L’attaque du Capitole le 6 janvier dernier témoigne de la radicalisation d’une frange de la population toujours plus extrémiste. Mais c’est bien la rhétorique, constitutive de ces mouvements, qui poussent les individus à verser dans la violence.
Trump © Trump White House Archived
Aux Etats-Unis et en Europe, le recours à la violence de la part de groupuscules d’extrême-droite est une réalité de plus en plus inquiétante. L’invasion du Congrès américain n’en est qu’une illustration supplémentaire. Accusé d’« incitation à l’insurrection » (selon les termes officiels de la mise en accusation), Donald Trump faisait face la semaine dernière à une seconde procédure de destitution. Si Trump se tenait loin des évènements l’après-midi du 6 janvier, c’est bien lui qui, par sa rhétorique, a allumé la mèche.
Cependant, distinguer cet évènement comme une particularité américaine dûe à quatre années d’un Trumpisme extrêmement polarisant est une erreur. Si l’Alt-Right (littéralement “Droite alternative”) est un concept qui naît aux Etats-Unis sous l’impulsion de Richard Spencer, fondateur et leader médiatique de cette extreme-droite brutale, l’Europe n’est pas en reste.
Mobilisant l’histoire d’un continent riche en idéologies racistes et xénophobes, le rapport au passé est un terreau fertile pour ces mouvements d’ultra-droite qui se conjuguent au pluriel en Europe. Le Royaume-Uni, l’Allemagne, ou la France sont confrontés à cette radicalisation de l’aile la plus extrémiste de la droite, dont les faits d’armes font légion.
Revivifier le passé
Pour preuve, faut-il rappeler que le Capitole américain n’est pas la première institution démocratique à subir une attaque au cours de l’année écoulée ? En Allemagne, le 29 août dernier, le Reichstag était pris pour cible par des centaines de manifestants radicalisés. Dans ces circonstances, la résurgence d’un terrorisme d’extrême-droite allemand est-telle que les autorités en ont fait la principale menace de « l’ordre démocratique national ». Les chiffres des exactions et crimes de cette nébuleuse ont atteint leur niveau le plus inquiétant depuis 2001 chez notre voisin d’Outre-Rhin.
En France, les groupes récemment démantelés comme AFO (Action des forces opérationnelles) et OAS (Organisation armée secrète) manifestaient explicitement la volonté de recourir à l’action violente. En réaction aux attentats islamistes de 2015, ces groupes planifiaient « des attentats d’ampleur significative contre les musulmans ». Le but poursuivi étant d’atteindre « un niveau de violence de nature à enclencher une remigration basée sur la terreur ».
Symbole d’une réminiscence du passé, ces mouvements s’inscrivent dans la continuité de la violence d’extrême-droite « classique » où les références néo-nazies sont nombreuses. Discours fascisant, salut nazis, mobilisation des concepts de race. Ces tendances sont prégnantes en Europe, leur message est clair : réhabilitation du nazisme en Allemagne, « revanche de la guerre d’Algérie » en France selon les mots Eric Zemmour.
Ainsi, comprendre les origines et les causes de cette radicalisation est indispensable afin d’expliquer la recrudescence des violences qu’elle entraîne. Pour cela, la rhétorique employée est révélatrice d’une violence inhérente à l’essence même de ces mouvements.
Balayer le vieux monde qui n’a pas tenu ses promesses
Si la montée des extrêmes, partout dans le monde, est un phénomène contemporain, il est loin d’être inédit. Le succès de ces mouvements se situant à la droite de la droite s’explique par un échec. Celui de la chimère néolibérale, en vogue depuis les années 1980, qui s’était promis d’améliorer les conditions de vies et d’existence des populations. Force est de constater que ce modèle, érigée comme l’unique mode de développement possible (« Il n’y a pas d’alternatives » Margaret Thatcher) n’a pas tenu ses promesses.
C’est l’échec d’un système et la faillite de ses élites qui poussent une partie de la population dans les bras d’une extrême-droite qui s’autoproclame anti-système. Celle-ci représente le seul et dernier espoir pour une population qui a perdu confiance en la perspective d’une vie meilleure.
Dans cette optique, les crises, porteuses de désarroi et de colère, sont des évènements catalyseurs pour ces mouvements. Crises et montée de l’extrême-droite sont concomitants. Le contexte actuel, de par sa nature, est d’autant plus propice à la radicalisation des esprits. Il favorise le repli sur soi, l’isolement, la désinformation et in fine, le complotisme.
Ce qui était déjà vrai dans les années 1930 l’est toujours aujourd’hui. Mais la comparaison avec le fascisme italien et le nazisme hitlérien s’arrête ici. Alors que les totalitarismes des années 30 misaient sur la mobilisation des masses au dépend de toute forme d’individualité, le discours de l’extrême-droite contemporaine a changé.
Une rhétorique adressée aux individus
La force des discours d’aujourd’hui réside dans leur capacité d’adaptation à la temporalité de notre société. L’une des principales conséquences d’un capitalisme décomplexé a été la place qu’occupent les individus en son sein. Mme. Thatcher en résume l’importance « il n’y a pas de sociétés, juste des individus en concurrence les uns entre les autres ».
L’instrumentalisation de cet individualisme est prégnante dans la parole de l’extrême-droite. Celle-ci s’adresse directement aux individus, elle leur fait savoir qu’ils existent. En témoigne le message de Donald Trump adressé à ses supporters le 6 janvier, alors que le Capitole est encore assiégé « We love you ; you’re very special » (On vous aime ; vous êtes des gens remarquables).
