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« Sisters with Transistors » : Les archives de la musique électronique se racontent au féminin

Crédit : Maryanne Amacher © Peggy Weil

Parmi les 9 films en compétition du FAME Festival se trouve le fabuleux et nécessaire Sisters With Transistors réalisé par Lisa Rovner, documentaire portant sur dix légendes féminines que l’Histoire collective a passé à la trappe. La voix-off n’est autre que celle de Laurie Anderson, figure centrale de la musique d’avant-garde. Mieux vaut être paré au décollage de pré-visionnage car l’expérience risque de modifier votre perception de la musique contemporaine.

Le documentaire de 84 minutes s’articule autour de dix magiciennes du son (sélectionnées en fonction de l’importance des archives visuelles détenues sur celles-ci) qui ont été réduites à leurs conditions de femme alors qu’elles ne demandaient qu’à apprendre et exercer leurs idées novatrices à l’aide de machines plus ou moins archaïques, selon leurs époques respectives. Elles sont novatrices, déterminées, débrouillardes, innovantes, à l’image de la société d’après-guerre.

Genèse d’un projet

La musique électronique a toujours fait partie intégrante de la vie de la réalisatrice. Cependant, les qualités transcendantes de ce courant musical se dévoileront plus tard à elle, à travers les nombreuses rave-parties qui « l’emmenaient dans un autre monde ».

Les thématiques abordées dans Sisters with Transistors flirtent de près avec les centres d’intérêts de Rovner, de l’art à la politique en passant par la philosophie et bien évidemment le féminisme.

Le spectateur observe alors une certaine pluralité (semi-inconsciente) des sujets abordés via les nombreux parallèles entre opérés entre les images issues de la pop culture, des beaux-arts et des technologies propres à leurs temps. Bien qu’une chronologie établie soit associée aux avancées techniques, la pierre angulaire du documentaire reste le vécu et la relation aux environnements musicaux qui ont forgés ces femmes.

Capture d’écran

Ode à l’innovation

Bien avant l’apparition des synthétiseurs, les méthodes de production d’un son hors du commun comme le faisait Bebe Baron et son conjoint dans les années 1950 nécessitaient plus de quarante jours de travail avant de parvenir au produit fini. Les embûches techniques ne feront flancher aucune de ces téméraires. La difficulté majeure se trouvera plutôt être l’absence de reconnaissance du courant électronique en qualité de musique, et non de bruits alignés de manière hasardeuse sans mélodie.

Clara Rockmore, Daphne Oram, Bebe Barron, Delia Derbyshire, Maryanne Amacher, Pauline Oliveros, Wendy Carlos, Eliane Radigue, Suzanne Ciani, Laurie Spiegel, en dépit de leurs caractères de génie, possèdent des parcours différents, des personnalités qui divergent, utilisent différentes technologies (therémine, synthétiseurs, machines à feedback, ordinateurs primitifs…), viennent de continents éparpillés sur le globe et pourtant, trouvent toutes une place d’honneur dans cette narration poétique grâce à la prouesse de Lisa Rovner, celle d’être parvenue à trouver un fil conducteur à chacune de ces extraordinaires épopées musicales.

Collage : Mélody Aubert (D’après les images trouvées sisterwithtransistors.com)

Approche visuelle organique

Les images d’archive servent de support essentiel au récit et permettent de juxtaposer les sons abstraits au monde vivant. Le processus de recherche de ces images est décrit par Rovner comme « conséquent, difficile et très long ». Les travaux de montage et d’édition sont effarants tant ils parviennent à illustrer avec justesse les explications techno-musicales, parfois sentimento-musicales. Il s’agissait d’un processus créatif « ludique, dans lequel la musique est si abstraite qu’elle se prête volontiers aux images iconographiques  » toujours d’après la réalisatrice.

Une mer calme et brillante sous le soleil filmée en format Super 8, un avion qui décolle grâce à la portance aérodynamique, un studio académique aux allures de laboratoire filmé en noir et blanc, une flambée de motifs psychédéliques. Voici les quelques phénomènes visuels auxquels s’attendre. Le tout accompagné d’une narration à la fois éthérée et ancrée dans le réel. En somme, la parfaite combinaison de l’image et de la musique, lorsqu’elles ne forment qu’un seul corps.

Eliane Radigue, © Yves Fernandez

Héritage dans la culture moderne

Au coeur de ces nombreux nœuds de fils électroniques branchés avec soin se trouve un cadeau aujourd’hui essentiel : l’innovation. Si ces pionnières ont tracé le chemin aux futurs compositeurs dans un monde profondément machiste et patriarcal, nous leurs devons aujourd’hui, avant tout, le devoir de mémoire.

Sisters with Transistors est une excellente piqûre de rappel quant à la place des femmes compositrices dans l’histoire musicale récente et saura faire aimer aux adulateurs et adulatrices de culture musicale contemporaine ces femmes aux visions hors du commun.

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