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L’Art d’en parler – Rencontre avec Cyrielle Gulacsy : inspirée par l’Infini

Cyrielle dans son atelier
Cyrielle Gulacsy © Margot Grémillon

Peintres, graphistes, acteurs ou metteurs en scène… Chaque mois, Maze donne la parole à un(e) jeune artiste. Ce mois-ci nous sommes allé(e)s à la rencontre de Cyrielle Gulacsy, pour échanger avec elle sur son parcours, son processus de création et sa passion pour la Science. Une plongée dans son univers en expansion.

Ce matin-là, Cyrielle nous rencontre au POUSH Manifesto, résidence temporaire accueillant plusieurs artistes. Son atelier est baigné de lumière, l’une de ses matières de prédilection. Ses toiles colorées révèlent leurs détails pointillés, qui semblent se décomposer devant nous sous chaque rayon de soleil. L’endroit est paisible bien que vibrant de créativité.  

Visible Light et Andromeda h-alpha © Margot Grémillon

Nous commençons directement à échanger sur son parcours. Cyrielle a 26 ans, originaire de région parisienne. Elle se présente en nous décrivant son cheminement personnel et artistique. « Après mon bac, j’ai fait une prépa aux Ateliers de Sèvres, nous raconte-t-elle. C’est une période qui m’a ouverte émotionnellement et créativement. Cette année-là, je me suis mise à lire des revues et des livres sur la physique et l’astrophysique comme jamais auparavant. »  Toutes ces informations vont venir progressivement infuser son travail plastique, limité jusque-là à une pratique personnelle occasionnelle. « C’était comme si je m’étais contrainte pendant des années et que je pouvais à présent me laisser emporter. » Cette prise de conscience sur ses sujets de prédilection, la Science et la Physique moderne, annonce un prochain tournant dans sa vie artistique. Les astres s’alignent.  

Quand tu étais petite, quels étaient tes passions et tes rêves  ? 

Cyrielle Gulacsy : Étrangement toute petite, je voulais être peintre, avant de m’imaginer pilote de chasse pendant quelque temps. J’ai ensuite pensé prendre la voie du graphisme ou de l’illustration, en rapport avec le domaine artistique. Pour ce qui est de mon intérêt pour la Science et l’Espace, il s’est parfois manifesté durant mon enfance, à travers une simple curiosité pour la nature, par l’observation des étoiles… mais sans jamais vraiment se développer de manière significative.

Quand as-tu compris que tu serais artiste  ?  

C.G : J’ai toujours aimé dessiner sans pour autant me poser de question ni envisager d’en faire un métier. Durant mon année préparatoire aux Ateliers de Sèvres, mon intérêt pour l’infiniment grand et l’infiniment petit est devenu central, tout comme ma pratique du dessin. C’est par l’alliance des deux dans la création que j’ai compris que c’était ce qui m’animait. Malgré tout, à cette époque, je pensais toujours faire des études de graphisme. J’ai donc intégré une école de communication visuelle. Après mon diplôme, j’ai travaillé huit mois en tant que directrice artistique dans une agence, avant de comprendre que je ne m’épanouissais pas vraiment dans ce domaine.

Comment as-tu vécu ce départ et cette prise d’indépendance  ?  

C.G : Après avoir arrêté mon activité de direction artistique, j’ai décidé de louer un lieu et d’y organiser une petite exposition à laquelle j’ai invité mes amis. La vente de mes dessins m’a permis de tenir quelque temps. J’ai alors commencé à “vivre de mon art”, au jour le jour. Mais j’étais tellement heureuse de cette émancipation et de pouvoir enfin faire à plein temps ce qui me passionnait que j’ai assez facilement accepté l’incertitude de la situation. J’ai beaucoup travaillé et produit durant cette période. Toutefois, il m’a fallu du temps avant de définir la route que je voulais prendre et conceptualiser mon sujet, ce qui allait définir ma pratique, ma démarche et ma recherche.

Le “sujet” de Cyrielle s’exprime au travers de sa passion pour la Science et sa curiosité infinie pour le monde qui nous entoure. Longtemps gardée enfouie au fond d’elle, son inspiration lui a donné le courage de se lancer.

Et aujourd’hui, comment qualifierais-tu ta démarche artistique  ?  

C.G :  Bien que je ne puisse dire que ma démarche soit scientifique car trop subjective, elle s’apparente néanmoins à une forme de recherche, à la fois conceptuelle et plastique. J’essaye de trouver de nouvelles formes d’expression pour représenter certaines facettes du réel qui m’intéressent. Il s’agit souvent de détails invisibles ou imperceptibles du fait de nos limites de perception en tant qu’êtres humains. Je tente de rendre ces détails sensibles, visibles ou palpables, et j’espère susciter la curiosité du spectateur à leur sujet. Cela passe souvent par une certaine abstraction, un peu comme la physique recours aux mathématiques pour se libérer des apparences trompeuses et décrire les lois secrètes de la nature. 

