisté, a nécessité plusieurs outils similaires à ceux de son atelier. Broyer, déchiqueter, tamiser… selon Nelson Pernisco, certaines œuvres furent plus dures que d’autres à réduire en poudre, résultant en plusieurs granulométries. «  À un moment, quand un matériau est trop compliqué à broyer et qu’il est déjà dans un grain satisfaisant, on ne cherche pas à essayer d’atteindre la poudre la plus fine possible  » évoque-t-il. «  Ce qui donne un résultat surprenant et des choses très chouettes  ».

Les différences dans l’aspect des poudres permettent, entre autres, de retracer une partie de l’histoire du matériau ou de reconnaître les couleurs d’une œuvre. Une forme d’indices, seule manière de différencier les œuvres entre elles. Le poids total, la date et le nom de l’artiste sont ensuite écrits au marqueur sur le sachet. Véritable échantillonnage artistique. 

Pulvérisation – Avalanche, pal project © Salim Santa Lucia

Le “Marché” de l’Art

C’est un peu comme de se retrouver à peser ses articles au marché, Avalanche surprend par sa proposition de vente au gramme. Les œuvres, aussi bien d’artistes renommés.es que de jeunes artistes moins connus.es, sont réduites à leur poids et vendues au même prix, échappant ainsi à tout autre critère de jugement esthétique ou plastique et mises sur un pied d’égalité. «  L’usure, l’érosion ou l’entropie ont des effets différents en fonction des matériaux ou de leur conservation, mais pour Avalanche, toutes les pièces sont au même niveau » indique Andy Rankin. Toutes ayant subi le même processus de transformation, il ajoute «  Il n’y a pas de piège de mémoire ou de conservation ». 

Pour l’artiste Lucie Douriaud, l’expérience de la vente au poids a été surprenante. «  Pour être honnête, j’avais oublié l’aspect commercial du projet », confie-t-elle. L’artiste avait déposé 4 kg de rebuts de son œuvre (le poids maximal requis), dont il résulta trois sachets de poudres exposés. « J’ai été très surprise durant le vernissage, en considérant le prix final que cela pouvait donner aux rebuts de ma sculpture. »

De cette expérience curatoriale, l’organisateur Nelson Pernisco évoque une «  scénarisation de destruction d’œuvres ». Celle-ci semble questionner la fragilité du concept même d’œuvre d’art, de sa valeur et de ce que la posséder veut dire. En proposant d’acheter les poudres de ce qui fut une œuvre, Avalanche offre une expérience d’acquisition différente sur le Marché de l’Art.«  Surtout, les acheteurs peuvent acheter l’action du temps, ce qui est quelque chose d’assez fort finalement », mentionne Andy Rankin.

Vue d’exposition – Avalanche, pal project © Salim Santa Lucia

Lucie Douriaud s’est sentie davantage concernée par l’aspect anti-gaspillage et certains axes de réflexions qu’engage une telle exposition. Cultivant un rapport de soin avec ses œuvres, l’artiste confie avoir du mal à se séparer définitivement d’une création ou à jeter ses rebuts. Ainsi, la proposition faite par Nelson Pernisco et Andy Rankin a tout de suite fait écho à sa propre démarche de recyclage.«  La relation que j’entretiens avec la matière me pousse régulièrement à me poser la question du poids que représente mon existence, de ma charge matérielle » raconte-t-elle. Face au résultat de l’exposition et aux poudres accrochées dans des sachets en plastique transparents, Lucie Douriaud a également retrouvé de sa « collection-archivage » et des échantillons qu’elle conserve à son atelier. La mention “anti-gaspi” visible sur les sachets ziploc apparaît également comme un rappel à l’entropie, à l’impact de l’homme sur la matière, et à la place de l’Art au centre de ce questionnement.

Se présentant comme volontairement libre et expérimentale, la galerie Pal Project accueille ‘Avalanche’ du 12 au 31 Juillet, 39 rue de Grenelle, 75007 Paris. Programmation disponible ici. Instagram : @palproject @andyrank.in @nelsonpernisco. Le travail de Lucie Douriaud est à retrouver sur son site : luciedouriaud.fr et sur Instagram @lucie.douriaud

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