Chaque mois, la rédaction littérature vous offre un petit résumé de quelques nouveautés BD, fraîchement parues. Au programme pour ce mois de juin : des BD sur des figures féministes ou artistiques, un thriller poétique et des témoignages émouvants.
« Le Songe du corbeau » – Atelier Sentô et Alberto M. C.
À trente ans, Koji reçoit une lettre anonyme et sans timbre contenant l’origami d’un corbeau. Peu à peu, il se souvient de son passé jusqu’alors perdu dans « une brume épaisse ». Il vivait dans une maison isolée dans les bois avec d’autres enfants surveillés par un « monstre ». Lorsqu’une nouvelle vague de disparitions d’enfants survient, Koji se demande si son kidnappeur récidive. Inspiré de faits réels et transformé en récit onirique, ce manga allie douceur des dessins et scénario prenant. Le contraste entre la tendre beauté des aquarelles et la noirceur de l’histoire rend ce thriller unique et fascinant.
Le Songe du corbeau, Alberto M. C. et Atelier Sentô, Delcourt, 18,95 euros
Anaïs Dinarque
« Pas prêtes à se taire » – Esther Meunier et Léa Castor
Dans une BD haute en couleurs, Esther Meunier et Léa Castor mettent en lumière des figures féministes contemporaines. Ce sont surtout leurs voix qui résonnent dans l’ouvrage, construit comme un recueil de citations auxquelles s’ajoutent des informations biographiques et théoriques. Les trente-cinq portraits se succèdent dans une mosaïque vocale où les prises de paroles des activistes se croisent, se répondent et se complètent, tissant un réseau féministe engagé. Ainsi, l’ouvrage fait émerger les grands combats féministes des dernières décennies. Alliance de rose et de jaune vifs, la BD puise dans cette bichromie très colorée pour transmettre l’énergie de ces femmes et leur impact sur notre monde.
Pas prêtes à se taire, Esther Meunier et Léa Castor, Editions Lapin, 16 euros
Lisette Pouvreau
« Suzette ou Le Grand Amour » – Fabien Toulmé
A la mort de son époux, Suzette se retrouve seule, après plus de soixante ans de mariage. Noémie, sa petite fille, vient d’emménager avec son amoureux, et en constate les changements sur leur couple. Lors d’une session de confidences, Suzette avoue à Noémie avoir eu un premier amour, lors d’un été en Italie : Francesco, avec qui pourtant l’histoire n’a jamais commencé. Mue par l’envie de faire vivre sa grand-mère au-delà des liens du mariage, Noémie décide de l’emmener retrouver son amour de jeunesse. Commence alors un périple tout en tendresse et en soleil, illuminé par la complicité entre la petite-fille et la grand-mère, qui pose avec justesse la question du mariage, du couple, et de leur évolution au gré des époques. Avec Suzette ou Le Grand Amour, Fabien Toulmé illustre les liens familiaux et amoureux sous un angle de simplicité réaliste qui nous rappelle le côté précieux de ces derniers.
Suzette ou Le Grand Amour, Fabien Toulmé, Delcourt, 29,95 euros
Giulia Lisi
« Sinaï, la terre qu’illumine la lune » – Lelio Bonaccorso et Fabio Brucini
Lelio, un illustrateur italien, rencontre lors de vacances en Sicile Fabio Brucini. Ce dernier habite depuis plusieurs années maintenant sur le mont Sinaï. Là-bas, il œuvre pour faire connaître et protéger la culture bédouine. Fasciné, Lelio décide de le suivre pendant quelques temps, afin de créer une œuvre autour de ce peuple ancestral. Ainsi naît le roman graphique Sinaï, la terre qu’illumine la lune. En suivant le rythme des doux dessins de l’illustrateur, nous naviguons sur les traces des bédouins au fil des récits et témoignages véridiques qui sont retranscrits dans l’histoire. Pour ce peuple, cette culture, tous les détails comptent, et c’est précisément ce que ce livre nous apprend à accepter : l’idée de ralentir le temps, d’ouvrir les yeux sur le présent, sans forcément penser à l’avenir. Selon les auteurs, il y a tant à apprendre d’un voyage au sein de l’instant présent.
Sinaï, la terre qu’illumine la lune, Lelio Bonaccorso et Fabio Brucini, Futuropolis, 24 euros
Giulia Lisi
« Le divin scénario » – Jacky Beneteaud et Fabrizio Dori
Mythologie, croyances et légendes se rencontrent dans Le divin scénario, véritable explosion de couleurs. Récit érudit, à la fois hommage et détournement, cette BD propose une chasse aux références de l’art académique mais aussi à celles d’une pop culture plus proche du lecteur contemporain. Une manie qui pourrait irriter si elle n’était pas l’occasion d’aller à la rencontre de personnages historiques réels ou mythiques. Le lecteur y croise notamment Shéhérazade, Marilyn Monroe, Dante, Whitman ou Fragonard. Fabrizio Dori avait précédemment marqué les esprits avec son Dieu Vagabond (2019) et renouvelle l’exploit d’offrir des planches bourrées de références à l’histoire de l’art qui fourmillent de détails.
Si Le divin scénario reste moins audacieux dans ses découpages et dans son mouvement, il n’en est pas moins beaucoup plus drôle. Jouant de l’anachronisme, les auteurs parviennent à créer des situations improbables qui ne manquent jamais de faire sourire. La rencontre de Jacky Beneteaud et Fabrizio Dori est un succès et le lecteur s’embarque volontiers aux côtés de cet ange Gabriel – dépravé – missionné par Dieu pour trouver Marie au sujet de laquelle il ne possède qu’une information : elle est « la femme qui lit ».
Le divin scénario, Jacky Beneteaud et Fabrizio Dori, Actes Sud, 21,50 euros
Charlène Ponzo