Selon moi, l’artiste a vocation à questionner notre rapport au monde, là où le scientifique s’efforce de le décrire et de nous apporter des réponses. L’œuvre d’art a ce pouvoir de provoquer en nous des sensations et des émotions susceptibles de rejaillir sur notre vision du monde et donner à voir une facette de la nature méconnue auparavant. Une émotion peut éclore de la compréhension d’un phénomène et à l’inverse, une émotion parfaitement spontanée peut donner naissance à une réflexion profonde. Je n’essaye pas de transmettre quelque chose de personnel, c’est plus une idée de partage. Je me documente beaucoup sur les sujets que je traite sans pour autant prétendre en rendre compte de façon exacte. Ma volonté est plutôt de trouver des “passerelles”, de provoquer chez le spectateur une émotion susceptible d’éveiller sa curiosité.

“Je n’essaye pas de transmettre quelque chose de personnel, c’est plus une idée de partage.”

Cyrielle Gulacsy
Paréidolia © Margot Grémillon

En choisissant pour sujet la Science, tu bénéficies d’une inspiration infinie.  

C.G : C’est vrai, je pense que l’état des connaissances actuelles est une grande source d’inspiration. En effet, plus nous en apprenons, plus nous mesurons l’étendue de notre ignorance. C’est ce qui à mes yeux rend la recherche fascinante. L’art a, je pense, un rôle à jouer dans la description du réel et c’est en cela que la physique moderne m’intéresse particulièrement. Cette physique tente de décrire des interactions et un monde si étranger à notre regard que les mots pour le définir n’existent pas vraiment. J’aime l’idée que l’art pourrait permettre de montrer cette autre réalité grâce à sa capacité à s’abstraire du langage. Ma recherche consiste ainsi à trouver des formes de représentations qui n’ont pas besoin d’être décrites, mais plutôt ressenties.

Dans une de tes interviews, tu dis rêver de travailler avec la NASA. Comment envisages-tu pouvoir mêler l’art à la recherche scientifique ?   

C.G : Il s’agirait plutôt pour moi, en tant qu’artiste, d’avancer dans mes recherches en travaillant au contact de scientifiques. Le CERN (Centre Européen de Recherche Nucléaire ndlr) est par exemple une infrastructure que j’ai déjà eu l’occasion de visiter. En se rendant là-bas, on a envie d’apprendre, de rester et d’en savoir plus. Côtoyer des chercheurs serait un véritable enrichissement. Cela me permettrait de mieux comprendre les sujets qui m’intéressent et que je souhaite retranscrire. Je pense que beaucoup de gens se sentent assez éloignés des sciences, souvent difficiles d’accès ou complexes, tout comme ils se sentent parfois éloignés de l’Art contemporain. Pourtant l’Art comme la science leur sont destinés d’une certaine façon.

Nous discutons ensuite de sa série Visible Light, dont l’inspiration lui vient de ses séjours à Los Angeles. Là-bas, Cyrielle y décrit la voûte céleste, plus étendue que les quelques bribes de ciel entre les immeubles parisiens. Elle évoque la luminosité si particulière de cet endroit, situé entre océan et désert, oscillant du bleu azur au violet fuchsia.  

À travers ces peintures, tu dis vouloir rendre visible l’invisible.  

C.G : À partir du moment où j’ai choisi une direction à prendre, le sujet de la lumière m’a semblé à la fois accessible et fascinant. C’est un phénomène qui nous touche directement. La lumière est tout autour de nous dès que nous ouvrons les yeux. Elle peut faire l’objet d’une contemplation, comme lorsque l’on observe un coucher de soleil. Elle permet également d’explorer notre rapport à la couleur, qui est quelque chose de propre à chacun. Néanmoins, ce qui m’intéresse dans la lumière est un phénomène plus subtil et invisible qu’est celui de la diffusion des particules qui la compose, dans l’atmosphère.

La technique que j’utilise, le pointillisme, est un choix subjectif qui évoque ces particules spécifiques, les photons. Bien entendu, ce choix est réducteur car il ne permet pas de comprendre le phénomène dans sa totalité. C’est un choix de représentation qui m’est propre et qui me permet de rendre comme ‘’visible’’ ce phénomène, de manière plus poétique que véridique. Je ne prétends pas l’illustrer avec exactitude mais plutôt créer un pont vers ce réel, ouvrir une porte qui devra être franchie par le spectateur lui-même, s’il le souhaite. L’interprétation est alors multiple et libre.

Visible Light, 2019 © Cyrielle Gulacsy

Avant d’utiliser la couleur, tu privilégiais le noir et blanc. Selon toi, laquelle des deux est la meilleure façon de représenter la lumière ? 

