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Premier film de la sélection officielle du Festival de Cannes, labellisé Cannes 2020, à sortir en salles, Été 85 de François Ozon hypnotise. L’histoire d’un amour universel et tragique entre deux adolescents sous la chaleur estivale de l’année 1985.
« Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses. De cette façon nous serons bien heureuses. Et si notre vie a des instants moroses. Du moins nous serons, n’est-ce pas ? deux pleureuses » (Romance sans paroles) écrit Paul Verlaine en 1872/1873, probablement en pensant à son jeune amant de 18 ans, Arthur Rimbaud. 16 et 18 ans, respectivement les âges d’ Alexis (Félix Lefevbre) et David (Benjamin Voisin), les deux protagonistes de cette histoire pendant l’ « été 85 ». L’âge exact du cinéaste François Ozon, ce même été, quand il découvre le roman La Danse du coucou (Dance on My Grave – 1982) d’ Aidan Chambers.
Une lecture laissée « infusée » pendant des décennies que le cinéaste fit enfin le choix de porter à l’écran après dix-huit longs métrages et le désir d’aborder un univers plus léger, successivement au sujet compliqué de Grâce à Dieu. Réaliser le film que l’adolescent qu’il était aurait aimé voir cet été là, en voilà un sublime projet ! Encore fallait-il sortir d’une belle idée sur le papier qui aurait pu l’amener à tomber dans tous les pièges du « teen movie », du premier amour, de la découverte de son homosexualité. François Ozon réussit à offrir une œuvre généreuse et nécéssaire à son cinéma. Le réalisateur poursuit, avec Été 85, un processus entamé avec son précédent film, celui d’une bienveillance sans réserve avec tous les personnages – qui s’accompagne évidemment d’une direction d’acteurs incomparable.
Les seconds rôles gravitant autour du duo existent pleinement, chacun dans son rôle : Valeria Bruni-Tedeschi excelle en mère juive bourgeoise et excessive quand Isabelle Nanty à l’opposée est parfaitement juste en mère aimante, sobre et dépassée, évoquant le personnage de Josiane Balasko dans Grâce à Dieu (des mères qui n’existaient pas dans les précédents film du cinéaste). Melvil Poupaud retrouve Ozon pour se glisser dans le rôle du professeur de français, mentor littéraire d’Alexis, et Philippine Velge brille en jeune anglaise très rohmérienne. Malgré cette tendresse, comme dans tous ses films, le destin plane sur cette histoire mais les poupées du réalisateur/manipulateur ont été rangées et remplacées par de véritables sentiments, ceux qui agitent les jeunes cœurs et troublent les corps. Ceux du romantisme universel dans lequel tous les spectateurs peuvent se reconnaitre.
Stand by me
À travers cette rencontre ultra romanesque où le jeune Alexis, à deux doigts de la noyade, est sauvé par le troublant David, François Ozon plonge dans les années 80, de manière personnelle et universelle. Tourné en Super 16, la mise en scène offre ce grain particulier à l’image et les couleurs de ces années là, celles où les adolescents se déhanchaient sur In Between days des Cure ou Toute première fois de Jeanne Mas. Si la B.O. du film nous ramène mélancoliquement dans cet imaginaire eighties, les hommages cinéphiles sont nombreux. Le peigne dégainé de la poche comme John Travolta dans Grease (1978), le plan copié-collé de La Boom (1980) du casque de Walkman sur les oreilles, transformant la musique de la soirée qui bat son plein, en offrant un instant intime aux personnages avec Sailing de Rod Stewart. Ici, l’allure de David est proche du marin attractif et dangereux, Querelle, personnage éponyme du film de Fassbinder (1982) – référence constante de la filmographie de François Ozon.
Et puis il y a Stand by Me (1986) de Rob Reiner, film inévitable d’amitié entre jeunes adolescents, classique du genre adapté d’une nouvelle de Stephen King. Dans les deux œuvres, il est question d’initiation, de confrontation à la mort et d’écriture. Le narrateur de Stand by Me, adulte devenu écrivain à succès, raconte cet été 59 où avec trois amis d’enfance, ils sont partis à la recherche du corps d’un garçon de leur âge, donnant lieu à une odyssée comme passage vers l’âge adulte. Deux temporalités pour une histoire, c’est le parti pris scénaristique de François Ozon. Dans Été 85, là aussi par l’utilisation de la voix-off, Alexis va écrire et nous raconter son histoire en flashbacks rapides et sombres ,en opposition totale avec la lumière solaire et emplie de désir du reste du métrage. David, (encore lui), n’est pas sans rappeler la fougue d’un des talentueux comédien de Stand by Me, décédé trop jeune à l’âge de 23 ans en 1993, River Phoenix. Influence certaine du cinéaste et du jeu de Benjamin Voisin, dont il va falloir suivre les prochains projets au cinéma.
Comme dans le film de Reiner, la mort, justement, hante les deux héros. L’un est fasciné par les cercueils et les sarcophages, l’autre par la vitesse, poussant sa moto toujours plus loin avec une fureur de vivre brûlante d’intensité. Leur amitié amoureuse va se construire sur ces oppositions, deux personnages distincts, deux visions de l’amour antagonistes. Mais le macabre semble les envelopper comme les ténèbres couvrant le soleil de l’été, et les conduira à faire un pacte qui scellera malgré eux leur destin. Si l’un meurt, l’autre devra danser sur sa tombe.
Toute première fois
Si Été 85 pourrait être injustement taxé de facilités narratives, puisque la structure du film ne nous surprend pas, il y a dans le dernier long-métrage de François Ozon, un parfum de premier film, l’essence de l’adolescence. Et de facto, ce film aurait pu être le premier du cinéaste. D’ailleurs il a disséminé dans ses premiers courts et certains de ses longs métrages des thèmes de ce roman qui l’a tant marqué. Le travestissement d’une Robe d’été (1996), l’adolescence mêlée à la mort des Amants criminels (1999), la relation professeur/élève de Dans la maison (2012), etc. Été 85 apparait alors comme un projet intime et profond, à la fois un renouvellement et une articulation logique d’une filmographie foisonnante et unique. Un geste fort comme une première fois à la fois pour le cinéaste et pour le personnage d’Alexis qui en un été découvre l’amour, le sexe, la mort et la résilience. Cette toute, toute première fois, est puissante car le réalisateur se distingue encore en plaçant son film dans le parfait interstice entre les deux versants ambigus de l’âme humaine, entre l’ombre et la lumière, là où le manichéisme n’existe pas.
Et pour une fois, la mer semble être symbole du futur et d’un espoir dans l’avenir du personnage principal, qui se profile à l’horizon. L’acceptation du deuil survient dans un dernier plan, là où au contraire Charlotte Rampling courrait vers une ombre au loin ressemblant à son mari disparu, s’enfonçant vers l’océan dans Sous le sable (2000), et là où le soleil se couchait dans la bouche du condamné Melvil Poupaud dans le plan final du Temps qui reste (2005). Alexis a presque 17 ans et il a toute la vie devant lui. D’ailleurs comme l’écrivait Arthur Rimbaud, « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans ». François Ozon nous le rappelle avec générosité, il nous entraîne avec lui et nous hypnotise littéralement dans la chaleur de cet été 85 où l’on danse sur les tombes, où l’on s’aime à en crever. Écrire, brûler, accepter et aimer encore.