CINÉMA

« The Amusement Park » – Le trésor retrouvé de Romero

Le vieil homme (Lincoln Maazel) seul face à sa détresse dans The Amusement Park © Potemkine Films.
Le vieil homme (Lincoln Maazel) seul face à sa détresse dans The Amusement Park © Potemkine Films.

Près de 50 ans après son tournage,The Amusement Park trouve le chemin des salles obscures. Cette satire grinçante, signée par le maître de l’horreur Romero, dénonce la détresse des personnes âgées face à la stigmatisation de la vieillesse. 

The Amusement Park résulte d’une commande passée par les organisations religieuses Lutheran Service Society de Pennsylvanie et la Fondation Pitcairn-Crabbe. L’objectif de ces institutions est alors de sensibiliser à la maltraitance des personnes âgées par le biais du cinéma. Bien que tout juste sorti du succès de La Nuit des Morts-vivants (1968), Romero ne touche pas de royalties sur son film. Il accepte alors la proposition de créer un court-métrage de prévention pour cette cause.

Ainsi, d’un tournage rapide et d’un mini-budget émerge le conte sombre et surréaliste The Amusement Park. Refroidies par cette fable angoissante et sans happy end, les organisations commanditaires refusent toutefois de diffuser le court-métrage. Ce n’est qu’après la mort du réalisateur que le film est finalement (re)découvert par sa veuve Suzanne Desrocher-Romero. Elle décide donc de restaurer en 4K le film avec l’aide de l’association new-yorkaise IndieCollect. Ainsi, une pépite cinématographique horrifique et inédite est en passe d’être dévoilée au public, près de 50 ans après son tournage.

Ça se passe près de chez vous

Sur l’écran, un homme déambule dans un parc d’attraction désert. Il s’agit de Lincoln Maazel, l’acteur principal du film que le.a spectateur.rice s’apprête à découvrir. S’adressant face caméra, il prend le temps d’avertir le public dans ce prologue. Ce que le public va visionner d’ici peu est une représentation métaphorique de ce qui peut attendre chacun d’entre nous si l’on ne prend pas la peine d’agir.

Bientôt, l’espace extérieur laisse place à une pièce d’un blanc éclatant. Là, plusieurs chaises sont alignées, agencées comme dans une salle d’attente. Sur l’une d’elle est recroquevillé un homme, à bout de souffle, aux vêtements souillés par les larmes et le sang. Un autre homme, d’apparence similaire, fait irruption dans la pièce. Remarquant l’homme meurtri, il l’approche, puis aperçoit une porte. Entre deux sanglots, l’homme désespéré insiste pour qu’il ne l’ouvre sous aucun prétexte. Ne le croyant pas, gêné par son attitude prostrée, l’homme finit pourtant par ouvrir la porte. 

« – There’s nothing out there !

– I’ll see for myself. »

Propos du personnage principal blessé (Lincoln Maazel) à son alter ego dans The Amusement Park (1973). 

Une fois la porte ouverte, l’homme est pris dans le tourbillon d’une foule effervescente. Il est entouré de toute part par l’omniprésence des sonneries des machines et des rires d’enfants. Il se retrouve au cœur d’un parc d’attractions bondé et arpenté joyeusement par des familles en un bel après-midi ensoleillé. Au premier abord innocente, sa balade improvisée tourne cependant peu à peu au cauchemar. Le divertissement laisse rapidement place à la terreur. 

Les frissons de l’angoisse

En effet, à mesure que l’homme poursuit son chemin, le regard des autres se fait plus malveillant, plus dédaigneux. Alors qu’il atteint un âge mûr, l’homme est peu à peu traité comme sénile, incapable et décrépi. Plus encore, chaque attraction participe à cette progressive dépréciation. Auto-tamponneuses, balançoires et manèges mettent en scène des situations du quotidien dans lesquelles chaque personne âgée est infantilisée, arnaquée, culpabilisée ou encore délaissée.

Romero émet par la même une critique cinglante du rôle des hôpitaux, mutuelles, églises et forces de l’ordre dans cette maltraitance également institutionnalisée. La douleur des personnes âgées est minimisée, leur parole discréditée. Sous-prétexte qu’elles ne savent plus ce qu’elles disent et se plaignent sans raison. Ainsi, l’homme est tour à tour mis sous silence, accusé de ne pas être fiable, victime du désintérêt d’un corps médical débordé. Humilié, rejeté, il erre indéfiniment dans sa détresse autant que dans cette fête foraine devenue enfer. Sans trouver de prise rassurante avec l’extérieur. Sans trouver assistance auprès d’un Autre qui préfère détourner les yeux de ce qui nuit à sa tranquillité.

L’homme est poursuivi par les visiteurs du parc pour être exhibé sur une scène comme un animal de foire dans The Amusement Park © Potemkine Films.

