CINÉMA

« Possessor » – Ceci est mon corps

© The Jokers

Lauréat du Grand prix du Festival de Gérardmer 2021, le deuxième long-métrage de Brandon Cronenberg sort directement en VOD ce 7 avril 2021, puis en DVD le 14. Possessor ou une immersion rétro-futuriste au plus profond des abîmes de nos identités.

Un pic enfoncé dans un crâne. Du sang et des larmes qui jaillissent. Une jeune femme perturbante commet un assasinat sanglant suivi d’un suicide difficile. Possessor dérange et joue avec nos nerfs dès la séquence d’ouverture. En digne héritier de son père, Brandon Cronenberg, fils de David, poursuit un cinéma organique et horrifique.

Si la comparaison va de soi, comme la génétique, Cronenberg junior possède un univers à lui néanmoins bien marqué. Huit ans après le glacial mais pas complètement abouti, Antiviral, présenté dans la sélection Un Certain Regard à Cannes, Possessor affirme une identité de genre puissante et hypnotique. Ça tombe bien, ce sont les principaux sujets du film.

Tasya Vos (Andrea Riseborough) est une des meilleures employées d’une organisation secrète. Son métier ? Grâce à l’avancée incroyable des neurosciences d’une réalité alternative à la notre, elle infiltre des corps pour tuer des cibles commanditées par de riches clients. Des meurtres se terminant en suicide, où l’hôte devient involontairement le parfait coupable tandis que Vos réintègre son enveloppe charnelle à elle. Alors Girder (Jennifer Jason Leigh) l’interroge et la supervise pour vérifier la stabilité de son état mental.

En partant de ce postulat, Brandon Cronenberg crée un monde fascinant qui interpelle. Il place son histoire dans une année 2008 qui n’a pas existé. Comme si notre monde avait pris une autre direction. D’un côté, des objets et des détails rétro comme l’usage de vieilles voitures. De l’autre, des cigarettes électroniques et des écrans géants muraux à la place de nos téléviseurs.

Mais surtout l’aspect science-fiction du film pousse plus loin l’idée d’espionnage des citoyens et de disparition de notre intimité. La prochaine victime de Vos est un PDG incarné par Sean Bean (Game of Thrones), une sorte de Big Brother mégalomane. Dans son entreprise, les ouvriers du bas de l’échelle travaillent dans des bureaux virtuels. Ils observent leurs semblables via leurs webcams afin de cibler les publicités. Parmi eux, Colin (Christopher Abott), également fiancé de sa fille et futur hôte de Vos.

© The Jokers

Perte de contrôle

Étrangement, la glaciale Vos semble plus à son aise dans un corps ne lui appartenant pas que dans son rôle de mère de famille. Pourtant, l’immersion dans l’esprit de Colin et son corps d’homme va malmener sa propre identité. Le cinéaste en profite pour évoquer intelligemment la dysphorie de genre.

La protagoniste est capable de se glisser dans n’importe quel personne peu importe son genre et/ou son sexe. Un simple élément scénaristique qui apporte beaucoup aux notions d’identités et de dédoublement abordées par Brandon Cronenberg. Un même acteur donc, pour deux esprits, un homme et une femme cisgenres. Deux personnes déjà peu à leur place dans leur vie personnelle se disputant le libre arbitre d’un seul corps. Après s’être approprié le comportement quotidien de Colin, Vos va tenter de réaliser sa mission – à savoir tuer le beau-père, la fiancée et se suicider. Par pulsions, le jeune homme semble refuser partiellement la possession.

Le réalisateur, accompagné d’une solide équipe de plateau, le chef opérateur, le directeur de la photographie et le chef maquilleur, parvient grâce au visuel et à des effets spéciaux réalisés sur place, à mettre en scène la lutte des esprits. L’image maîtrisée d’un bout à l’autre du métrage laisse s’infiltrer la schizophrénie et l’horrifique visuel composé de sang et de violence. Ils créent une expérience audiovisuelle qui ne peut pas laisser indifférent, repoussant sans cesse les limites du personnage aux deux esprits ainsi que le malaise et l’oppression des spectateurs.rices.

Alors certes, Brandon Cronenberg est influencé par son père dans les thèmes abordés et son goût pour le body horror. Il n’empêche qu’avec ce deuxième long-métrage son travail viscéral et son talent évident ne sont plus à prouver. En espérant qu’il ne faudra pas encore attendre huit ans pour découvrir une nouvelle oeuvre cinématographique. En attendant pour poursuivre, le DVD de Possessor sortira le 14 avril avec des making-of passionnants sur la conception des effets spéciaux du film.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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