En outre, le verbe de cette droite alternative s’est acclimaté à la nouvelle temporalité, imprégnée d’individualisme. Le « grand orateur » s’adresse aux individus, ce sont eux qui doivent prendre les armes, défendre la cause et le mouvement. Pas l’inverse.
Conséquence : des groupuscules extrémistes radicalisés se sont organisés sur ce modèle. A titre d’exemple, les Proud Boys aux Etats-Unis, organisation néo-fasciste violente, place les individus au centre du mouvement. Chacun se voit attribuer un rôle, jouit de sa liberté individuelle.
De ce constat résulte des individus désespérés, en proie à eux-mêmes et sensibles aux sirènes de l’extrême-droite. C’est là que les orateurs entrent en scène.
Le « grand orateur » comme catalyseur du mouvement
En premier lieu, ces mouvements se constituent et s’organisent autour de ses figures, ils naissent autour de quelques voix solitaires. Dans cette perspective, le choc provoqué par l’élection de Trump en 2016 a été un détonateur. Elle a envoyé un signal fort, celui que tout était désormais possible. Si l’ultra-droite fait recette aux Etats-Unis -qui est prétendument la plus grande démocratie du monde- pourquoi pas ailleurs ?
Ensuite, il faut rendre à César ce qui est à César. L’importance de la place qu’a su occuper Trump dans cette dynamique est prééminente. C’est celle du prophète qui a réponse à tous les maux. Celle du grand orateur qui cristallise, par ses discours, la colère et la peur des individus en sa faveur. Ce sont ces ingrédients que l’on retrouve dans les discours des leaders de cette droite brutale. Mais le ressentiment des populations ne suffit pas à expliquer cette radicalisation et le recours à la violence.
En s’érigeant lui-même comme l’homme providentiel, le leader va ainsi ressusciter la confiance des individus, autrefois perdue. Cette foi inébranlable en sa personne va permettre à celui-ci de créer un récit. De forger une croyance, par ses paroles, qui va progressivement se substituer à la réalité. C’est à ce moment-là que le mouvement se radicalise. Pour donner une illustration de ce passage des paroles aux actes, il faut une nouvelle fois retourner au Capitole.
Ainsi, à force de répéter, tel un mantra, que les élections lui ont été volées, de se placer comme la victime d’un système corrompu, Trump s’est fait entendre. Cette croyance s’est profondément ancrée dans l’esprit de ses supporteurs. Ils refusaient de reconnaître la défaite, ne laissant plus que la violence comme issue. Le constat était simple, raison pour laquelle il a sûrement été redoutablement efficace : les élections nous ont été volées, il faut reprendre le pouvoir par la force.
Pour le dire en peu de mots : c’est autour de l’orateur que naît la radicalité de ces mouvements. C’est lui qui en est le détonateur. Il cristallise la colère des individus et les incite à la révolte par l’emploi d’une rhétorique martiale qui ne laisse qu’une seule issue : la violence. Omniprésente dans le discours, elle est la conséquence logique de ces mouvements, elle est inhérente à leur nature.
L’action violente déguisée en légitime défense
Nombreux de supporteurs de Trump qui se sont retrouvés à marcher sur la plus prestigieuse institution démocratique américaine n’avaient pas conscience de la portée de leurs actes. « On va arrêter le vol ! Si Pence ne l’arrête pas, nous devons le faire » déclare une manifestante. Ironie de la situation, ceux qui pensaient agir pour sauver la démocratie américaine faisaient peser sur elle sa plus grande menace.
Ce type de contradiction ne fait pas état d’exception au sein de la rhétorique extrémiste. Si la violence est omniprésente dans les discours et les slogans, elle est justifiée. La violence dans la pensée d’extrême-droite est une légitime défense. Elle est engendrée par la croyance qu’une menace pèse sur la place ou la sécurité des individus. Et c’est là que le recours à l’individualisme est particulièrement efficace. En instaurant ce sentiment de danger, de menace chez les individus, on les incite à se défendre. Leur réponse logique tient en deux mots : « Aux armes ! »
« Il y a manifestement un déni de la radicalisation avec des gens qui se mettent à penser à des projets d’attentats mais qui se rêvent membres de la Résistance. Ils ne se rendent pas compte qu’ils sont en train de devenir des terroristes. »
Nicolas Lebourg, Historien
Un autre élément galvaudé dans la rhétorique commune à l’extrême-droite est la notion de compétition. Dans un monde mondialisé où les relations entre les différents acteurs sont régies par la compétition, la loi suprême est celle du plus fort. De fait, la race blanche étant reconnue la meilleure dans l’idéologie nationaliste, doit dominer. Mais cette compétition est biaisée par des forces occultes : si l’ordre naturel ne s’impose pas, c’est qu’il y a des forces cachées qui l’en empêche. En résulte deux conséquences principales. Premièrement, l’émergence du complotisme (cf. Qanon, Deep State). Deuxièmement, le recours à la violence, vu comme une nécessité pour rétablir l’ordre naturel des choses.
Ainsi, la radicalisation n’est donc qu’une conséquence logique. Traduite dans le verbe par la croyance que la race blanche est menacée d’extinction, qu’une guerre raciale est inévitable. C’est ce verbe, cette rhétorique simpliste qui établit la croyance en une vérité absolue. Pour ainsi dire, la radicalisation est inéluctable. Beaucoup de partisans n’envisagent pas de recourir directement à la violence, mais elle est inhérente au mouvement, parce que sa nature encourage à considérer les choses de cette manière. La rhétorique de ces mouvements radicaux d’extrême-droite appelle donc la violence de ses vœux.