© Le Mot et le reste
Drôle d’aventure que celle d’Anouk quittant le confort de Montréal pour une cahute mal isolée blottie au fond des bois de Kamouraska. Le récit d’une quête de soi, et un premier roman qui veut rappeler à lui les grands écrivains canadiens.
Publié au Canada en 2018 et diffusé en France en ce début d’année 2021 chez Le mot et le reste, Encabanée raconte la solitude de l’humain dans la nature. Gabrielle Filteau-Chiba elle-même fait l’expérience de cette solitude en 2013, dans ces bois de Kamouraska, qu’elle n’a plus jamais quittés ; son roman s’inspire en partie de cette expérience.
Chaque chapitre suit les neuf jours consécutifs qu’elle a passé seule dans la nature. Entrecoupés de listes numérotées, ces dernières ne permettent pas de dater précisément l’arrivée d’Anouk dans sa cabane. La veille du premier jour documenté ? Une semaine avant ? En tout cas, l’arrivée doit être récente car l’héroïne semble encore en pleine période d’acclimatation. Autre ponctuation du roman, la multitude de références à différents auteurs ou artistes canadiens, lesquels accompagnent Anouk dans sa retraite. Thoreau, bien sûr, le père du nature writing canadien ou encore Anne Hébert et son Kamouraska, à qui elle dédicace son roman.
Retourner à l’essentiel
« Chaque kilomètre qui m’éloigne de Montréal est un pas de plus dans le pèlerinage vers la seule cathédrale qui m’inspire la foi, une profonde forêt qui abrite toutes mes confessions ». Dès la première page, Gabrielle Filteau-Chiba, par l’utilisation du champ lexical de la religion place l’expérience de son héroïne dans le domaine du mystique. Il ne s’agit pas d’un simple caprice, ou bien d’une semaine de vacances avec l’optique d’un retour au confort. Ici, Anouk fait le choix radical de la solitude.
Dans sa cabane, elle n’a pas d’autre objectif que la survie : ne pas mourir de froid pendant la nuit, ne pas se laisser surprendre par une nature qui ne pardonne pas la paresse. Elle vit au jour le jour, et se laisse parfois, le soir, bercer par des fantasmes. Elle a fui la routine, le métro-boulot-dodo, le consumérisme constant et les injonctions de la société moderne. Poussée par une impulsion qu’elle ne s’explique pas : « Je comprendrais pourquoi je suis ici lorsque j’aurai tout lu. »
Les grands combats
Dans Encabanée, Gabrielle Filteau-Chiba semble aborder un peu tous les grands sujets du moment : le féminisme, l’impact de notre société de consommation sur la planète et l’activisme écologique. Ce dernier apparaît dans le sixième chapitre à travers une écriture de l’exaltation intéressante. C’est l’élément perturbateur de la solitude de l’héroïne. Sorte d’épiphanie, l’activisme incarne l’éveil qu’Anouk est venu chercher dans les bois de Kamouraska. Elle insiste sur l’importance de faire tout notre possible, à notre échelle, pour lutter contre le réchauffement climatique. Il n’y a pas de petite action. Ce sujet, avec celui de la création, clôt le roman. Un peu rapidement peut-être, mais encore une fois, il s’agit d’un éveil.
« Construire pièce sur pièce ma définition du féminisme rural. »
Encabanée, Gabrielle Filteau-Chiba
Le féminisme occupe également une place importante dans les pensées d’Anouk. Plus particulièrement l’idéal du féminisme rural qui incite les femmes à cultiver la terre dans le respect de traditions ancestrales. Cette aspiration entre évidemment en résonance avec le besoin de retour à la nature de l’héroïne.
En 2019, dans Mon année de repos et de détente de l’Américaine Ottessa Moshfegh, se retrouve également cette urgence ressentie par l’héroïne de fuir la société. Chez Moshfegh, le personnage principal (sans nom), s’assomme de médicaments pendant un an. Autre similarité, l’idée que l’héroïne principale se sert de sa beauté pour évoluer plus facilement en société. Anouk, comme l’héroïne d’Ottessa Moshfegh, ont conscience que leur beauté ouvre toutes les portes. Gabrielle Filteau-Chiba manie ce paramètre avec plus de délicatesse que l’autrice américaine et surtout le supprime, dès le début de l’intrigue, en balafrant Anouk. Mais la question de la beauté et de l’idéal esthétique permet une remise en question du personnage dans une perspective féministe intéressante.
Encabanée, publié le 7 janvier 2021 chez les éditions Le mot et le reste. 13 euros.