C.G : Aujourd’hui ce choix de représentation est lié à notre propre perception. La lumière que je peins en couleur est celle proche de nous, présente dans les limites de l’atmosphère terrestre. La lumière des étoiles et des objets célestes est quant à elle trop lointaine pour que notre œil puisse en voir les couleurs. D’où mon choix du noir et blanc pour les représenter. À l’exception parfois de touches de rouge, de bleu ou de jaune si je souhaite évoquer les étoiles les plus proches, dont on peut distinguer les différences de températures. 

Cependant, j’ai longtemps considéré l’usage de la couleur comme trop riche de sens pour l’utiliser dans mes travaux. J’ai mis du temps à maitriser mon sujet en noir et blanc, puis la couleur a fini par s’ajouter quand elle est devenue partie intégrante du sujet. 

Le message que Cyrielle nous décrit, ces “indices” qu’elle nous révèle deviennent progressivement perceptibles. Si bien que, lorsqu’elle montre un dessin représentant le spectre d’une lumière, il serait presque possible d’y voir apparaître des couleurs.    

Sur quel projet travailles-tu actuellement ?  

C.G : Depuis peu, j’ai commencé à sculpter le bois. Le choix de cette matière se trouve être à mes yeux une métaphore intéressante de l’espace-temps. Je creuse dans le bois comme les étoiles creusent l’espace-temps par leur masse. Une fois creusée, cette cavité rappelle ce motif bien connu dans l’imagerie scientifique. Je trouve ça à la fois intéressant en termes de sens mais aussi assez poétique, puisque le temps qui s’est écoulé est matérialisé par les cernes de bois qui indiquent le vieillissement de l’arbre. Le temps et l’espace sont liés visuellement. Tous ces éléments sont comme des indices qui permettent au spectateur de comprendre l’œuvre, sans l’aide du langage. Et peut-être lui donner aussi envie d’en savoir plus sur les phénomènes que j’essaye d’illustrer.

Time Warp, Light in the distance. Sculpture en bois de chêne © Margot Grémillon

Enfin, nous parlons musique et processus de création. Cyrielle aime peindre en écoutant de la musique instrumentale. Ses dernières peintures, plus intuitives, lui ont permis d’échapper au silence des premières.  «  J’ai retrouvé le contact avec l’œuvre  » explique-t-elle. Lorsqu’elle créait de façon plus automatique, sans avoir besoin de se concentrer, elle écoute aussi  La Conversation Scientifique d’Etienne Klein. 

En parlant d’inspiration, tu fais partie en ce moment de l’exposition collective “So Close 2”. Que ressens-tu à côtoyer d’autres univers ?  

C.G : Lors de la première édition de “So Close” en juin dernier, j’ai été pour la première fois exposée avec d’autres jeunes artistes, en France. J’ai vu mes goûts évoluer et s’étendre au contact d’autres univers que le mien. Je suis fascinée par la démarche de certains artistes, ceux qui s’autorisent à sortir de la simple exposition murale classique, à occuper l’espace… Cette idée d’expansion m’a beaucoup inspiré, car elle diffère des propres restrictions que je m’impose. C’est comme si j’avais réalisé que je pouvais moi aussi m’autoriser cette liberté et explorer davantage de matériaux.

J’ai tendance à me brider, à me limiter parfois dans l’expression de mon propre monde. Il m’arrive souvent justifier certaines actions par des règles similaires à celles qui régissent l’univers invisible que j’essaye de représenter. Comme si je devais justifier le moindre de mes choix plastiques. Cette proximité avec d’autres artistes a beaucoup contribué à faire disparaître des contraintes que j’ai tendance à m’imposer spontanément.

Parmi ces artistes qui l’inspirent dans leur maîtrise de l’espace, Cyrielle évoque en particulier les œuvres de Juliette Minchin, également exposées à “So Close 2”. «  J’adore la façon dont la cire accroche la lumière et le regard. Il y a quelque chose de fascinant dans ce matériau, dans sa texture et ce qu’il évoque. »

Pour terminer, question de curiosité : si tu étais une couleur, laquelle serais-tu ?

Le Bleu. C’est la couleur avec laquelle j’ai commencé la série Visible Light. Le bleu, c’est le ciel duquel je m’inspire.



D006, 2020. Encre acrylique sur toile, 156 x 116 cm © Cyrielle Gulacsy

Comme la Science, l’Art de Cyrielle incite lui aussi à la découverte. Les indices de ses œuvres questionnent et subjuguent.  Les croquis accrochés sur les murs de son atelier se présentent comme autant de théories à explorer. À nous, spectateurs, d’en déchiffrer les mystères.

L’univers de Cyrielle est à retrouver sur son site cyriellegulacsy.com. Instagram : @cyriellegulacsy, Facebook : Cyrielle Gulacsy.

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