LITTÉRATURE

« Fuck le patriarcat » — Aux grands maux, les grands remèdes

Fuck le patriarcat

Crédits : Francesca Protopapa/ Massot éditions

La journaliste et militante Mona Eltahawy vient de sortir un livre qui se veut coup de poing, figure hybride entre l’essai engagé et l’ouvrage de développement personnel. A travers sept péchés vitaux, l’autrice entend bien détruire le patriarcat.

Fuck le patriarcat fait écho à tous les ouvrages publiés après la vague #MeToo. Son autrice, Mona Eltahawy, démantèle les rapports de force à l’œuvre dans la société et guide les femmes sur le chemin de la rébellion. Elle profite de ce livre pour y introduire des éléments biographiques qui justifient son propos et créent un lien direct avec le.la lecteur.ice.

« J’ai écrit ce livre comme j’aurais tiré un missile. Avec rage. Je m’y suis mise encore auréolée d’une certaine gloire, celle d’avoir collé une trempe à un homme qui m’avait agressée sexuellement. Quelle femme étais-je devenue pour regarder les hommes droit dans les yeux, les fixant furax jusqu’à ce que leur regard effrayé m’indique qu’ils avaient compris qu’il ne fallait pas m’emmerder ? »

Mona Eltahawy

Pécher pour mieux régner

C’est par le biais de sept péchés vitaux que Mona Eltahawy propose de combattre le système patriarcal. Premièrement, elle questionne la relation qu’entretiennent les femmes avec leur colère et leur violence. Jusqu’à un certain âge, les petites filles expriment facilement leur rage puis, vient un jour où ce sentiment doit disparaître. L’éducation genrée transforme la colère des femmes en tristesse ou frustration. Bon nombre d’entre elles peinent à l’exprimer sans verser de larmes. L’autrice dénonce ce monopole de la colère héroïque et guerrière détenu et entretenu par les hommes. Elle dit stop au mythe d’une violence hystérique et préfère inciter les femmes à l’exprimer librement.

C’est ensuite vers l’attention qu’elle guide les lecteur.ices. Selon elle, le patriarcat enferme les femmes dans un pré carré fait de petites choses futiles à même de les éloigner du pouvoir. Attirer l’attention équivaut à taper dans la fourmilière de l’auto-censure. De fil en aiguille, l’attention nourrit l’ambition, l’ambition amène le pouvoir. C’est à ce moment-là que l’essai prend des allures de développement personnel. Très américain dans sa grandiloquence, Fuck le patriarcat ne se perd pas dans l’analyse et propose des solutions pratiques pour se défaire des systèmes d’oppression.

Reste donc l’obscénité et la luxure à même de sauver les femmes. Elle s’appuie sur l’expérience de plusieurs féministes comme la militante ougandaise Stella Nyanzi, enfermée cinq semaines pour avoir posté une photo des fesses du président Yoweri Museveni, ou encore les Pussy Riot condamnées à deux ans de prison pour avoir manifesté au sein de la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou. Leur point commun ? Un comportement qualifié d’obscène et dangereux. Mona Eltahawy insiste sur l’importance de se rendre visible, quitte à déranger, afin de démolir ces années de transparence forcée.

« A quoi ressemblerait un monde où l’énergie dépensée pour contrôler le langage, et en particulier celui des femmes, serait plutôt consacrée à lutter contre une violence patriarcale très ancrée, et son pendant raciste qui va souvent de pair ? »

Mona Eltahawy

Système en réseaux

L’engagement de l’autrice, et par là même son propos, part de son expérience : « J’avais quinze ans et j’ai été sexuellement agressée, à deux reprises, sur le site le plus sacré de l’islam, La Mecque (…) tandis que j’accomplissais le hajj. » Elle n’ose alors pas témoigner, bloquée entre la honte culpabilisante et la crainte des répercussions racistes. Des années plus tard, elle décide de lancer le hashtag #MosqueMeToo. A travers la libération de la parole des femmes musulmanes s’est ajouté un dialogue sur les violences sexistes présentes au sein de toutes les religions.

Twitter apparaît donc comme le huitième péché vital tant il héberge des échanges militants salvateurs. C’est ce qu’il s’est produit lorsque l’autrice a lancé le hashtag #IBeatMyAssaulter après s’être défendue contre son agresseur en boîte de nuit. Selon elle, le réseau social a trois vertus : il permet de partager, de rencontrer et de s’organiser. Cependant, elle semble omettre de mentionner les limites de la plateforme qui — à bien des égards — cantonne les militant.es à rester chez eux.elles et censure certains comptes d’activistes.

« Trop longtemps, les hommes nous ont insultées, laissant entendre que nous sommes trop en colère pour être prise au sérieux, nous traitant de « fémininazies. Casse-couilles. Féministes en folie. Salopes. Sorcières. (…) Oui je suis en colère. Et les femmes en colère sont des femmes libres. »

Mona Eltahawy

Fuck le patriarcat porte donc bien son titre. Il ne passe pas par quatre chemins pour aborder les violences sexistes et racistes que subissent les femmes. Néanmoins, le terme de patriarcat — si important soit-il pour désigner un système de domination masculine social et économique — semble parfois trop abstrait. Peut-être aurait-il fallu ramener le propos aux hommes et à la réalité qu’ils façonnent à leur avantage ? Aussi, l’aspect universaliste du féminisme que l’autrice défend laisse parfois perplexe. En proposant une solution unique à des problèmes multiples, Mona Eltahawy ouvre une porte en fermant une fenêtre.

Fuck le patriarcat de Mona Eltahawy, édition Massot, 24,90 euros

Etudiante en master de journalisme culturel à la Sorbonne Nouvelle, amoureuse inconditionnelle de la littérature post-XVIIIè, du rock psychédélique et de la peinture américaine. Intello le jour, féministe la nuit.

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