CINÉMA

« Playlist » -Femme libérée, Film libéré

Sara Forestier dans Playlist de Nine Antico. © Atelier de production
© Atelier de production

Une mise en scène très esthétique et un récit ancré dans notre quotidien. La dessinatrice de bande-dessinées, Nine Antico, passe au cinéma avec Playlist, pour raconter la quête de Sophie. Chronique d’une jeune femme d’aujourd’hui déambulant entre vie amoureuse et professionnelle. Drôle, moderne et rock.

Dans un noir et blanc très graphique rythmé par les notes de True Love Will Find You At The End de Daniel Johnston, la voix suave de Bertrand Belin évoque l’amour en voix-off. Non ce n’est pas un énième film du godardien Philippe Garrel. Si on retrouve la même intimité, une certaine mélancolie, Playlist est écrit et réalisé par une femme, l’illustratrice et autrice de bande-dessinées Nine Antico. Et c’est plutôt agréable dans une œuvre cinématographique de se laisser porter par une écriture juste puisque le vécu est connu et sincère.

Avec ce premier long-métrage, elle dresse le portrait de Sophie, une presque trentenaire enracinée dans des rêves qu’elle effleure sans jamais les atteindre. Bien que personnage de fiction, Sophie n’est pas fantasmée, elle est bien réelle. Ancrée dans le quotidien d’un âge décisif où elle aimerait vivre de ses dessins, en attendant elle est serveuse dans un bar. Elle envisagerait bien de tomber amoureuse mais comme dans une playlist musicale, les garçons s’enchaînent en aléatoire. Entre ses incertitudes et ses désirs, la protagoniste se laisse porter par ses pulsions de vivre. Alors Sophie ose, tente, toujours avec une maladresse, drôle et touchante donc humaine.

Playlist, un film de Nine Antico. © Atelier de production

Dans ma bulle

Playlist est construit ludiquement de plusieurs saynètes où les prénoms des garçons se rayent les uns après les autres. De ces petites bulles, on déambule dans son quotidien où la tonalité change constamment. Le comique des punaises de lit laissant sa place à la violence de l’avortement. La dureté du monde du travail est contrebalancée par les sincères amitiés. Ses aventures, Sophie les croque dans son carnet de dessins, ne désespérant pas à en faire son métier et permettant à la réalisatrice de dresser un portrait du monde de la bande-dessinée.

Les répliques sont percutantes. Nine Antico maitrise l’art des situations et des dialogues. Elle inscrit son film dans une belle cinématographie et dans la lignée de sa grande soeur, Frances Ha, de Noah Baumbach interprétée par Greta Gerwig. Ici, l’intensité et le jeu à fleur de peau de Sara Forestier donne parfaitement corps au personnage de Sophie. Autour d’elle, Laetitia Dosch la complète dans un parfait duo féminin. Inas Chanti -la coloc- donne des cours de coup de boule pour se défendre. Le reste du casting est aussi étonnant. Des acteurs : Pierre Lottin, Andranic Manec ou Grégoire Colin. Mais également le chanteur Lescop ou l’auteur de bande-dessinée Cyril Pedrosa.

Des choix intelligents permettent à Playlist d’assumer une complète liberté. Nine Antico joue finalement avec les esthétiques pour présenter une génération qui malgré les galères donne envie de vivre, de s’aimer, de se battre pour ses rêves. Car nous sommes libres de le faire. Sophie, elle, l’est.

Finalement, Sophie c’est moi, c’est peut-être toi, en tout cas ce sont elles. Rares sont les cinéastes qui parviennent à retranscrire ce que c’est d’être une jeune femme, aujourd’hui, entre 20 et 30 ans se cherchant dans sa vie professionnelle et amoureuse. Pour son premier long-métrage, Nine Antico a su saisir la sève de cette intimité, tout en rendant son histoire intemporelle, drôle et décalée. Une des plus belles surprises depuis la réouverture des salles de cinéma. 

Entretien avec Nine Antico à lire ici.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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