LITTÉRATURE

« Sororité » – Petit précis d’humanité

Chloé Delaume, Kiyémis, Lauren Bastide © Points

Sous la direction de Chloé Delaume, à qui l’on doit notamment les titres Mes biens chères sœurs et Le Cœur synthétique (prix Médicis 2020), Sororité réunit un collectif d’une quinzaine de femmes. Artistes, autrices, metteuses en scène, elles nous parlent de ce terme qui aujourd’hui retentit avec la force d’un ouragan. 

Avec le mouvement #MeToo, le concept de sororité refait surface, à une époque où chaque mot prononcé se doit d’être apprécié dans son intégralité. Appréhendé comme un outil de pouvoir féminin, ce terme nous invite à réfléchir. Que signifie être une femme aujourd’hui ? Que ce soit dans l’expression de la différence genrée, sexuée, ou dans les rapports entre individus. Cependant, les arguments théoriques fleurissant ont leurs limites. Ils ne peuvent qu’exposer des concepts plus ou moins abstraits, sans parvenir à fédérer et à faire s’identifier le lecteur. La sororité est un concept profondément humain, qui touche la sensibilité de chacun. Il convient donc de l’exprimer à force de moments de vie et de souvenirs. 

C’est au travers de ce prisme que Chloé Delaume a rassemblé ce collectif. L’autrice française explique dans la préface du recueil que ce dernier a été créé pour être un outil de réflexion et de réunion autour du concept de sororité. En faisant appel à des femmes d’origines, métiers et histoires différentes, on retrouve ainsi la totalité du terme expliqué par leurs voix divergentes mais résonnant en cœur. 

« La sororité est un choix où le pouvoir individuel abdique au profit d’une force collective bientôt prête à l’action. »

 

Sororité, Chloé Delaume
Camille Froidevaux-Metterie, Fatima Ouassak et Alice Coffin. © Points

Des textes éclectiques

Ce recueil de sororité marque autant par son fond que par sa forme. En effet, Chloé Delaume a souhaité laisser la liberté aux autrices de représenter leur conception de la sororité au travers de paroles, mais aussi d’un cadre complètement libre. Que ce soit en fonction de leur profession, ou tout simplement en fonction de comment la sororité s’est présentée à elles pour la première fois. Nous trouvons donc dans ce recueil, d’une page à l’autre, des témoignages, des réflexions mais aussi des dialogues et des chansons. Autant de possibilités pour autant d’expressions de la sororité.

Il y a des histoires vraies, qui nous plongent dans l’intime de celles qui les racontent. Il y a des références à des œuvres, des personnages de la culture actuelle, qui nous permettent ainsi d’ancrer la réflexion dans le temps et l’espace. On trouve également des critiques des tubes des années passées, des films et des idées préconçues qui ont contribué à faire des femmes des objets de société. Le temps est aussi appréhendé librement. Il y a des témoignages qui prennent place aujourd’hui tout comme il y a 20 ans, 30 ans. Cela permet aussi de comprendre que la sororité s’apprend et se transmet à tout âge. Ce n’est pas un concept qu’il faut avoir intégré enfant pour pouvoir s’y apparenter une fois adulte. Il est accessible à tout moment, à tout endroit, à toute personne. 

« Alors nous montons tout en haut de la tour, nous resserrons nos rangs, nous observons les alentours et nous affûtons nos pointes ». 

Sororité, Lydie Salvayre
Lola Lafon, Rébecca Chaillon, Iris Brey. © Points

Des autrices aussi diverses que retentissantes

L’idée du recueil est également utile en ce qu’elle permet d’opérer un rapprochement entre plusieurs figures féminines qui prennent place dans l’espace public de manière parfois isolée. Il est vrai que la sphère féministe contribue à rapprocher les paroles. Cependant, il est parfaitement possible de suivre le travail d’une grande figure et d’en méconnaître complètement une autre. De plus, les différents courants de pensées sont souvent représentés comme antagonistes, voire incompatibles. En en réunissant quelques-uns dans le recueil, il est ainsi possible de tisser des liens, et de voir des similitudes entre deux idées complètement différentes de prime-abord. 

Les autrices présentes sont toutes militantes, activistes, issues de diverses sphères. Certaines ont un poids politique plus important. Nous pensons notamment à Alice Coffin, journaliste, militante, et élue écologiste, qui apparaît régulièrement sur le devant de la scène française. D’autres sont issues du milieu du spectacle populaire, comme par exemple la chanteuse Juliette Armanet. Nous pouvons également trouver des metteuses en scène, des comédiennes, dont le travail sur le féminisme n’a eu qu’une portée médiatique relativement limitée. Les lire nous permet ainsi de découvrir leur travail, et de leur assurer un rayonnement majeur. 

Des personnalités diverses donc, et des modes de pensées qui suivent. Cela donne un résultat d’une portée bien supérieure aux petites sphères que l’on retrouve au compte-goutte dans les médias. La preuve d’un engagement solide et unanime, de toutes les classes de société, face à un concept qui fait loi. 

« Quand je l’entends chanter l’urgence et l’absolu,
L’amour, la liberté, les carcans révolus
Les grands vents dans les blés, les sorcières en chaleur
Je veux lui ressembler ! et par chance, c’est ma sœur »

Sororité, Jeanne Cherhal
Maboula Soumahoro, Jeanne Cherhal, Lydie Salvayre. © Points

Le constat d’une solidarité sorore

Nous l’avons dit plus haut, le recueil est hétérogène de par son fond, sa forme, et ses autrices. Ce qui en ressort, c’est le constat que la sororité est un terme humain, à appréhender sous sa signification universaliste. Quoi que l’on pense, et quelle que soit la manière selon laquelle on le pense, la sororité est inhérente aux femmes. Que ce soit d’un point de vue historique ou social, chaque femme a eu une expérience sorore. Ce recueil montre avec bienveillance et douceur que le terme fait partie de nous en tant que femmes. Il nous construit et nous modèle. Surtout, qu’il peut être un précieux outil pour survivre à un monde encore titubant sur le sujet de l’égalité. La sororité invite à s’unir, se rassembler, mais surtout à s’aimer, à se soutenir.

Chloé Delaume rappelle avec un peu d’amertume que le monde est déjà bien assez dur envers les femmes pour qu’en plus elles ne bénéficient pas du soutien de leurs semblables. Sans dériver dans la subjectivité partiale et genrée, elle invite à la bienveillance et à la solidarité. Elle fait d’un concept alors considéré comme social la base de quelque chose de bien plus grand, à savoir l’humanité.

« Toute déclaration d’engagement à la sororité introduit une faille dans le patriarcat, régime dans lequel, pointe bell hooks, le lien entre femmes est un « acte de trahison ». Alors, trahissons. »

Sororité, Alice Coffin
Ovidie, Juliette Armanet, Estelle Sarah-Bulle. © Points

Sororité, collectif dirigé par Chloé Delaume. Avec Juliette Armanet, Lauren Bastide, Iris Brey, Estelle-Sarah Bulle, Rebecca Chaillon, Jeanne Cherhal, Alice Coffin, Camille Froidevaux-Metterie, Kiyémis, Lola Lafon, Fatima Ouassak, Ovidie, Lydie Salvayre, Maboula Soumahoro. Éditions Points, Points Féminismes, 6€70. Parution le 8 avril 2021.

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