SOCIÉTÉ

EDITO – Le gouvernement fait la cour aux électeurs de l’extrême-droite

Jean-Marie Le Pen - élections présidentielles 2007

© Destempsanciens / Jean-Marie Le Pen, affiche présidentielle 2007

Immigration, sécurité, contrôle des frontières. Voilà des thèmes propres à des formations placées à l’extrême-droite de l’échiquier politique. Ce type d’obsessions identitaires n’est pas nouveau en France. En revanche, l’instrumentalisation de ces enjeux par le gouvernement d’Emmanuel Macron l’est. Lui, regarde déjà vers les élections présidentielles de 2022. 

Depuis plusieurs mois, un collectif de solidarité remue ciel et terre pour venir en aide à une famille de réfugiés. Issue du Bangladesh, cette famille a payé au prix fort l’attachement à un parti d’opposition que le régime en place veut museler par la peur et des exactions qui relèvent souvent du droit commun.

Ils subissent, depuis 2008, une persécution politique sans répit et sans communes mesures. Lui a été incarcéré, torturé mentalement et physiquement puis dépossédé de tous ses biens. Elle, alors étudiante engagée en faveur de l’abolition du mariage forcé a été agressée sexuellement. C’est toute la famille qui a été inquiétée par les partisans du régime dont les intimidations continuent encore aujourd’hui.

Quand la famille parvient finalement à quitter le pays, la mort dans l’âme. Ils ne leur reste plus rien, si ce n’est la vie. Ils courent vers l’Europe, et après avoir transité en Italie, viennent chercher l’asile politique en France. Non sans nostalgie de leur vie perdue, ce couple bangladais caresse la perspective d’offrir une éducation et un nouveau départ à leur trois enfants, âgés de moins de dix ans. 

Mais la France leur refuse par deux fois l’asile politique. Malgré les plaies morales et physiques, qui prouvent la torture subie par le père, la Cour Nationale d’Appel des Demandeurs d’Asile (CNDA) oppose un « manque de précisions, de conviction, de preuves ». Cette justification de refus courante laisse transparaitre la vacuité de ces termes. Interchangeables d’un dossier à un autre, ils permettent de douter de la prise en compte de la spécificité propre de chaque situation par le tribunal. Face à la réponse négative et définitive reçue en novembre, la famille se retrouve sans solution. Sans l’action de ce collectif de bénévoles, ces personnes auraient perdu la dernière chose dont ils n’avaient pas encore été dépossédées : l’espoir. 

« Il y a eu un durcissement incroyable »

Face à leur détresse, le collectif s’est mobilisé. Ces bénévoles sont parvenus à trouver un logement pour la famille. Ils ont engagé une avocate déterminée à demander un réexamen du dossier. Une membre du collectif nous livre son ressenti face à la situation dans laquelle se trouve cette famille, à l’image de centaines de réfugiés en France.

Selon elle, « Il y a eu un durcissement incroyable [de la politique migratoire du gouvernement], pour faire plaisir à la clientèle de l’extrême-droite. C’est notamment le cas à l’encontre des jeunes africains. Ces mineurs qui travaillent chez un patron à qui ils donnent satisfaction et pour qui l’apprentissage débouche souvent sur une embauche. Ils viennent pour un travail, un avenir, le droit à une vie meilleure ». Or la France refuse la grande majorité de ces gens, les reconduisant en dehors du territoire. « Je crois que c’est de l’électoralisme, confit-elle, c’est un phénomène qui s’intensifie au fur et à mesure qu’approchent les élections »

« Je ne vois pas pourquoi le gouvernement fait ça, si ce n’est pour caresser les gens du Front National dans le sens du poil. Faire plaisir à un certain électorat »

Une bénévole du collectif solidarité pour les réfugiés

Impulsé par Manuel Valls, le processus de durcissement de la politique migratoire française s’est intensifiée au rythme des gouvernements. Un phénomène qui semble être corrélé avec la montée de l’extrême-droite dans les sondages et sa banalisation au sein du débat. A tel point qu’aujourd’hui, le mouvement d’Emmanuel Macron, autrefois présenté comme le meilleur rempart contre le Front National, se retrouve à faire la cour à son électorat.