Le réalisateur dénature avec une ironie féroce l’un des symboles les plus populaires associés à la jeunesse pour en faire le théâtre de l’aliénation sociale. Romero nous emporte ainsi dans un huis clos infernal, dans lequel l’homme participe malgré lui à sa propre déshumanisation. Il devient, au paroxysme de sa course, un monstre de foire. Il est bientôt sujet aux moqueries, plus qu’un vulgaire objet trouvé en attente d’être récupéré par les siens, en vain. 

La fin du temps de l’innocence 

The Amusement Park constitue un court-métrage artisanal, entre tonalités sépia et images à larges grains caractéristiques des bobines 16 mm. Le réalisateur de Des yeux Maléfiques (1990) laisse libre cours à ses envies d’expérimentation tant visuelles qu’auditives. Il tente des plans rapprochés, déformés et anxiogènes pour mieux enfermer les personnages. Le réalisateur alterne flous, ralentis et accélérations, décalage image/son, saturation sonore pour proposer une expérience immersive. Le.a spectateur.rice subit alors passivement, aux côtés du protagoniste principal, cet enfermement, cet abrutissement alimenté par une hostilité ambiante.

Le.a spectateur.rice constate le sidérant décalage entre la façon dont on représente communément la vieillesse et la façon dont elle est réellement vécue. Cette profonde désillusion trouve une matérialité dans la mine déconfite de l’homme qui prend conscience de la fin d’un temps. Celui de l’innocence, de la naïveté de croire que la vie ne peut que doucement prendre fin par des jours heureux. 

Le protagoniste principal (Lincoln Maazel) se repose sur un banc, autour d’enfants, seuls personnages sensibles à sa présence. © Potemkine Films.

Le réalisateur illustre cette désillusion à travers l’exemple d’un couple d’amoureux assistant à une séance de divination. Alors qu’ils s’attendent à entrevoir un avenir prometteur, la boule de cristal ne laisse apparaitre que l’insalubrité de leur future habitation, l’impuissance face à leur dépérissement, l’indisponibilité de leur médecin. Un dégout face à la figure de la personne âgée, incarnation vivante d’une fin à venir, émerge alors tragiquement.

Seuls les enfants semblent ne pas faire la sourde oreille face aux supplications et à la douleur du vieil homme. Une lueur d’espoir parvient en effet tout de même à poindre en contraste de cet environnement mortifère. Une petit fille propose à manger à l’homme et lui demande de lui lire une histoire. Ce geste de tendresse s’avère cependant éphémère : il est bientôt temps de partir. De la sorte, la mère récupère hâtivement l’enfant et range dans la précipitation le nécessaire de pique-nique. Elle arrache le livre d’histoire des mains de l’homme, abasourdi par cette brutalité d’une gratuité extrême.

Mise à nue de la brutalisation

Bien que commandé, le message engagé porté parThe Amusement Park entre en résonance avec les œuvres passées et futures du réalisateur. La dénonciation de la violence sourde des inégalités sociales est un des leitmotiv récurrents du cinéma de Romero. Il évoque couramment les discriminations sociales, telles le racisme avec La Nuit des Morts-Vivants (1968) et les dérives du capitalisme à travers Zombie (1978). En ayant recours au registre du fantastique et du symbolique, Romero ancre ainsi l’imaginaire dans le réel jusqu’à l’absurde.

Il montre avec force la capacité qu’à l’Homme à être brutal envers lui-même, ici vis-à-vis de cette peur viscérale de vieillir et mourir.  Romero glisse d’ailleurs habilement de nombreux symboles au cœur de son court-métrage associés à ces thématiques. Les allusions visuelles sont légions : passage furtif d’une silhouette fantomatique, rats grouillants et dévorants goulument les restes des passants, corbeau inquiétant. L’ombre de cette menace atteint son summum lors d’une scène durant laquelle trois motards, accompagnés par la Mort personnifiée (qui ne sont pas sans évoquer les Cavaliers de l’Apocalypse), agressent le vieil homme.

Un nouvel espoir ?

Romero rend compte tout en terreur du cauchemar que connaît une partie de la population en détresse faute de prise en charge décente et face aux déplorables inégalités d’accès aux soins. Ce cinéaste iconique du Septième Art met en lumière un problème sociétal majeur, qui rentre hélas en écho avec le contexte actuel. L’isolement et la stigmatisation des strates les plus délaissées de la population semblent plus criants encore aujourd’hui dans le contexte pandémique. Renforçant d’autant plus cette nécessité, cette responsabilité d’agir pour ne plus, définitivement, trouver porte close.

«   The door to The Amusement Park should become a door to positive chance which every man can help pry open there’s something out there for Everyman »

Texte accompagnant l’affiche originale du film The Amusement Park (1973)
Bande-annonce de The Amusement Park (1973) © Potemkine Films

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