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Il y a quelques jours, le groupe Yelle mené par Julie Budet lâchait le clip de Noir, le quatrième de leur dernier album L’Ère du Verseau. Autant de clips pour un seul album, ce n’était jamais arrivé dans leur carrière. Une bonne occasion de revenir sur cette histoire, iconoclaste et rafraîchissante, entre leur musique et les images qui les accompagnent.
« Résolution en million de couleurs, rayons de soleil et bonne humeur ». Les paroles de Noir, dernier morceau à être clipé par Yelle, font résonner une idée de la relation entre les mélodies du groupe et les images montrées dans leur création visuelle. C’est en effet un mélange passionné de couleurs primaires et de clairs/obscurs à travers lequel le groupe puise une énergie folle et parfois extrêmement référencée à un imaginaire cinématographique. On l’imagine comme un véritable exutoire pour le groupe, une hallucination visuelle pour les spectateurs, une méthode de l’extrême. C’est la quasi-invention d’un autre morceau, une traduction délirante dont le libre-cours laissé à l’imagination permet aussi de ne pas livrer ce que peut être le morceau. Mais ce qu’il pourrait être dans un voyage sensoriel et interprétatif autre que celui de la musique. Un geste libre aux nuances multiples dont nous allons pointer les merveilleuses tendances.
Queen Julie
Si Yelle est aussi et surtout vu à travers la personne de Julie Budet, c’est parce qu’au-delà du chant, c’est aussi à elle que revient, très souvent, la tâche de l’interprétation et donc le rôle de performeuse. Un détail non négligeable tant Yelle/Julie Budet, dans les clips du groupe, entretient un personnage d’une grande liberté de mouvement et à la complexité méticuleusement dissimulée. Julie est cette actrice reine de ce qu’elle joue et de ce qu’elle chante dans le clip. Elle est un point de fuite nécessaire à cet exercice typique du clip de retranscrire par image ce qui est chanté et joué. Comme passer de la salle de gym à la boîte de nuit entre copines dans Je veux te voir, en passant par la solitude expérimentale de A+B=C jusqu’aux duos de Vue d’en face (featuring Nicolas Maury) ou Ici & Maintenant (avec Nathan Barnatt). Et pourtant, du film choral à la chronique pop et teen, où se situe le personnage Julie Budet ? L’exemple le plus parlant de ce personnage revendiquant sa liberté et en même temps son ambigüité reste le clip de Je t’aime encore.
Tourné dans le plus simple appareil (un plan-séquence à la fois fixe et panoramique), Je t’aime encore marque l’attachement de Yelle à la France, avouant en même temps une relation inachevée, tournoyant dans un lot d’incompréhensions. Dans ce soupçon de regrets, Julie exprime aussi son souhait de préserver son indépendance dans sa musique, son personnage. Et cela repose sur une seule chose : la mise en scène d’une progression, puis d’une cassure, d’une coupe de cheveux.
Alors soudain Cosmopolis de David Cronenberg fait irruption, film dans lequel Robert Pattinson doit parcourir un New York embrasé pour une coupe de cheveux, constatant au cours de son chemin que son monde est à l’écart de celui qui l’entoure. Julie se fait couper les cheveux, mais le final du clip révèle qu’elle portait une perruque dissimulant les cheveux mi-longs et noirs qu’on lui connait. La coupe de cheveux stimule et tourne en rond dans ce qu’elle peut évoquer, à savoir une identité. Dans le minimalisme le plus juste se dérobe une grande puissance existentielle, à la fois tournoyante et fixe. C’est comme essayer de faire rentrer un carré dans un rond : ce serait possible, mais l’est-ce vraiment ?
Au-delà de l’image
Il y a ce qu’il faut chanter et performer en dehors du studio, et bien sûr ce qu’il faut filmer. Encore une fois, si Julie est un point de fuite de tout ce qui nous est montré, c’est pour mieux regarder ce qui se trouve autour d’elle. Et avec cette idée nous gardons l’espoir de l’indépendance énoncé dans Je t’aime encore. Dans les clips de Yelle est souvent question de savoir pourquoi, comment et par qui nous pouvons acquérir une image. Et par cette dernière comment il est possible de vivre sa vie. Après tout, dans ce même clip aux interprétations très cycliques, le coiffeur de Julie, Charlie Le Mindu, est aussi bien cadré puisque c’est aussi lui qui forme l’image voulue et chantée par Yelle. C’est l’énergie de ce qui est montré, progressive jusqu’à complètement folle, qui pourrait redonner à Julie son identité et ce qu’elle espère à propos de sa relation avec la France.