Une réponse nationaliste au terrorisme

Si ce durcissement existe, il faut d’abord l’interpréter comme une réaction politique aux attentats qui secouent la France depuis 2015. Depuis l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty en octobre dernier, le gouvernement a resserré la vis. Au sommet de l’Etat, le président de la République n’a pas hésité à adopter un ton martial. Il déclare que « Les islamistes ne doivent pas pouvoir dormir tranquilles dans notre pays ». Son ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin lui se fait le porte étendard de cette répression. Il porte le projet de loi « visant à lutter contre le séparatisme » sur ses épaules.

« Une loi vouée à montrer du doigt les musulmans de France comme étant ce que le président de la république avait appelé le ‘terreau du terrorisme’ »

Jean-Luc Mélenchon, président de La France Insoumise, dénonce la loi contre le séparatisme.

Expulsions, perquisitions, dissolutions d’organisations… au delà de leur efficacité discutable, ces mesures semblent revêtir un autre objectif pour les macronistes. Celui d’envoyer le message d’un durcissement de la lutte contre l’islamisme, dont le ministre de l’intérieur serait l’émissaire. Mais pourquoi un gouvernement, élu en 2017 sur un programme « ni de droite, ni de gauche », aurait-il intérêt à reprendre les valeurs traditionnelles de l’extrême-droite ? De nombreux observateurs dénoncent la tentative de la majorité de se fabriquer un marche-pied dans l’électorat de Marine Le Pen.

Chasser sur les terres du RN

L’acmé de cette stratégie électorale a été atteint le 12 février dernier lors du débat entre M. Darmanin et Mme. Le Pen. Des échanges de plus d’une heure et demie, monopolisés autour d’un seul sujet : le terrorisme, l’immigration, le voile. En bref, l’islamisme.

A la lumière de ce débat, Gérald Darmanin et le gouvernement ont laissé tomber le masque et révélé leur intention : « lutter contre le mal par le mal ». En exprimant de nombreuses convergences de fond avec les positions de Mme. Le Pen, le ministre a dévoilé son ambition de séduire les électeurs de l’extrême-droite.

Il est même allé plus loin, en se plaçant plus radical que la dirigeante du RN sur la question migratoire. Il accuse son adversaire du soir de « mollesse » . Sa volonté d’affronter le RN sur son propre terrain, celui de la fermeté, est claire.

« Dans sa stratégie de dédiabolisation, Mme Le Pen en vient à être quasiment un peu dans la mollesse, il faut reprendre des vitamines. »

Gérald Darmanin, lors du débat le 12 février

Quelques jours plus tard, c’est au micro de RTL que le ministre réaffirme sa position : « Je souhaite que les électeurs du Front national votent pour nous » déclare-t-il. C’est dans cette perspective que s’inscrit la loi contre le séparatisme. Elle a reçu les faveurs d’Eric Zemmour, lors d’un déplacement du ministre sur le plateau de Paris Première : « Vous présentez une loi qui est tout à fait positive ! »

Ainsi, laissant à son ministre de l’intérieur tout le loisir de monopoliser le devant de la scène médiatique, le président semble affirmer sa volonté de séduire les électeurs du Rassemblement National (RN). La polémique autour de «  l’islamo-gauchisme » suscitée par la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal vient renforcer cette tendance. L’adoption de ce vocable, proche des milieux identitaires nationalistes par le gouvernement, vient s’inscrire dans un stratégie de séduction auprès des électeurs de Marine Le Pen. Elle est aujourd’hui donnée en tête des sondages.

Une stratégie dangereuse

Au delà de l’éthique très discutable d’une telle tactique électoraliste, cette stratégie peut s’avérer à double tranchant. Selon bon nombre d’observateurs, la majorité serait en train de jouer avec le feu en essayant de battre le RN sur son propre terrain. Loin d’éroder sa base électorale, cette extrême-droitisation du gouvernement tendrait au contraire à la favoriser.

Depuis que Mme. Le Pen a remplacé son père à la tête du Front National, elle n’a cessé de mener une quête de dédiabolisation. Pour pouvoir s’imposer au sommet du pouvoir, il fallait réduire un maximum le rejet qu’inspirait le parti. Le catégorique « NON » (82,21 % en faveur de Jacques Chirac) du second tour des élections de 2002 l’illustre. Depuis, le RN a tout fait pour se détacher de cette image polarisante, allant jusqu’à changer son nom.

