LITTÉRATURE

« Foucault en Californie » – Le philosophe, le LSD et la Vallée de la Mort

crédits : Éditions Zones

Dans Foucault en Californie, l’universitaire américain Simeon Wade retrace l’itinéraire d’un road-trip sous acide aux côtés de Michel Foucault. Un événement longtemps nié par ses biographes mais qui aurait pourtant eu une influence durable sur l’œuvre du philosophe. 

Foucault en Californie est un texte qui n’aurait jamais vu le jour sans les efforts d’Heather Dundas. Elle l’explique dans sa préface : doutant de la véracité de l’amitié qui aurait lié le philosophe Foucault et Simeon Wade, elle tente de le contacter. Elle s’attend à rencontrer un homme pompeux, comme dans l’œuvre de Foucault. Pas de chance : Wade est attachant et ils deviennent rapidement amis. Elle finit par mettre la main sur le manuscrit. Celui qui retrace leur rencontre et le trip au LSD que Wade a partagé avec Foucault dans la Vallée de la Mort, en Californie. Et décide de le publier, un an et demi après sa mort. 

Le texte fait état de la passion de simeon Wade pour l’œuvre de Foucault, qui décide de saisir sa chance le jour où il apprend que l’intellectuel doit se rendre à Berkeley pour un cycle de conférences. N’écoutant que son culot, il lui propose de l’emmener en week-end dans la Vallée de la Mort, pour un trip au LSD. L’intellectuel accepte avec plaisir. C’est ainsi qu’une amitié qui durera toute la vie s’installe entre les deux hommes. 

Comme une envie d’évasion

Il y a quelque chose de touchant dans ce road-trip qui n’est pas sans rappeler les récits d’aventures propres à la Beat Generation. Mais au-delà de l’expérience physique de la drogue, le livre fait avant tout état d’une rencontre sensorielle entre un homme et son idole.

Parce que si Foucault devient un ami, il est avant tout une vedette mondiale. La plupart des chapitres ne manquent pas de le rappeler : à l’instar de Wade, chaque étudiant ou professeur croisant la route de Foucault le questionne. Tout y passe : ses sujets d’études, ses positionnements sur les questions sociales, ce qu’il aime lire, ce qu’il pense de la vie. Le livre tire, en filigrane, le portrait d’un des plus grands intellectuels d’une époque et révèle un homme discret et amical. 

« Voilà, ai-je pensé. C’est la révolution de la conscience annoncée par Foucault. Tous les autres philosophes occidentaux ont commencé et fini avec l’esprit, avec les idées. Foucault affirme la primauté du corps et le pouvoir du discours. » 

Foucault en Californie, Simeon Wade

Au milieu de ces conversations savantes que Wade retrace avec minutie, il y a le trip dans la Vallée. Ce voyage, qui est le catalyseur du livre, en est moins le sujet. Ce qui compte ici, c’est l’amitié, la rencontre avec la figure de l’intellectuel et moins la drogue que l’expérience sensorielle qu’elle permet.

Puis l’auteur détaille le périple. Tout est mis en place pour que Foucault vive une expérience de plaisir absolu. Une dose savante de LSD, un coucher de soleil au milieu d’un paysage irréel, de la musique classique, un peu de drogue douce, un peu d’alcool. Le plaisir, qui rentre par toutes les vannes possibles et irradie le corps d’un Foucault qui ressortira transformé de cette expérience, au point de jeter au feu le deuxième volume de son Histoire de la sexualité.  

Foucault en Californie ou l’art de vivre bourgeois-bohème avant l’heure

Au-delà des pléthores de questions posées au philosophe – qui ne manqueront pas de laisser de marbre le profane en la matière – l’ouvrage de Wade est intéressant parce qu’il laisse, sans le vouloir, l’empreinte d’une culture entière. Il présente ses amis à Foucault, l’introduisant dans un mode de vie ouvert d’esprit pour l’époque où l’homosexualité masculine est assumée et où la philosophie – plus qu’une discipline – se pratique au quotidien. 

« Là [Bear Canyon], nous fûmes rejoints par un groupe de six jeunes hommes, dont quatre vivaient dans des cabanes de la gorge, où ils formaient une sorte de communauté taoïste. Le son des cascades nous attirait sur le sentier bordé de grands cèdres et de pins ponderosa. L’odeur musquée du chaparral était un aphrodisiaque âcre. »

Foucault en Californie, Simeon Wade

Dans ces communautés d’hommes amoureux de la nature et porteurs d’une certaine vision de l’esthétique et du monde, Wade raconte une Amérique raffinée et avant-gardiste qui ne manque pas de fasciner. 

Foucault en Californie, Éditions Zones, 16 euros. 

Journaliste

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