Quant à la mise en scène de Noir, sous ses effets de défilé de mode pop-queer aussi dark que lumineux, le cadre se concentre aussi bien sur la maîtresse de cérémonie (Julie, passant d’un collant beige moulant tout le corps à une robe noir découpée au millimètre) que sur les autres égéries : Rose & Punanie, Julie Demont et même GrandMarnier pour ne citer qu’eux.
C’est une forme et une force finalement très collectives – on sait le goût de Yelle pour les featuring en tout genre. Et cela va bien au-delà de ce qui peut être présentiel et performatif, car le point de vue se déplace aussi du côté des fantasmes et irréalités de la musique du groupe. Nous pensons aux images de J’veux un chien qui dénotent complètement dans ce rapprochement entre le personnage de Julie et sa propre imagination.
Seule sur un bateau, filmée en gros plans érotiques, nous voyons aussi son paquebot naviguer sur une surimpression entre l’eau de l’océan et les muscles tout en sueur d’un dénommé Otto (qui n’est autre que le nom du chien de Julie et GrandMarnier). Hallucination visuelle qui rappelle aussi le karatéka danseur de Karaté, alors que Julie, de l’autre côté du miroir, est statique dans une nature tournée en accéléré. Yelle n’hésite pas d’ailleurs à confondre ce qui relève de la performance et du fantasme en fabriquant de véritables trombinoscopes vidéo. Complètement fou et le délirant Moteur Action mêlent rêveries pop-art et performances dansantes quand Vue d’en face montre un duo sous l’emprise de la danse (la chorégraphie, motif lui aussi récurrent) mais aussi du désir du vivre-ensemble – de l’or en cette période de confinement.
Inventions
La forme du trombinoscope selon la méthode Yelle réinvente d’ailleurs l’imagerie du clash des années 2000. Contre les visuels gras aux grains de VHS, la bombe Je veux te voir se résout à donner encore plus d’envergure à la production du morceau par l’épilepsie de son processus filmique : mille décors, mille couleurs et mille mots. Cette envie de la forme nouvelle est une constante dans la carrière de Yelle. La plus connue serait ce minimalisme graphique de Romeo, où Julie danse face à un projecteur dont les images de films des années 80-90 se diffusent sur son pull blanc. Un travail de l’archive cinématographique mélangé à une forme complexe que n’aurait pas renié Chris Marker (on ose le rapprochement).
Le clip rallongé mêlant Safari Disco Club et Que veux-tu ? est aussi une méthode nouvelle en France, empruntée aux États-Unis où les rappeurs et même Michael Jackson usaient de cette continuité dans les images pour promouvoir un album. Entre les deux morceaux, le plateau de tournage est démonté pour laisser place à la photographie de la pochette album, avant de réinstaller un nouveau plateau pour le clip suivant. Yelle, c’est aussi de la mise en abîme : marrant, astucieux, inventeur. Un aspect informe dans l’image, celle qui se démonte, que l’on retrouve dans Ba$$sin où la tête et le corps de Julie sont soit incrustés soit animés dans des formes gluantes jouant au golf. Également dans Interpassion, clip vertical passionné par des images montables et fragmentées dans le nouveau format du smartphone.
Plus qu’une simple continuité dans le cycle de promotion d’un morceau, le clip chez Yelle reste une invention de tous les instants, personnifiant jusqu’à plus soif des motifs assumés et même insoupçonnés, de la performance live à la fiction la plus pure. De quoi surprendre, évidemment, libérant ainsi l’interprétation, même si le goût de l’image ne se soustrait pas seulement à l’art du clip . Les artworks, la scénographie des live et le langage corporel tendent vers une image communicative, abstraite et réjouissante de la musique. Écouter et voir Yelle, en millions de couleurs.