Gérald Darmanin, en adoptant une position plus radicale que la dirigeante du RN sur des enjeux qui sont les siens, fait son jeu. Il contribue à une banalisation de l’extrême-droite et offre une dédiabolisation par procuration au RN. Ce qui explique l’air de surprise, yeux écarquillés, bouche bée, sourire en coin qu’affichait la dirigeante extrémiste lors du débat.

Une telle stratégie est douteuse, elle participe a un brouillage des cartes qui contribue à accroitre la présidentialisation de Mme. Le Pen. Ce qui inquiète beaucoup d’observateurs, jusqu’au sein de la majorité.

« Il faut s’inquiéter de la banalisation de l’extrême droite, rappeler ce que ce parti représente. » 

Claire Pitollat, députée LREM des Bouches-du-Rhône

De plus, cette stratégie serait inefficace. C’est la conclusion à laquelle est parvenue une étude universitaire récente, publiée par Tarik Abou-Chadi, Denis Cohen et Markus Wagner dans le Journal of ethnic and migration studies.

Les chercheurs démontrent que loin d’enrayer le vote extrême-droite, la mise en avant des enjeux identitaires tendrait à le favoriser. La monopolisation du débat autour de ces thèmes, fond de commerce RN, leur donne une plus grande importance aux yeux du public. En conséquence, l’omniprésence sur la scène médiatique de ces concepts favorise, in fine, le vote à l’extrême-droite. A l’heure où notre pays traverse la crise protéiforme que l’on connait il n’est pas raisonnable de porter sur le devant de la scène la question migratoire. Loin de desservir le RN, elle polarise en réalité le vote en son sens.

Macron-Le Pen, un face à face inévitable ?

Autre conséquence, en se rapprochant des extrêmes, la majorité tourne le dos à une partie de son électorat de 2017. Ces gens « de gauche » qui sétaient déplacés, pour faire barrage au Front National. Libération mettait récemment en lumière, la parole de ces électeurs qui refusent de faire barrage une nouvelle fois en 2022.

La vive réaction de certains, Christophe Castaner en tête, traduit le manque de sérénité dans les rangs de la majorité. « Ceux qui épargnent les extrêmes, encore et toujours, portent une responsabilité » avait-il réagit à chaud.

Peut être est-il nécessaire de rappeler ici que l’acte de voter est un droit. Il est acquis en 1944 pour l’ensemble des citoyen.nes français.es, et ne peut en aucun cas revêtir la nature d’une responsabilité. Si une partie de l’électorat de 2017 fait sécession, la « responsabilité » doit être cherchée dans la politique du gouvernement. De nombreux députés de la majorité, contrairement à l’ancien ministre de l’intérieur, gardent la tête froide. Ils ont pleinement conscience des risques qu’impliquerait un rapprochement vers l’extrême-droite.

« Toute communication qui tend à dire que le centre de gravité de la campagne doit se situer sur le terrain du RN pour le combattre affaiblit totalement la possibilité d’appeler ensuite à faire barrage, au nom d’un front républicain. » 

Jacques Maire, député La République En Marche des Hauts-de-Seine

Enfin un dernier élément du débat du 12 février, et de l’orientation de la campagne du gouvernement de manière générale, transparaît. A plus d’un an du suffrage, la majorité place Marine Le Pen au second tour. Gérald Darmanin l’a lui même dit pendant le débat. Cette prophétisation semble être complètement contreproductive, donnant à l’alternative Mme. Le Pen une crédibilité qu’elle même n’espérait pas recevoir de pareil adversaire. Il l’érige comme son unique adversaire et rend sa présence au second tour inéluctable dans l’esprit de tous.

Pour toutes ces raisons, il est légitime de douter de l’efficacité de l’orientation extrême-droitière du gouvernement dans sa stratégie de lutte contre les extrêmes. La bataille électorale, qui a été engagée par le camp du président, semble aller à contre-courant de l’objectif recherché.

Peut être pire encore, elle interroge de part et d’autre du spectre politique sur le timing choisi pour déclarer ouverte la chasse aux électeurs. Alors que nous n’apercevons pas encore la fin de la lourde crise que nous traversons. Une chose est pour le moins sûre, si la dynamique électorale du RN se traduit dans les urnes au printemps prochain, cette majorité devra en assumer -en partie- la « responsabilité ».

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