La Madeleine de ProustLITTÉRATURE

La madeleine de Proust #24 – « Les ronces » : Une épineuse mise à nu

© Fanny Monier

Chaque mois, un membre de la rédaction se confie et vous dévoile sa Madeleine de Proust, en faisant part d’un livre qui l’a marqué pour longtemps, et en expliquant pourquoi cet ouvrage lui tient à cœur. Ce mois-ci, Les ronces de Cécile Coulon.

Le mois dernier, le jour de mes vingt-trois ans, un petit paquet m’attend sagement dans ma boîte aux lettres. Je l’ouvre et y découvre avec émerveillement la couverture bleu outremer d’un recueil de poésie. Les ronces, de Cécile Coulon. Je le dévore le jour-même, immédiatement piquée par ces poèmes tant épineux qu’aériens. Ce recueil m’a transpercée comme les épines perforaient mes robes d’enfant certains jours de printemps.  

Redonner de la valeur à l’anodin

Très vite, je me sens proche de l’autrice. Car un poème est avant toute chose un partage, un cadeau, un don de soi. Rien n’est pour moi plus intime, plus gracieux que la poésie. Trouver les mots pour parler de cet art-là, tant il est subtil, n’est pas chose aisée. Mais je vais m’y essayer  : ce recueil mérite d’être lu. Il faut bien du courage pour rendre publique une telle mise à nu, toucher du doigt des sensations si imperceptibles. Il faut du courage pour s’écouter soi, déployer ses sens et parvenir à les mettre en vers.

«  un poème c’est quelque chose /d’éphémère et joli /comme la signature d’un doigt /sur la buée d’une vitre.  »

Cécile Coulon, « La partie », Les ronces

Cécile Coulon a non seulement réussi le pari, mais elle est aussi de celles qui donnent envie de faire de chaque journée un poème. Afin d’en garder la trace, de se souvenir du presque rien, de l’inutile. En fait, en poésie, rien ne l’est. Une futilité peut revêtir bien plus d’importance qu’un événement hors-norme. La poétesse le prouve à chaque page.

C’est avec simplicité et délicatesse qu’elle nous fait don de ses propres fêlures, de ses propres éclats. La vie, en somme. Elle sublime certains détails, décèle la magie dans l’insignifiant, parcourt les affres de la douleur en ne perdant jamais l’espoir de vue. Je crois plus que tout en la force des détails et à ce que ces derniers peuvent révéler de quelqu’un, de quelque chose. Cette croyance est sûrement la raison principale à ce coup de cœur poétique.

La poésie comme exutoire

Cécile Coulon a cette rare faculté de faire du beau avec du laid. Elle dépeint la souffrance et ses ricochets, parvient à renaître de ses cendres en quelques lettres.  Sombre, ce recueil l’est. Et pourtant, la lumière finit toujours par remonter à la surface. L’enfance et le quotidien en sont les fils conducteurs et reviennent beaucoup. Dès le titre, qui fait déjà émerger des souvenirs flous, fruités, hérissés. Elle compare des sentiments à des objets, à des résurgences olfactives, use à merveille de ces nuances que seul cet art permet. Ses poèmes sont des piqûres enfantines, et les pages transpirent la nostalgie digne du syndrome de Peter Pan.

On sent qu’elle a vécu, on sent qu’elle a souffert et ses conseils sonnent juste. On l’imagine lire et relire, corriger, recouper, ne garder que l’essence pure de son ressenti. Chaque mot est à sa place. En effet, dans «  Courir  » – un des poèmes du recueil, elle compare la course et l’amour véritable à la poésie en disant que leur objectif est le même  : «  aller à l’essentiel  ». Aussi, elle nous donne son avis, en passant avec aisance de la nostalgie à la colère, de la douceur à l’amertume.

«  je cesserai d’écrire des poèmes le jour où l’on cessera /de considérer les hommes sincères /comme des hommes malades  »

Cécile Coulon, « Depuis la fenêtre ouverte », Les ronces

Si les poètes ne sont pas des magicien.nes, ielles sont des amoureux.ses des mots qu’ielles ont besoin de choyer, polir, tailler comme de la pierre. Ses mots se sont plantés en moi, comme une écharde se serait plantée sous ma voûte plantaire un jour de printemps. Modernité, subtilité, efficacité. Telle pourrait être sa devise.

Les ronces par Cécile Coulon, publié en mars 2018 aux éditions Le castor Astral.

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